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Les Français veulent-ils encore du nucléaire ? [enquête]


La centrale nucléaire de Cattenom s'étend sur 415 hectares actuellement, mais EDF agrandit son domaine par l'achat de nouvelles parcelles. (photo AFP)

François Fauquenoy est « très impressionné » mais « pas inquiet du tout ». Comme ce jeune Champenois qui visite la centrale de Nogent-sur-Seine, les Français se sont habitués au nucléaire. Mais le consensus en vigueur depuis des décennies semble s’émousser.

À quelques semaines de la Conférence de Paris sur le climat, COP21, où les Etats vont tenter de limiter leurs émissions de CO2 pour lutter contre le réchauffement, EDF présente le nucléaire comme une « énergie propre et non émettrice de gaz à effets de serre ».

Qu’en pensent les Français, quatre ans après l’accident du 11 mars 2011 à Fukushima au Japon, où le premier cas de cancer lié aux radiations a été reconnu officiellement cette semaine? Beaucoup, comme le jeune informaticien François Fauquenoy, disent « faire confiance à des gens ultra-formés » pour qu’une telle catastrophe n’arrive jamais en France, pays champion mondial du nucléaire civil avec ses 19 centrales.

Avec 77% d’électricité d’origine nucléaire, la France est le pays où le poids de l’atome est le plus important, même si les Etats-Unis comptent plus de réacteurs en opération (104 contre 58). D’ici 2025, Paris s’est engagé à réduire à 50% la part du nucléaire dans sa production électrique. Dans un souci d’ouverture, EDF a accueilli 108 000 visiteurs dans ses différentes centrales nucléaires sur le territoire métropolitain en 2014 et 84 000 depuis le début de l’année.

Difficile de jauger l’opinion

Sur le site de Nogent-sur-Seine dans l’Aube, à une centaine de kilomètres de Paris, ouvert au public début octobre, un ingénieur de la salle de contrôle montre que 2,4 secondes suffisent pour arrêter la centrale. Dans les couloirs, la science de l’atome est glorifiée. Les lieux se nomment « Becquerel » ou « Curie », les physiciens découvreurs de l’atome.

Reprenant les arguments d’EDF, Olivier Lapoule, 43 ans, visiteur venu de la Marne, dit qu’il « faudrait construire un peu plus de centrales nucléaires au détriment des thermiques », attaquant au passage l’Allemagne qui met l’accent sur cette dernière énergie. La directrice du site, Catherine Back, se félicite de « l’envie de comprendre » qu’elle décèle chez ses invités d’un jour, « rassurés » par le sérieux de l’entreprise. Le plus circonspect ce jour-là sera un salarié d’EDF venu en famille. « En France, les centrales sont sûres » assure-t-il. « Mais il reste à traiter le problème des déchets, il faudra bien trouver une solution », lâche-t-il en requérant l’anonymat.

Difficile de jauger l’opinion française sur la question du nucléaire. Le sujet a longtemps fait figure de tabou au nom de l’indépendance énergétique chère au général de Gaulle. Aucun grand débat, pas de consultation. On a toujours préféré évoquer une sorte de consensus national autour de la question.

« Si la France a fait de l’atome de manière étatique, c’était surtout parce qu’il fallait aller vite » dit, Henri Chazel, 91 ans, ancien diplomate qui se souvient avoir passé des heures à expliquer à ses homologues allemands la politique nucléaire française à marche forcée durant les Trente Glorieuses.

De fait, « il n’existe pas » de sondage régulier avec des questions comparables permettant de restituer les fluctuations de l’opinion, note une étude universitaire CNRS-Sciences Po de février 2012.

Consensus ou « anesthésie »

Les différences de formulation des questions « expliquent que deux sondages, parus au lendemain de Fukushima, soient arrivés à des conclusions divergentes » regrette l’étude. Ainsi, les 15 et 16 mars 2011, 42% des personnes interrogées se déclaraient favorables à l’abandon du nucléaire dans un sondage Sofres commandé par EDF. Dans un sondage IFOP pour le parti écologiste EELV, réalisé en même temps, ils étaient 70% à demander un arrêt du nucléaire.

Du coup, ces chercheurs ont bâti leur propre outil statistique d’analyse baptisé « mood », compilant de nombreuses données, d’où il ressort que l’opinion française « est majoritairement défavorable au nucléaire sur le long terme », même si elle l’exprime peu.

Parmi les plus virulents, les militants du Réseau écologiste « Sortir du Nucléaire » s’étranglent devant le message d’EDF affirmant que 98% de l’électricité produite en France est bas carbone. « Si l’on prend en compte tout le cycle, transport et enfouissement, bien sûr qu’il y a des émanations de CO2: 66 grammes par Kwh produit » affirme Simone Fest, membre du conseil d’administration du réseau.

Selon elle, les « discours aseptisés, tranquillisants et rassurants » de l’électricien français, doublés des retombées en terme d’emploi et de taxe d’habitation sur les communes concernées, ont « anesthésié la population » face aux risques. « Il n’y a qu’en France qu’on a connu une violente campagne anti-éolienne, menée par une association soit-disant écologiste, qui est en fait le paravent d’un lobby pro-nucléaire », accuse-t-elle.

Certains marqueurs peu visibles trahissent une inquiétude latente. Vivre à côté d’une centrale est vu par les Français comme le cinquième critère sur onze pouvant favoriser l’apparition d’un cancer dans le baromètre de santé publique de l’Inpes (Institut national d’éducation et de prévention pour la santé) publié en 2010. Après tabac, exposition au soleil, aliments traités avec des produits chimiques, et air pollué.

Deuxième facteur d’inquiétude, le vieillissement des centrales. « Dans 20 ans, nos centrales auront près de 60 ans, que va-t-on en faire? », demande Simone Fest. Sur ce sujet crucial, l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) regroupant pro et anti-nucléaires autour du thème de la sécurité joue un rôle grandissant de poil à gratter du système.

« Il y a clairement un avant et un après Fukushima. Cela a été un choc pour EDF, ils ont été obligés d’admettre qu’il était possible de perdre en même temps les deux sources de protection d’une centrale, l’eau et l’électricité », juge Jean-Claude Delalonde, ancien maire d’une commune proche du site de Gravelines, président de l’ANCCLI.

D’où des travaux de protection industrielle lancés un peu partout en France comme un rehaussement de digue près de Gravelines, obtenu par l’ANCCLI qui réclame une « éducation au risque nucléaire et chimique » en France et une révision des pratiques: « Tous les Français habitent à moins de 200 kilomètres d’une centrale à vol d’oiseau ».

 

AFP / S.A.

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