Le principal suspect dans l’affaire Kemal Sahin, François Kilic, a été remis en liberté faute de preuves à charge, après presque trois ans de détention préventive. Laissant toujours planer le mystère de l’assassinat de l’entrepreneur, retrouvé sans vie le 15 juillet 2012, non loin de Pétange.
Rocambolesque et alambiquée», tels sont les mots qu’utilise Pascal Peuvrel, avocat à la cour inscrit au Barreau de Luxembourg, pour décrire l’affaire Kemal Sahin, qui a connu hier un nouvel épisode, avec la remise en liberté de François Kilic. L’avocat de l’étude Peuvrel et Cayphas, qui représente François Kilic, 53 ans, principal suspect dans cette affaire macabre, ne cache pas sa satisfaction de voir son client libre après deux ans et neuf mois d’enfermement dans la prison de Nancy. Sans preuves concrètes, la justice n’a pas eu d’autre choix que de lever la privation de liberté.
Retour sur une affaire transfrontalière
Le 15 juillet 2012, quelques heures après la fête nationale française, la police retrouve le cadavre criblé de balles de Kemal Sahin, à l’arrière d’une camionnette blanche, dangereusement stationnée sur le bas-côté de l’A13 dans les environs de Pétange. Quelques semaines plus tard, l’affaire passe dans les mains des autorités judiciaires françaises après que la police eût découvre que le meurtre avait été commis en France, du côté de Terville.
Très vite, les soupçons se sont portés sur trois individus, François Kilic, son fils, qui avait alors 21 ans et était gardien de la paix, et un certain Iljat Osmanov, un Macédonien «en situation pas très régulière» selon Me Peuvrel.
À l’époque, les regards se portent sensiblement sur François Kilic qui, 10 ans auparavant, avait eu une altercation au couteau avec la victime lors d’une bagarre de café. «Mon client a, lors de cette bagarre, subit une attaque au couteau et Kemal Sahin avait été condamné par le tribunal de Thionville à une peine pénale et à verser des dommages et intérêts de l’ordre de 15 à 16 000 euros, dette dont Sahin ne s’est jamais acquitté. La justice y a vu un mobile parfait, alors que mon client n’a, après cette histoire, jamais revu Kemal Sahin», insiste Me Peuvrel.
En novembre 2012, les trois individus sont écroués et placés en détention préventive. François Kilic est alors décrit comme étant le cerveau du crime, Iljat Osmanov, l’exécutant et le fils Kilic n’aurait que servi de chauffeur.
Quand l’ADN parle
Si François Kilic a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés, cela n’a pas été le cas de son fils et d’Osmanov, ce dernier ayant changé plusieurs fois de version, accablant le père Kilic tout en se plaçant au cœur de l’affaire. Osmanov et le fils Kilic ont été remis en liberté il y a six mois de cela, mais sous contrôle judiciaire, alors que François Kilic, croupissait toujours en prison «se demandant la signification du mot justice en France», aux dires de son avocat luxembourgeois.
«Kilic a pourtant fait une demande de remise en liberté. D’ailleurs, en mars dernier, le juge d’instruction avait autorisé sa mise en liberté, mais le parquet a fait appel et la chambre d’instruction a décidé de garder mon client au motif d’un complément d’expertise qui aurait été ordonné», soupire Me Peuvrel. En effet, entretemps, le juge avait demandé une expertise ADN qui, au final, n’a montré aucune trace des cellules de François Kilic, a contrario d’Osmanov et du fils Kilic, pourtant toujours en liberté.
Me Preuvel ne comprend pas très bien la longueur et la surtout la lenteur des procédures, d’autant que depuis lors, le juge a demandé un complément d’expertise – tout en maintenant Kilic en détention – concernant la balistique, mais «qui au final ne donnera rien à charge [contre le quinquagénaire] puisqu’il s’agissait de déterminer s’il y avait eu transfert d’ADN concernant le fils Kilic, et donc [n’aurait pas fait] ressortir, quoi qu’il arrive, l’ADN de François», souligne l’avocat. Et d’ajouter : «Généralement, dans ce genre d’affaire, l’ADN est ce qui fait condamner les gens, mais là, il n’y avait rien pour condamner mon client. D’autant plus qu’au vu des traces ADN, les deux coupables étaient peut-être dehors, pendant que celui qui ne l’était pas, était enfermé.»
Depuis hier, François Kilic est donc libre, sous certaines conditions. «Les juges ont enfin entendu raison. François Kilic, qui ne pourra pas être en contact avec son fils ni Osmanov, ni être en Moselle, va s’installer en région parisienne. Il a dû fournir la preuve d’un hébergement et un contrat de travail», explique son avocat. L’affaire n’est pas finie puisqu’elle devrait se terminer aux Assises, dans le meilleur des cas en fin d’année, bien que Me Peuvrel table plutôt pour le début de l’automne 2016.
Jeremy Zabatta