Yves Cruchten (LSAP) est le rapporteur du projet de budget qui reflète bien selon lui, les politiques des trois forces présentes au sein de la coalition.
Il va parler d’inégalités croissantes et de pauvreté mais pas seulement à travers les statistiques. Il veut livrer le quotidien des gens les plus modestes et bien sûr mettre l’accent sur la problématique du logement.
Est-ce toujours un honneur d’être rapporteur du budget de l’État ?
Oui, c’est un exercice que je voulais faire parce que tous ceux qui ont eu cette tâche avant moi m’ont dit qu’elle leur avait permis de comprendre vraiment le fonctionnement de l’État. Pour moi c’est un peu un processus d’apprentissage.
Est-ce vraiment un budget de tous les records ?
C’est ce qu’ils disent chaque année. Effectivement, nos finances publiques sont solides, il y a des progressions dans les recettes qui couvrent les investissements que nous désirons faire. C’est agréable de présenter un budget qui nous permet de changer des choses et pas de rechercher des miettes pour boucher les trous. Avec ce budget on peut faire de la politique.
Y compris pour le logement où les gens attendent justement que la situation change ?
Oui c’est vrai. Pour me préparer j’ai lu les rapports précédents et je me suis aperçu que nous en avons réalisé deux plus largement axés sur les finances publiques, un autre sur le développement durable, un sur la digitalisation et je me suis dit qu’il était grand temps de présenter un budget qui se préoccupe du quotidien des gens. Je vais donc parler des inégalités croissantes, de la pauvreté mais pas seulement à travers les statistiques mais parler des gens les plus pauvres. C’est pour cela que le premier rendez-vous que j’ai eu dans le cadre de la préparation de mon rapport c’était avec les responsables de la Stëmm vun der Strooss pour avoir leur feedback sur la situation qu’ils observent au quotidien. Bien sûr, quand on parle d’inégalités il faut parler logement. Je vois dans le travail du rapporteur aussi bien la mission de présenter les mesures incluses dans le budget mais aussi de faire des recommandations sur celles qui n’y figurent pas et auxquelles il faudra penser à l’avenir. En tant que rapporteur je veux développer des idées et le logement sera donc un grand chapitre de mon rapport. Je ne vais pas dire maintenant que je vais trouver la solution à tous les problèmes dans ce domaine mais je vois des pistes.
Des pistes qui n’ont pas été présentées dans le discours de Xavier Bettel et celui de Pierre Gramegna…
Quand je vois ce que le programme gouvernemental prévoit pendant cette législature je vois de bonnes initiatives en matière de logement. Il faudra mettre l’accent sur l’acquisition massive de terrains et lutter contre la spéculation. Je vois que dans le budget 2020, ces choses-là ne figurent pas quantitativement dans le budget mais c’est prévu par le programme. Il faudra évaluer les aides existantes, évoluer leur impact. Certaines aides ne font qu’accroitre notre problème. Il nous faut d’ailleurs en général une meilleure évaluation des politiques publiques. Nous laissons en tant que députés trop souvent le gouvernement évaluer ses politiques mais nous devons trouver les moyens à la chambre des députés de le faire nous-mêmes pour savoir si nous sommes sur la bonne voie.
Avec l’aide de la Cour des comptes ?
La Cour des comptes est là pour évaluer les dépenses en relation avec l’objet du projet de loi mais elle ne fait pas d’études scientifiques sur les effets de la législation. Je prends l’exemple, au hasard, des allocations familiales, sont-elles efficaces ou perdent-elles de leur efficacité dans certaines conditions ?
Il est intolérable d’accepter que des logements restent vides
Est-ce que ce n’est pas Franz Fayot qui a raison en disant qu’il est difficile de trouver des solutions à la crise du logement aussi longtemps que quelques familles posséderont la majorité du foncier ? Est-ce si difficile de lutter contre la spéculation ?
C’est un travail de longue haleine. Il y a des forces politiques qui s’y opposent mais il faut avoir le courage de le faire. La première fois que l’on a dit qu’il fallait lutter contre la spéculation c’était avec l’introduction du Pacte logement mais l’État a décidé de donner cette faculté aux communes. Résultat : une demi-douzaine de communes seulement ont introduit des taxes contre la spéculation. Je pense que ce n’est pas aux communes de faire ça mais à l’État de fixer des règles. Nous sommes dans une telle situation qu’il est intolérable d’accepter que des logements restent vides ou des terrains constructibles laissés à l’abandon parce qu’ils prennent de la valeur chaque année.
L’autre sujet c’est la croissance. Quelle vision avez-vous eu à travers la présentation de ce budget ?
Les citoyens attendent des réponses en matière d’écologie et de climat et de bien-être en général et le ministre des Finances a axé son discours sur ces sujets. Le problème est qu’on lui demande de s’exprimer sur des mesures qui ne sont pas encore prêtes. Le pacte climat et la réforme fiscale qui feront l’actualité l’année prochaine ne peuvent encore être quantifiés dans le budget parce que les décisions ne sont pas encore prises, le travail est en préparation. Je trouve que Pierre Gramegna a dressé un tableau très réaliste, notre situation est confortable mais il faut rester prudent. Aussi longtemps que les salaires, les pensions, la sécurité sociale ou encore la prise en charge santé, sont meilleurs que dans la Grande Région, des travailleurs seront attirés par le Luxembourg, on ne peut pas le changer par un décret. Mais les fruits de cette croissance doivent servir à régler les problèmes qu’elle nous pose. Donc il nous faut investir dans le logement, dans la mobilité, dans les infrastructures pour en atténuer les conséquences.
Est-ce que 2,8 milliards suffisent ?
Le problème pour moi, comme pour d’autres, c’est de savoir si on aura les moyens de les investir… La main d’œuvre est-elle suffisante ? Nous avons atteint le double des investissements d’il y a cinq ans et on voit bien que partout dans le pays, il y a des chantiers et ça travaille. Ce sera déjà un challenge de dépenser tout cet argent.
Si nous n’avions pas eu tous ces jeunes dans la rue pour manifester en faveur d’une autre politique climatique, le gouvernement aurait-il mis l’accent sur ce sujet ? La crise climatique ne date pas d’hier pourtant…
Non, mais on voit les conséquences de cette crise aujourd’hui. Au début des années 90, quand j’allais au lycée, on en parlait déjà mais les ours polaires ils étaient loin… Les changements climatiques ont maintenant des conséquences partout dans le monde et cela nous fait tous réfléchir sur nos habitudes de consommation. Personne n’est insensible au sujet et le gouvernement a raison de mettre l’accent sur cette problématique et dire aussi ce qu’il fait déjà.
Cette fois, les mesures sociales sont très présentes
Ce budget reflète-t-il selon vous un équilibre entre les trois forces politiques qui composent ce gouvernement ?
Oui mais j’ai eu cette impression déjà pour les précédents. Je peux vous dire que le parti socialiste va défendre ce budget parce qu’il s’y retrouve. Je rappelle que du temps de la coalition avec les chrétiens-sociaux, le LSAP avait remis en question des projets de budget. Je crois que, cette fois, les mesures sociales sont très présentes et nous ne sommes pas insensibles aux mesures écologiques.
L’intégration, dans un pays comme le Luxembourg, est un sujet important. Il a été peu développé dans le discours sur l’état de la nation comme dans la présentation du budget…
Quand on s’intéresse aux inégalités et à leur croissance, on voit que 70% des Luxembourgeois sont propriétaires et parmi les 30% restants, plus de la moitié ne sont pas électeurs. Ceux qui sont locataires sont très souvent dans le premier quintile, donc en bas de l’échelle des revenus. J’ai peur que le problème de logement entraîne des vraies tensions sociales avec tout ce que cela signifie pour notre société dans son intégralité, électeurs et non-électeurs, l’un contre l’autre. Nous ne devons donc pas ménager nos efforts. Cela me rend furieux quand je vois que l’on a la possibilité immédiate de construire entre 55 000 et 80 000 logements sur les 980 hectares disponibles directement. Mais la valeur du terrain croît chaque année de 6%.
Verra-t-on enfin une taxe foncière voir le jour l’année prochaine ?
Je l’ignore. Mais apparemment elle sera intégrée à la réforme fiscale. Le fonds pour les acquisitions de terrains devrait être alimenté par le budget mais aussi grâce à des taxes anti-spéculation pour avoir un double effet. On devrait se fixer comme objectif d’acheter chaque année 50 hectares, tout ce qu’on peut et le mettre à disposition des bailleurs sociaux. Et pourquoi pas aussi en faveur d’initiatives privées qui respectent les conditions du logement social.
On oublie aussi que la population est vieillissante. Ne faut-il pas aussi penser à construire plus de maisons de retraite ?
Oui, c’est une bonne question. Là encore je me demande pourquoi il n’y a pas davantage d’initiatives privées. Il y a certainement un marché. Je vois par exemple à Bascharage une société privée qui fait fonctionner un centre de jour, c’est assez inédit. Mais il y a effectivement une grande demande.
Entretien avec Geneviève Montaigu