Un repas de famille qui dégénère, un prévenu déjà condamné pour violences et une famille qui tente de le disculper. Les magistrats n’en croient pas leurs oreilles.
«Si quelqu’un me mord, je m’en souviens. On vous mord souvent ?» Aux policiers, la victime présumée a raconté avoir été mordue dans la main par son mari. À la barre de la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg lundi, elle ne s’en souvient plus et se contredit. «Vous êtes sous la foi du serment», lui rappellent le procureur et le président de la chambre correctionnelle. «À lire le procès-verbal de la police, on croirait que votre mari vous a étranglée et à présent, on dirait qu’il vous a à peine touchée», note ce dernier. «Mon mari m’a juste repoussée et m’a demandée de ne pas me mêler de la dispute, répond la victime présumée. Il ne m’a pas mordu. Il n’a touché personne. »
Le 24 septembre 2021, la victime présumée déjeunait en famille quand une dispute a éclaté entre un de ses fils et son époux, Franklin. La situation a dégénéré. Franklin, 49 ans, n’a pas supporté que son fils lui parle mal et a voulu le punir en le privant d’ordinateur. «Mon fils a donné des coups de pied et de poing à mon mari», témoigne la mère de famille. «À la police, vous avez dit que la bagarre avait dégénéré quand votre mari a voulu frapper votre fils avec le clavier d’ordinateur, lui rappelle le procureur. Vous dites également que vous vous êtes retrouvés au sol.»
Les versions de la victime présumée sont «à géométrie variable», selon les magistrats qui perdent patience. «Le ministère public a cité le mauvais prévenu», ironise le président de la chambre correctionnelle. «Votre mari a déjà été condamné pour le même genre d’infractions. On dirait que vous prenez fait et cause pour lui.» Le prévenu avait été condamné en 2017 pour des faits de violence domestique à l’encontre du témoin. Las, le président de la chambre correctionnelle s’emporte : «Reconnaissez que vous changez de version parce que votre couple va mieux, mais ne me dites pas que vous ne vous souvenez plus de rien.»
«Mon père ne voulait pas sortir de ma chambre», témoigne Wilson, 19 ans. «J’ai essayé de le repousser. Je lui ai donné un coup de pied. Mon père n’a frappé personne. Il ne s’est pas montré agressif envers ma mère.» «Il ne vous a pas non plus menacé de vous tuer ou de vous frapper ?», lance le président. «Pourquoi avoir retenu votre père avec votre frère aîné si vous n’aviez pas l’impression qu’il allait faire quoi que ce soit ?» Le jeune homme n’est pas plus convaincant que sa maman à la barre. Le procureur le confronte aux déclarations de son frère aîné à la police le jour des faits. Le jeune homme met le tout sur le compte de la panique qui régnait dans la maison.
«Mon fils m’a traité de clown»
Le prévenu, quant à lui, dit qu’il a «peut-être» fait ce qu’on lui reproche. Lui non plus ne se rappelle pas des faits, mais indique que «c’est possible», «à 100 % presque sûr» parce que «j’ai perdu complètement le contrôle». «Mon fils m’a traité de clown parce qu’il n’a pas supporté que je parle de sa copine qui avait rompu avec lui», explique le prévenu. «Je lui ai demandé d’arrêter de me manquer de respect, sinon je le frappais avec le clavier.» Franklin dit avoir réagi violemment au fait que sa femme le poussait dans le dos. «Je me suis retrouvé au sol avec mon fils qui me donnait des coups de poing», poursuit-il. «Ils se sont assis sur moi pour m’empêcher d’agresser Wilson.» Le prévenu aurait demandé à ses autres fils de prévenir la police pour mettre un terme à la situation.
Franklin reconnaît avoir des «problèmes nerveux» et du mal à gérer ses émotions. «Je suis plusieurs traitements», explique-t-il. «Il est celui des trois qui paraît le plus honnête dans ses propos», assure le président de la chambre correctionnelle. Le procureur acquiesce. Il indique au début de son réquisitoire que «nous nous trouvons face à un dossier typique de violence domestique» avec «comme souvent des victimes qui changent de version à la barre». Il demande au tribunal de ne prendre en compte que les versions données au moment des faits. Il estime que les coups et blessures volontaires et les menaces sont donnés. Il a requis une peine de prison de 24 mois à l’encontre du prévenu.
Son avocat admet avoir également été surpris par les versions de l’épouse et du fils du prévenu. Ce dernier n’aurait pas conscience d’avoir mordu son épouse. Quant à son fils, «Wilson a toujours dit que son père ne l’avait pas menacé de mort», assure-t-il. Donc, il faudrait acquitter Franklin sur ce point. «Il n’a jamais eu l’intention de blesser son fils», avance-t-il encore. «Wilson le savait et ne s’est pas senti menacé.» L’avocat demande l’acquittement de son client des chefs de menace des coups et blessures volontaires et de coups et blessures volontaires.
Franklin a reconnu ses accès de colère et ne s’est pas servi des versions de ses proches pour se disculper, pointe l’homme de loi. Il ne devrait donc pas être indigne de la clémence de la chambre correctionnelle. «Tout sursis est exclu et un sursis probatoire tomberait en cas d’emprisonnement», avertit l’avocat qui demande que si son client venait à être condamné à une peine de prison ferme, elle soit commuée en travaux d’intérêt général.
Le prononcé est fixé au 19 mai.