Samir Hadji, l’attaquant du Fola Esch, tente de faire son trou dans une famille encombrée de footballeurs pros et avec une figure paternelle omniprésente. Et si c’était pour cet été ?
« Le nom, je l’ai déjà. Il me reste à me faire un prénom » a déclaré Samir Hadji. (Photo : Julien Garroy)
Je n’ai jamais lu un papier sur moi sans que le nom de mon père n’apparaisse dedans. Et en général, c’est toujours dans la première phrase. » En naissant le 12 septembre 1989, Samir Hadji, qui a appris à relativiser très tôt le fait d’être né « fils de », en a pris pour perpète. Sa prison, sa cage dorée à lui, c’est son papa, Mustapha. Mais il s’en fout. « Toute ma vie, ce nom m’a suivi. Dans toute ma vie, il y a Mustapha Hadji. Pour les gens, c’est une star. Pour moi… c’est mon papa. »
Mustapha donc : élu « légende du football africain » en 2011 et Ballon d’or du continent en 1998. Le sauveur de la nation marocaine, qu’il a qualifiée pour le Mondial 1998 d’un mythique ciseau retourné face à l’Égypte (0-1) qui a lancé son histoire, a eu la joie de voir son petit Samir naître au moment de sa signature à l’AS Nancy Lorraine, au tout début des années 90. Il n’a que 18 ans et sa jeune épouse, Sabine, 17. Un enfant voulu? Haussement d’épaules du principal intéressé : « Je ne pense pas, mais à partir du moment où j’étais là… » Samir monte donc dans les valises. Vers Nancy pour l’éclosion de papa, puis vers Lisbonne pour l’envol international, en 1996, avec le Sporting. De la capitale portugaise, Samir garde quelques vagues souvenirs de l’école française et de son mal du pays. Pas d’amis. Quand Mustapha replie bagages douze mois plus tard en direction de La Corogne, Samir, lui, rentre avec maman à Creutzwald.
La petite famille ne se réinstalle pas là où le père a grandi, à la « Cité Maroc » -« Je me demande pourquoi elle s’appelle comme ça ? Il y a tellement de nationalités différentes représentées dans ce quartier. » Mais il retrouve son chez lui et son petit club de Creutzwald. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à jouer dans la rue. Lors des matches entre copains, il est soit Zidane, soit Ronaldo. Mais il s’abstient par principe de faire comme certains de ses petits adversaires qui veulent être Mustapha Hadji et en arborent fièrement le maillot. « Être son père, c’est vraiment trop bizarre », s’amuse-t-il.
> « J’en avais marre d’avoir les cheveux dans les yeux »
Papa, Samir ne le voit plus que sporadiquement. L’un est au centre du monde, l’autre au milieu de nulle part et entre eux, il n’y a qu’une ligne téléphonique et des cassettes vidéo des exploits paternels. « Ça peut paraître bizarre aux gens, mais moi, j’en ai pris l’habitude. » Qu’à cela ne tienne, lors des vacances scolaires, Samir file rejoindre son père là où le football l’a conduit. En Angleterre notamment. Il y voit Manchester United, Liverpool, depuis les tribunes présidentielles. Et environ une fois par mois, c’est Mustapha qui revient, parfois incognito, pour suivre de loin les matches du fiston dans des coins paumés de Lorraine. Ces jours-là, « des jours de fête », Samir est toujours moins bon parce qu’il se sait observé par ce que Malik Benachour, grand pote de la famille et ancien joueur du CSG, appelle « un magicien, une icône ». Impossible de soutenir ce regard critique, alors qu’à côté, le long de la main courante, des pères qui n’ont jamais touché un ballon de leur vie s’égosillent en pure perte. Le paternel tente donc de rester caché, mais c’est parfois difficile. « Je me souviens d’un match à Longeville, raconte Roberto Della Mea, président du club de Creutzwald, où Mustapha était arrivé en Ferrari. Vous imaginez la pression pour le petit ? Mais Samir a toujours été assez serein par rapport à ça. C’était un bon gamin, très correct, hyper sympa. » Pas d’acte de rébellion à son palmarès.
Le premier pas de côté, l’unique geste de vague émancipation n’est qu’esthétique. Coiffé depuis tout petit par sa tante dans son salon de Creutzwald, Samir rompt un beau jour avec la traditionnelle coupe de cheveux des Hadji à base de nuque longue et bouclettes qu’arborait aussi son oncle, Youssouf, pro à Nancy. C’est qu’il n’a pas le style de jeu qui va avec : « Moi, je joue beaucoup de la tête. J’en avais marre d’avoir les cheveux dans les yeux. Alors j’ai craqué. » Depuis, Mustapha n’a de cesse de lui dire qu’il devrait les laisser repousser. Le départ de la tata pour Marrakech, il y a deux ans, aurait pu lui permettre de renouer avec les traditions capillaires familiales et de rompre avec les couleurs et autres crêtes. Il a préféré trouver un autre coiffeur.
Les cheveux courts, Samir se lance dans sa carrière. « Le nom, je l’ai déjà. Il me reste à me faire un prénom », dit-il dans une jolie formule qu’il a déjà dû ressortir plusieurs fois à tous les plumitifs venus l’interviewer. Il marche pourtant bizarrement dans les mêmes traces que son père. Encore que, bizarrement… Le nom du papa « ouvre en effet des portes, mais elle en referme aussi quand les clubs dans lesquels on débarque s’attendent à voir une copie de Mustapha Hadji ». Passage obligatoire par Nancy chez les jeunes. Sarrebruck ensuite. Fola pour conclure. « Les clubs de mes débuts sont ceux de sa fin. » Tournure polie pour dire que cela ne roule pas encore aussi bien qu’il l’aurait souhaité.
Récemment, dans le mimétisme, Samir a poussé le vice jusqu’à être présenté à l’essai (malheureusement avorté pour une blessure) au CD Lugo, club de D2 espagnole situé à 45 minutes de voiture de La Corogne. L’un de ces nombreux endroits où son père, donc, a laissé son empreinte. Devinez la première question qui lui a été posée par les journalistes locaux… Il jure que ça ne l’agace pas. Pourtant, il avoue qu’un jour, il s’en est ouvert au paternel. « On me parle toujours de toi, partout où je vais. » Réponse amusée : « Ah ça, fils, ce sera toujours comme ça. Ça va s’atténuer au fur et à mesure, mais il faut que tu montres que toi aussi tu as un prénom. »
> Au moins, les U9 du Fola ne connaissent pas son père
Encore cette fichue question d’onomastique. Samir est celui de la famille qui ne parvient pas à s’en dépatouiller alors qu’il a pourtant le talent pour. Faisons les comptes : Youssouf, l’oncle, a fait carrière dans le sillage de Mustapha (Nancy, Bastia, Rennes…). Et Farid, le deuxième fils de l' »icône », est sous contrat aspirant pro au FC Metz, où tout le monde lui prédit qu’il va percer. Et Samir alors ? « J’espère encore. » Lundi soir, de passage dans la buvette du club au lendemain du succès 1-5 sur Rosport dont un triplé d’Hadji, Jeff Strasser, rarement surpris en flagrant délit d’affection publique pour un de ses joueurs, l’avait couvé du regard et lâché un mystérieux « s’il met plus de quinze buts cette saison, on sait qu’on aura du mal à le garder l’été prochain ». C’est que son avant-centre doit théoriquement repartir en test à Lugo aux beaux jours. Enfin le début de quelque chose, à 25 ans? Cinq saisons après une première expérience avortée, en Nationale, à Strasbourg ? Ceux qui le connaissent, forcément, le lui souhaitent. Un garçon aussi doué et gentil ne peut pas passer sa vie entière à l’ombre du père, quand certains l’ont déjà symboliquement tué depuis longtemps.
Samir n’a même pas essayé. Il avoue avoir trouvé « émouvant » de se retrouver pendant 15 minutes face à son père, en 2009, lors d’un amical Fola Sarrebruck. Et ne tire aucune gloire, désormais, de parvenir à le battre, de temps à autre, au futsal : « C’est juste parce que maintenant, il n’a plus trop le physique. » Mais même alors, Samir a encore les yeux qui brillent pour ce papa qui l’a laissé caresser son Ballon d’or avant de l’offrir au Roi du Maroc, Hassan II. Qui lui a aussi offert les plus grandes émotions footballistiques de sa vie, celles qu’il n’a pas encore réussi à s’offrir par lui-même : un Maroc Brésil lors du Mondial 98 et ce fameux ciseau contre l’Égypte qui l’a fait « courir partout dans Creutzwald comme un fou ».
Sa vie a lui est aussi faite de foot. Mais de plaisirs plus simples. Au Fola, en plus de marquer des buts et d’être bon, Samir Hadji entraîne désormais les petits U9. Son pote Mehdi Kirch l’a convaincu de le faire et cela lui fait du bien. « On se prend au jeu. On les voit progresser. Et puis ils sont émerveillés quand ils nous regardent. Ils voient des gars de l’équipe 1re du Fola et pour eux, c’est comme s’ils avaient Zidane en face d’eux. » Alors, ça fait quoi d’être regardé comme Mustapha Hadji ? « En tout cas, il n’y a jamais un jeune qui m’ait parlé de mon père. » Et ça, ça change…
De notre journaliste Julien Mollereau