Le domaine Clos des Rochers, qui appartient à la famille Clasen (Bernard-Massard), reprend les vignes du domaine Mathes, soit environ 8 hectares sur les terroirs de Wormeldange.
Il s’agit d’un évènement important à l’échelle de la Moselle luxembourgeoise : la Koeppchen un des hauts lieux de la viticulture grand-ducale (lire par ailleurs), compte un nouveau propriétaire et pas des moindres. Propriété de la famille Clasen, qui dirige également les Caves Bernard-Massard, le Clos des Rochers livre parmi les meilleures bouteilles du pays. Jusqu’à présent, il était surtout ancré à Grevenmacher (même si son riesling Ahn Palmberg est un must). Son berceau se trouve même sur le Grevenmacher Fels (les vignes situées à l’entrée sud de la ville) dont il est le grand spécialiste.
Le domaine ne travaille que sur les meilleurs terroirs (Grevenmacher Fels, Grevenmacher Groärd, Ahn Palmberg, Wormeldange Nussbaum, Wormeldange Wäibour et donc, à partir de cette année, Wormeldange Koeppchen) et uniquement des cépages nobles (riesling, chardonnay, pinot noir, pinot gris, pinot blanc, auxerrois et gewurztraminer). Les crémants comme les vins tranquilles sont le fruit d’un vrai travail de précision.
Une actualité récente démontre l’exigence de la maison. Le domaine a individualisé de longue date une parcelle du Fels au sol gris atypique : le Groärd («terre grise» en luxembourgeois). Avec celles du Palmberg, les 1 500 bouteilles de Groärd représentent le sommet de la gamme. Eh bien, Antoine Clasen vient de juger qu’en 2021 la qualité des vins du Groärd n’était pas suffisante pour justifier la commercialisation de la cuvée. «Nous avons récemment passé notre parcelle en bio et avec la mauvaise météo, les vignes ont stoppé leur croissance pendant un moment, explique Antoine Clasen. Puisque les maturités n’étaient pas complètement optimales, nous allons déclasser le vin dans le Grevenmacher Fels, qui n’en sera que meilleur. La dernière fois que nous avons dû prendre cette décision, c’était en 2012.»
Près de 70 % de riesling
Alors, quand on porte cette ambition, difficile de passer à côté de l’occasion d’acquérir 1,8 hectare sur le terroir emblématique de la Moselle. La majeure partie de ces vignes ont été plantées en 2011. Elles se trouvent en haut de coteau, presque d’un seul tenant, le long de la Moselle donc sur une exposition est/sud-est. Une autre parcelle se trouve sous la chapelle orientée plein sud.
«En fait, je ne savais pas que ces vignes étaient à vendre, révèle Antoine Clasen. Lorsque Paule (Mathes) et Jean-Paul (Hoffmann, son mari) m’ont appelé, j’ai été très surpris!» La négociation ne portait pas uniquement sur les vignes de la Koeppchen, mais sur la vente de 5 hectares de vignes (Ehnen Elterberg, Wormeldange Heiligenhauschen, Wormeldange Nussbaum, Wormeldange Morberg) ainsi que la mise en fermage de 3 autres. «Nous souhaitions conserver nos vignes historiques, c’est pourquoi nous en restons propriétaires», explique Paule Mathes. Ces parcelles sont plantées à 70 % de riesling, auquel s’ajoute un peu de pinot blanc, de pinot gris et de chardonnay. «Le fait que le riesling soit largement majoritaire a été une motivation déterminante. S’il y en avait eu moins, sans doute que nous n’aurions pas ressenti le même intérêt», reconnaît Antoine Clasen.
Puisque le Clos des Rochers appartient à toute la famille Clasen, Antoine a demandé l’assentiment de son père, Hubert, qui le précédait à la tête de Bernard-Massard jusqu’en 2016. «Il m’a dit que cela faisait quand même beaucoup, mais que si j’y croyait, je devais y aller, sourit Antoine Clasen. À l’époque, mon père avait aussi eu l’occasion d’acheter des vignes, celles du domaine Mehlen-Molitor, à Ahn. Il savait donc comme moi qu’il s’agissait d’une opportunité rare. Louer des vignes, on peut le faire tous les jours mais en acheter, c’est autre chose. C’est pour ça que nous n’avons pas eu à beaucoup discuter le prix, nous savions tous ce qu’elles valaient.»
Cette négociation était inéluctable parce que les enfants des vignerons du domaine Mathes n’avaient pas l’intention de poursuivre la voie de leurs parents. «Nous avons donc pris le temps de chercher un acquéreur qui respecterait ce patrimoine autant que nous l’avons fait», souligne Paule Mathes. Après de précédentes négociations infructueuses, elle s’est donc tournée vers Antoine Clasen. «Nos discussions ont été agréables et fluides, nous nous sommes rapidement mis d’accord, avance-t-elle. Je dois dire que nous sommes très contents car nous avons toute confiance en Antoine, dont la qualité du travail et l’engagement ne sont plus à prouver.» Finalement, l’accord a été trouvé le 23 décembre dernier. «Nous en avons parlé en famille tous les jours pendant les vacances, nous étions tous enthousiastes!», glisse Antoine Clasen.
Négoce et crémants
Cette transaction ne signifie toutefois pas que le domaine Mathes va disparaître. Il va poursuivre la commercialisation des vins qui sont prêts à la vente et va poursuivre la vinification de ceux des millésimes 2020 et 2021 qui sont toujours en cave. Alfons Berweiler, le maître de chai, reste donc en place. Paule Mathes et Jean-Paul Hoffmann se sont également entendus avec Antoine Clasen pour proposer prochainement une gamme exclusive de crémants sous leur nom, mais produite en collaboration avec Bernard-Massard.
Et puis, l’acte ne signifie pas non plus la retraite puisque la société de négoce reste en activité et sera reprise, plus tard, par la nouvelle génération. «L’activité de négoce fonctionne vraiment bien, se félicite Paule Mathes qui y passe le plus clair de son temps. Même pendant la pandémie, nous sommes restés actifs et la clientèle a bien suivi.» Paule Mathes propose de nombreux vins étrangers, mais elle est aussi l’importateur exclusif de Jägermeister au Grand-Duché. Pierre Mathes, le père de Paule, avait obtenu en son temps le droit de distribuer la célèbre liqueur de plantes et la marque allemande est restée fidèle à la maison. «Je crois qu’ils apprécient que nous soyons une société familiale», avance Paule Mathes. Curiosité : le domaine Mathes produisait même le Jägermeister luxembourgeois dans sa cave en 1968 et 2002!
Le terroir star de la Moselle
La Koeppchen à Wormeldange est certainement le lieu-dit le plus connu de la Moselle luxembourgeoise. La colline escarpée qui domine le village a été repérée il y a longtemps pour produire parmi les meilleurs rieslings de la région. On l’explique aisément. Les pentes s’enroulent du sud-est au sud-ouest sous la chapelle dédiée à saint Donat, offrant ainsi aux ceps la meilleure exposition possible. Les inclinaisons sont fortes (jusqu’à 45 °), ce qui contribue à un bon drainage de l’eau (la vigne ne raffole pas de l’humidité) et un accès idéal aux rayons du soleil pour tous les plants. Les vignes sont parfois plantées sur des terrasses portées par des murs en pierres sèches plus que centenaires (celles du domaine Alice Hartmann, par exemple). Enfin, le sol est idéal pour le roi des cépages mosellan. La couche d’humus est fine et le calcaire à dolomies qui affleure juste en dessous livre une tension et une minéralité qui se reflète dans le riesling et régale les amateurs. Le riesling est le cépage qui exprime le mieux l’identité de son terroir, il a trouvé sur la Koeppchen une de ces terres de prédilection.