Les tribunaux ne vont pas s’encombrer des abstentionnistes qui ne respectent pas la loi. Les poursuites sont inexistantes et la digitalisation n’aiderait pas le parquet. Au contraire.
Il y a dans certaines lois et certains règlements de bonnes intentions, mais une incapacité à les faire respecter. Il en va ainsi des feux d’artifice privés dont personne ne se prive et qui sont pourtant interdits dans une majorité de communes. Tout le monde ne déblaye pas non plus son trottoir pour chasser la neige et y répandre du sel.
Il y a pourtant plus de risque de se faire verbaliser pour des pétards un soir de Nouvel an que pour ne pas avoir respecté la loi électorale. La ministre de la Justice, Elisabeth Margue, vient de confirmer qu’il lui était impossible de poursuivre les non-votants, qu’ils soient excusés ou pas, vu qu’ils ne sont pas différenciés.
D’après l’article 90 de la loi électorale, comme le rappellent les députés Georges Engel et Dan Biancalana, «le procureur d’État dresse, commune par commune, le relevé des électeurs qui n’ont pas pris part au vote et dont les excuses n’ont pas été admises». Le même article indique que «ces électeurs sont cités devant le juge de paix». Une première abstention non justifiée est punie d’une amende de 100 à 250 euros. En cas de récidive dans les cinq ans de la condamnation, l’amende est de 500 à 1 000 euros.
Les abstentionnistes ne sont guère effrayés par la menace d’une sanction. Leur nombre varie au fil des élections. Ils étaient plus de 50 200 pour les communales en juin dernier, un peu moins de 37 000 pour les législatives, soit 13 % des électeurs inscrits. Le phénomène n’entraîne pas de grandes discussions après les résultats, seuls quelques rares députés soulèvent la question en début de législature, avant que le sujet ne soit enterré pour cinq ans.
La réponse d’Elisabeth Margue à la question des deux députés socialistes devrait clore le débat pour un temps. Non, il n’y a pas eu d’amende prononcée pour ceux qui n’ont pas respecté l’obligation de vote. La ministre admet que le parquet serait bien incapable de gérer ces dossiers, d’autant qu’il lui faudrait d’abord procéder à un tri pour séparer ceux qui sont exemptés par la loi de ceux qui ne produisent aucune excuse valable.
Les électeurs qui, au moment du vote, habitent une autre commune que celle où ils sont inscrits, ceux de plus de 75 ans et les électeurs sous tutelle, ainsi que ceux qui ont voté par correspondance mais dont le bulletin n’est pas parvenu aux bureaux de votes, sont tous excusables.
Pour les autres, le police devrait pratiquer des auditions de chacun d’eux avant que le parquet ne décide de l’opportunité de les poursuivre. «Vu l’envergure des mesures d’enquête à accomplir, le parquet n’établit donc plus de relevé par commune, conformément à la politique de poursuite existant en la matière depuis des décennies», fait observer la ministre de la Justice.
Et ce n’est pas près de changer. Au ministère, personne ne connaît davantage le profil des abstentionnistes, sinon il pourrait évaluer si l’assouplissement des conditions de vote par correspondance a eu un impact ou non sur la participation électorale. Cette option n’était pas faite pour lutter contre le taux des non-votants, mais pour offrir le choix de se rendre aux urnes ou de participer à distance.
Aucun changement
Il ne faut rien attendre de la digitalisation pour faire respecter la loi électorale. Elle pourrait faciliter l’identification des non-votants, mais le parquet serait tout aussi réduit à l’impuissance «au vu des affaires potentielles». Il devrait par exemple poursuivre sans distinction les 37 000 abstentionnistes d’octobre dernier. La ministre explique qu’il est «difficilement concevable, dans le cadre d’une politique de poursuite cohérente, de poursuivre tel non-votant et non pas tel autre».
Les tribunaux, déjà surchargés, se trouveraient «submergés par d’innombrables affaires ne présentant guère d’énergie criminelle élevée dans le chef des auteurs».
Malgré l’assouplissement des conditions pour demander le vote par correspondance, le taux des abstentionnistes a augmenté. Pas sûr que le vote électronique fasse baisser leur taux, doute la ministre de la Justice.
Il n’y a plus qu’à compter sur des campagnes de sensibilisation, comme elles existent pour les étrangers, encouragés à s’inscrire sur les listes électorales, pour faire respecter le vote obligatoire. Le jour où il aura un feu d’artifice d’abstentionnistes, le gouvernement se mettra peut-être en pétard et les coupables se verront poursuivis au radar.