«On nous complique la vie», «c’est le boulot de l’État»… Malgré les assurances du gouvernement, qui promet un dispositif «le plus simple possible», les patrons voient d’un mauvais œil la réforme du prélèvement à la source, qui obligera les employeurs à collecter l’impôt sur le revenu dès 2018.
Comment calculer le taux d’imposition des salariés ? Combien de temps cela prendra-t-il ? Le système aura-t-il un coût pour les entreprises ? «On se dit +mais comment ça va se passer, avec tous les cas de figure qui vont se présenter ?+», soupire Philippe Chassemon, PDG de deux organismes de formation privés, l’ISFAC et l’IDAIC.
Comme nombre d’entreprises, ces deux sociétés, qui comptent 80 salariés et font travailler une soixantaine de prestataires, ne disposent pas de service de ressources humaines et externalisent une partie de leur comptabilité. Ce qui compliquera un peu plus leur tâche, selon M. Chassemon.
«On fait déjà un peu le Trésor public pour les autres impôts, notamment la TVA, la CSG», juge le chef d’entreprise, qui s’agace de devoir jouer le rôle du «service public». «A chaque fois qu’on nous parle de simplification, on nous complique la vie, et en retour, rien». Une exaspération partagée par de nombreux patrons, notamment de petites et moyennes entreprises. Selon un baromètre du cabinet de conseil KPMG, publié lundi par la CGPME, 54% des chefs d’entreprise se disent ainsi inquiets, en raison notamment de la «complexité» liée à la réforme.
Pour une majorité des dirigeants interrogés, la mise en place du prélèvement à la source aura un impact négatif sur leur organisation interne (66%) et sur leurs relations avec leurs salariés (55%), seule une part marginale des patrons interrogés (6 et 8%) attendant des conséquences positives de la réforme.
Bugs et complications
Cette dernière, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2018, prévoit que l’impôt soit collecté au moment du versement du salaire, sur la base d’un taux transmis par le fisc. Le prélèvement se fera via un document unique dématérialisé, la déclaration sociale nominative (DSN), qui permettra d’acquitter l’ensemble des cotisations.
Pour les employeurs, la charge de travail supplémentaire sera «extrêmement modérée», a assuré le ministre des Finances Michel Sapin fin avril au Sénat. Un message relayé par le secrétaire d’État au Budget Christian Eckert : «ça ne constitue pas une charge phénoménale que de multiplier un revenu imposable par un taux communiqué par l’administration fiscale, et après cette multiplication, de faire une soustraction».
Pour Francis Bartholomé, concessionnaire automobile et carrossier à Epernay (Marne), ce n’est toutefois «pas si simple que ça». «Il va falloir que la fameuse DSN soit mise en place partout. Une modification d’un logiciel de paie, ça n’est pas évident», ajoute le chef d’entreprise, qui dit redouter le «coût» de la réforme.
«Pour les grandes entreprises, celles qui ont des gestionnaires RH, ça va, mais pour une toute petite PME, qui est-ce qui va prendre ça en charge? C’est l’entrepreneur, c’est l’artisan», ajoute le concessionnaire, par ailleurs président du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA). «On n’est pas opposés par principe. Mais dans la pratique, ça va être le bazar», juge Sophie Duprez, fondatrice de la chaîne de restauration rapide Crousti Pain, qui s’inquiète aussi du «temps qu’il va falloir passer pour expliquer aux employés les modifications dans leurs bulletins de paye».
Cette chef d’entreprise, qui emploie une centaine de salariés, dit redouter également les «bug informatiques», une nouvelle «source de complications. Alors qu’on n’a rien demandé et qu’on a autre chose à faire», déplore-t-elle. Au-delà de ces multiples récriminations, la réforme trouve toutefois des défenseurs, à l’image d’Arnaud Portanelli, cofondateur de la plateforme de cours en ligne Lingueo, qui emploie six salariés.
«Ça va apporter un peu plus de tracasserie administrative. Mais je l’accepte», explique ce web entrepreneur, qui a travaillé pendant plusieurs années comme salarié aux États-Unis, où l’impôt est prélevé à la source, comme dans la plupart des pays de l’OCDE. «Pour les salariés, c’est plus simple. Et tout ce qui va dans le sens d’une simplification pour les salariés est souhaitable», estime-t-il.
Le Quotidien/AFP