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Visite d’État en Belgique : «Le Grand-Duché est un allié stratégique»


«L’expérience des Belges néerlandophones avec le Luxembourg est un peu différente, même si chaque Flamand connaît les stations d’essence de Capellen et Berchem», lance Thomas Lambert.(Photo : Hervé Montaigu)

En amont de ce rendez-vous, qui mènera le Grand-Duc à Bruxelles, Gand et Liège, l’ambassadeur belge au Luxembourg, Thomas Lambert, évoque les liens étroits entre le Royaume et le Grand-Duché.

La tradition des visites d’État peut paraître archaïque. Pourtant, les échanges au plus haut niveau entre deux pays s’avèrent très souvent bénéfiques.

Les trois jours que passera le couple grand-ducal en Belgique, accompagné d’une importante délégation de ministres et d’acteurs économiques, vont s’orchestrer autour de trois enjeux stratégiques pour les deux alliés historiques : la production d’énergie renouvelable aux abords de la mer du Nord, la coopération militaire et la conquête de l’espace.

Thomas Lambert, l’ambassadeur de Belgique au Luxembourg, évoque les tenants et les aboutissants d’une visite qui passera par Bruxelles, Gand et Liège.

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Le Grand-Duc Henri et la Grande-Duchesse Maria Teresa entament demain une visite d’État de trois jours en Belgique. Quel est l’enjeu de ce rendez-vous, trois ans et demi après la venue des souverains belges au Luxembourg ?

Thomas Lambert : Une visite d’État sert plusieurs objectifs. Vous avez évoqué la tradition d’avoir une visite retour. Un deuxième élément est que pareille visite sert à reconfirmer les bonnes relations entre deux pays.

Ici, c’est d’autant plus le cas au vu des bonnes relations qui existent à plusieurs niveaux entre la Belgique et le Grand-Duché, à l’échelle de nos deux monarchies, mais aussi d’une connaissance mutuelle très profonde entre les politiciens.

Xavier Bettel a bâti son réseau impressionnant en vie politique belge par le biais du Parlement Benelux. Luc Frieden a une autre expérience avec la Belgique. Pour lui, cela a beaucoup à voir avec l’épisode Dexia et les efforts conjoints pour sauver nos institutions bancaires.

Et au-delà des relations bilatérales, quel est l’intérêt d’une telle visite d’État ?

Les visites d’État modernes, à notre époque, ça sert aussi à approfondir des liens culturels et économiques. Vous avez constaté que le programme a un accent économique très développé. Une telle visite permet de tester des secteurs classiques, mais aussi innovants.

Il y aura même un aspect maritime avec la visite de Jan De Nul, une compagnie qui pour nous est une société belge et pour vous une société luxembourgeoise. Tout le monde est donc content.

On va parler d’hydrogène alors qu’on est en pleine transition énergétique et industrielle. Nous sommes encore en train de chercher, aux niveaux national, du Benelux et de l’UE, comment atteindre l’autonomie stratégique.

En 2019, l’accent a notamment été mis sur l’innovation médicale, l’espace et la finance. Quelles sont les retombées concrètes de la visite d’État des souverains belges au Luxembourg ?

L’aspect le plus important est en effet d’effectuer un suivi. Depuis mon arrivée, j’ai beaucoup travaillé sur les retombées de la visite de 2019, qui sont conséquentes, et ce, à plus d’un égard. Je citerais surtout la défense et le spatial, mais aussi l’innovation et la coopération médicale.

Lorsque j’ai participé, en 2023, à la conférence GovSatCom, je suis tombé par hasard, dans une petite salle annexe, sur des représentants des secteurs de la défense du Benelux. Ce qui m’a fait énormément plaisir, c’est qu’ils se soient trouvés là sans injonction politique. La coopération du bas vers le haut est quelque chose qui a bien décollé.

L’étroite relation entre les deux pays est-elle vue du côté de la Flandre de manière aussi positive qu’à Bruxelles et dans les provinces francophones, sachant que cette région est plus éloignée que ces dernières du Grand-Duché?

J’en suis persuadé, mais ce n’est pas identique. L’expérience des Belges néerlandophones avec le Luxembourg est un peu différente, même si chaque Flamand connaît les stations d’essence de Capellen et Berchem, qui bizarrement portent des noms que l’on retrouve aussi en banlieue d’Anvers (il rit).

Et puis, chez nous, à la côte, depuis belle lurette, on connaît beaucoup de Luxembourgeois. Donc, cette proximité est aussi ressentie du côté néerlandophone, même si l’expérience est vue avec un peu plus de distance.

Qu’en est-il des relations commerciales entre la Flandre et le Luxembourg ?

Avec mon homologue Jean-Louis Thill, on est engagés pour développer davantage les liens économiques. Et ça commence à marcher. De plus en plus de sociétés flamandes sollicitent l’ambassade pour avoir une assistance.

Il s’agit d’entreprises travaillant dans le domaine des énergies renouvelables, mais pas seulement. C’est bien plus large, avec des sociétés du secteur logistique ou de la construction, notamment pour bâtir les ponts servant à développer le réseau cyclable au Grand-Duché.

La Flandre est toutefois en première ligne pour la production d’énergie renouvelable, notamment sur et autour de la mer du Nord. L’accent est-il davantage mis sur ce volet en matière d’approfondissement des relations économiques ?

On connaît le Luxembourg comme membre du sommet de la mer du Nord. Après cette alliance dans l’offshore, on va aussi devenir des alliés pour l’hydrogène. Mais les contacts sont beaucoup plus larges.

Des sociétés actives dans la logistique se manifestent également, tout comme des galeries d’art. C’est très diversifié.

L’apport du Grand-Duché dans cette alliance de l’énergie éolienne se limitera-t-il au financier ?

Il y a un mythe qui veut que le Luxembourg n’intéresse ses voisins que pour l’aspect financier. Ce n’est pas du tout le cas. Au contraire, le Grand-Duché est un allié et partenaire stratégique.

Nous avons compris depuis très longtemps qu’au sein de l’Europe, lorsqu’on peut faire valoir un point de vue avec un cachet Benelux, on pèse bien plus que si on le faisait individuellement.

Automatiquement, d’autres pays viennent s’ajouter au club, parce qu’ils n’ont pas à choisir entre Paris et Berlin. J’ai l’impression que depuis le Brexit, ce phénomène s’accentue davantage.

Le Benelux garde donc toute son importance, plus de 75 ans après sa création ?

Il faut toujours préciser de quel Benelux on parle. Il y a celui du secrétariat, qui a sa propre légitimité. Il a une vocation plus technique, mais joue un rôle de précurseur pour le reste de l’Europe.

On ne le sait pas assez, mais la Commission européenne s’inspire régulièrement du travail qui peut être beaucoup plus rapidement conclu au niveau du Benelux. Je vous donne un bête exemple : les règles pour l’utilisation de drones civils dans l’espace aérien.

C’est plus facile de le faire à trois et d’exporter nos expériences aux 24 autres pays membres de l’UE.

Le maintien de l’essor économique du Luxembourg est d’un intérêt stratégique pour la Belgique

Quelle est la perspective que vous accordez à cette alliance tripartite ?

Je trouve que l’on pourrait peser encore davantage, en mettant en place une antenne dans une de nos trois représentations permanentes auprès de l’UE (NDLR : à Bruxelles), situées autour de la place Schuman, même si le siège du Benelux, rue de la Régence, n’est éloigné que de quelques kilomètres à peine des institutions européennes.

En attendant, le Benelux politique continuera à faire ses preuves. Il s’agit de rencontres informelles avant chaque Conseil européen ou Conseil de ministres, notamment dans le domaine des Affaires étrangères, du Transport ou de la Défense. Les autres États membres ont tendance à suivre le positionnement du Benelux, qui n’est jamais orienté vers l’un ou l’autre extrême.

On cherche à trouver le juste milieu, dégager un compromis en étant la voix de la raison, tout en restant les pieds sur terre, et en ayant perpétuellement comme but d’agir dans l’intérêt européen.

Vous venez de mentionner le volet de la Défense. Comment s’organise la coordination bilatérale à la lumière de la guerre en Ukraine ?

Les échanges informels ont lieu entre les ministres de la Défense. Derrière, il y a des échanges plus technocrates entre chefs de cabinet et états-majors, le tout sous le toit du « Benelux Steering Group« .

À ce niveau, on parle aussi de nos efforts individuels et conjoints pour venir en aide à l’Ukraine. On échange nos plans, projets et problèmes, ce qui nous permet de nous adapter aux intentions et besoins de l’un et de l’autre.

La Belgique et le Luxembourg exploitent ensemble une flotte binationale d’avions A400M, en attendant la création, à l’horizon 2030, d’un bataillon de 700 soldats. Cette coopération militaire sert-elle autant la cause de l’armée belge que celle des forces armées grand-ducales ?

Notre coopération militaire a des racines historiques beaucoup plus anciennes. Lors du débarquement de Normandie, une brigade binationale était déjà engagée.

Il y a aussi eu le bataillon commun envoyé en Corée. Et puis, au-delà de l’A400M et du futur bataillon, il existe bon nombre d’autres domaines de coopération, que ce soit la défense de l’espace aérien, les tireurs d’élite, la cyberdéfense, le domaine médical ou la logistique.

Il y a aussi la coopération spatiale. Aucun navire de la marine belge ne rentre au port sans être appuyé par un satellite luxembourgeois de communication et de navigation.

L’autre grand aspect qui caractérise les relations bilatérales est l’important flux de travailleurs frontaliers. Quel est l’état des lieux ?

Parmi les 228 000 frontaliers, on dénombre environ 50 000 Belges. Nous avons beaucoup travaillé avec la Fondation Idea et le Conseil économique et social sur l’horizon 2050 et la perspective d’un doublement du nombre de travailleurs frontaliers et de la population luxembourgeoise.

Le maintien de l’essor économique du Luxembourg est d’un intérêt structurel et stratégique pour la Belgique. Les effets qu’on aura en termes de problèmes de mobilité ou de logement vont aller crescendo. Gouverner, c’est prévoir; ne rien prévoir, c’est courir à sa perte. Dans un avenir proche, je pense que nos responsables politiques pourront parler à bâtons rompus pour trouver des solutions.

Le Grand-Duché est un pays qui est en train de dépasser ses frontières physiques. Il n’y a aucun souci pour nous, au contraire. Mais je tiens à mettre en exergue que nous, Belges, mettons davantage l’accent sur les opportunités à saisir que sur des problèmes qui sont bien surmontables.

Mais est-ce que l’on n’atteint pas des limites, sachant que les entreprises grand-ducales déplorent une pénurie de main-d’œuvre accentuée ?

Je pense qu’il est trop tôt pour se prononcer, car nous traversons une période qui voit des transformations. Quand je suis arrivé ici en pleine période covid, on parlait du télétravail comme d’une solution temporaire. Entretemps, on a compris que le télétravail aide à transformer certains secteurs.

Est-ce que c’est durable et est-ce que cela va perdurer sur le long terme? La poussière doit encore retomber avant de pouvoir dresser un bilan. Nos gouvernements respectifs ont agi avec prévision et prudence en augmentant le nombre de jours de télétravail, sans pour autant tout de suite y mettre le paquet.

Le cadre existant est-il satisfaisant pour attirer la main-d’œuvre en nombre suffisant ?

La nervosité ne se limite pas aux régions limitrophes. J’entends le même son de cloche en Flandre et aux Pays-Bas. Et puis, il y a aussi une nouvelle génération qui fait des corrections sur ses valeurs, sur la relation entre travail, bien-être et vie de famille.

Cette nouvelle génération est en train de prendre ses marques. Mais est-ce que tout cela va durer? Tout dépend aussi du climat économique. Si jamais il se détériore, est-ce qu’il n’y aura pas un retour en arrière? J’ai du mal à apporter un jugement à ce stade-ci.

Le 31 juillet, vous allez achever votre mandat d’ambassadeur au Luxembourg. Quel bilan tirez-vous de votre parcours, qui est couronné en quelque sorte par la visite d’État qui s’annonce ?

Je suis arrivé en pleine crise pandémique avec des tensions politiques, pas entre nos deux pays, mais sur la solidarité européenne. On a tendance à l’oublier, mais on a aussi digéré le Brexit. Quand je suis arrivé, le thème numéro un à l’agenda européen, et donc aussi à l’échelle du Benelux, était la transition énergétique.

Trois ans et demi plus tard, on parle surtout défense et matériel de guerre. J’ai eu un mandat avec des élections au Luxembourg et le passage d’un gouvernement Bettel à un gouvernement Frieden. Je vais terminer en quelque sorte sur une fête de famille, sans oublier la présidence belge du Conseil de l’UE et les élections européennes.

État civil. Thomas Lambert est né le 22 août 1970 à Louvain. Il est marié. 

Études. En 1994, il décroche une licence en droit à l’université catholique de Louvain. Un échange Erasmus l’amène pendant une année à Aarhus, au Danemark.

Carrière. De 1994 à 1998, Thomas Lambert exerce comme avocat, d’abord à Louvain avant de passer dans une plus grande étude à Bruxelles.

Diplomate. Un stage diplomatique, effectué en 1998, ouvre la voie diplomatique à Thomas Lambert qui officiera notamment aux représentations de la Belgique auprès de l’ONU à New York, de l’Organisation mondiale du commerce à Genève et de l’UE à Bruxelles.

Ambassadeur. Après avoir été ambassadeur suppléant aux États-Unis (2013-2017), Thomas Lambert officie, entre 2019 et 2020, comme conseiller diplomatique de la Première ministre belge Sophie Wilmès. En septembre 2020, il est nommé ambassadeur de Belgique au Luxembourg.

Un commentaire

  1. La belgique est dans un etat psychatrique particulièrement inquietant en matiere de deni des réalités. Sa classe politique relaie des idees aussi nouvelles que 1970. De gauche a droite. Il manque un vrai parti, le parti travailliste de ligne britannique, qui enverrait ses opposants dans la case du 20% et ne revient plus. Un parti qui permet a une femme d avorter en portant le voile islamique.