Il n’allait manquer ça pour rien au monde. Le journaliste français Denis Robert, à l’origine de l’affaire Clearstream, était mardi matin devant le tribunal de Luxembourg pour l’ouverture du procès des lanceurs d’alerte de LuxLeaks, là même où il avait été jugé.
Dans la foule qui s’est massée mardi matin devant le tribunal de Luxembourg pour apporter son soutien à Antoine Deltour et Édouard Perrin, Denis Robert était en terrain conquis. Il a été un des premiers à dénoncer les pratiques fiscales du Luxembourg et a été condamné, avant d’être blanchi, pour ses livres sur l’affaire Clearstream. Alors, forcément, il avait un sentiment de déjà-vu, vingt ans après.
«C’est important de soutenir Antoine Deltour et Édouard Perrin. Ils ont fait œuvre de salubrité publique en révélant les pratiques de PriceWaterhouseCoopers, déclare Denis Robert. C’est scandaleux de leur faire un procès, toute cette histoire est kafkaïenne.» Jugé par la même 10e chambre du tribunal il y a dix ans, Denis Robert se faisait « un devoir » d’être présent. «L’histoire bégaye. Depuis Clearstream, les politiques n’ont pas pris la mesure de ce qui se passe. Ce que montre l’affaire LuxLeaks, c’est la manière dont les banques et les multinationales font les poches des États. Les impôts que ces sociétés ne paient pas, c’est autant d’argent à récupérer pour les États. De l’argent qui permettrait de résoudre tous les problèmes de l’Europe.»
Denis Robert: « c’est le procès du gouvernement luxembourgeois qui devrait avoir lieu » #LuxLeaks @le_quotidien_lu pic.twitter.com/MTKTMQsKk0
— Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 26 avril 2016
«Mettre en faillite PwC»
Toujours prompt à trouver la bonne formule, Denis Robert parle «d’aveuglement insupportable» et appelle à mettre fin aux pratiques de PwC. «Ce procès est très ennuyeux pour Antoine, mais aussi pour le gouvernement luxembourgeois et la société PwC qui le poursuit. On doit boycotter cette société et la mettre en faillite partout, car elle n’a pas le droit moral de faire ce qu’elle fait.» Des activités d’optimisation fiscale couvertes par le gouvernement luxembourgeois. «L’État luxembourgeois n’a pas à protéger PwC et ses congénères. Il n’a pas à faire ce type de procès», tonne Denis Robert.
«Le ministre de la Justice et le Premier ministre du Luxembourg sont à l’origine de ce scandaleux procès. Ce sont eux qu’il faut mettre sur le banc des accusés.» Sans oublier le Président français, François Hollande, dont la nonchalance exaspère le journaliste. «Il est une nouvelle fois à côté de la plaque. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français laisse faire. Hollande n’aurait jamais dû laisser passer ce procès. Après le discours du Bourget, où il avait déclaré que son ennemi était la finance, François Hollande avait une autoroute devant lui. Au lieu de ça, il travaille dans l’immédiateté. C’est grave.»
Denis Robert ne devrait pas manquer une seconde du procès. Et l’occasion d’en faire une tribune d’opinion.
Comme lors de cette prise de parole à la fin de la première audience, ce mardi midi, devant les sympathisants des lanceurs d’alerte :
Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte)
« Ce procès est kafkaïen : c’est le voleur qui fait un procès à celui qui dénonce le vol ! »
Le Quotidien : Vous dites que ce procès est kafkaïen. Pourquoi ?
Denis Robert : Ce matin (ndlr : 26 avril), j’étais à l’audience et j’ai vu une personne de PriceWaterhouseCoopers s’exprimer longuement sur l’informatique etc. Ce sont ces gens là qui nous font les poches, qui ont permis les tax rulings avec la complicité du Luxembourg. J’estime être volé en tant que contribuable français. Et les personnes qui nous ont éclairés, c’est le journaliste Edouard Perrin et le lanceur d’alerte Antoine Deltour. Ils n’ont pas leur place dans ce tribunal.
L’histoire devrait s’inverser : on devrait poursuivre PwC et l’État luxembourgeois pour participer à ce pillage généralisé des États. Nous on est persécutés par les services fiscaux et à côté vous avez des multinationales qui, grâce à des accords secrets avec le gouvernement luxembourgeois, permettent ce scandale. On est dans le procès de l’injustice, pas de la justice.
Vous évoquez le rôle du Luxembourg, mais la justice est indépendante. Faudrait-il dès lors modifier la loi sur les lanceurs d’alerte au Luxembourg et au niveau européen ?
C’est vrai que la justice est un peu plus indépendante en ce moment en France. Mais ce genre de procès est forcément politique. Si le grand frère français ou allemand avait appelé le Premier ministre luxembourgeois pour lui demander de laisser tomber, en lui disant que le Luxembourg n’avait que des coups à prendre dans cette histoire, il n’y aurait pas eu de procès. C’est un procès qui n’a pas lieu d’être. C’est l’histoire du voleur qui fait le procès au mec qui dénonce le vol !
Pourquoi selon vous le Premier ministre et le président français n’ont-ils rien dit à ce sujet lors de leurs récentes venues au Luxembourg ?
C’est la preuve que Manuel Valls et François Hollande sont complètement soumis aux banques et aux multinationales. Cette gauche-là va sombrer et retrouver sa place à 2% aux prochaines élections.
La situation n’a donc pas beaucoup avancé depuis votre enquête et votre procès sur l’affaire Clearstream ?
Si, on a avancé car il y a beaucoup de monde, beaucoup de journalistes. Les gens en Europe sont sensibilisés sur ces questions. Depuis Clearstream, des affaires sont sorties, comme SwissLeaks et LuxLeaks. Les gens commencent à se révolter, car les Etats se paupérisent et les super riches deviennent plus riches. C’est pour ça que ce genre de procès est symbolique et important.
Le Luxembourg a pris des mesures pour la transparence depuis plusieurs années. Cela va dans le bon sens ?
Verbalement, ça va dans le bon sens. Je ne vois pas, à moins d’une réforme en profondeur, comment le Luxembourg pourrait aussi rapidement se défaire de son système bancaire et de l’opacité offerte aux trusts etc. Ce sont des paroles qui sont jetées comme ça. Il y a effectivement une panique dans les ministères, en coulisses, même si le nouveau Premier ministre luxembourgeois essaie de faire bonne figure. On voit bien que la situation est compliquée pour le Luxembourg. Mais cela passera forcément par desz bouleversements, parce que ce qui se passe en ce moment est intenable. Le message finira par passer, mais ça ne se fera pas en un an ou deux ans.