Les gelées du début de la semaine passée n’ont causé aucun dégât dans les vignes. Mais tous les risques ne sont pas écartés pour autant… Certains modèles météorologiques ne sont pas rassurants.
Près de -5 °C à 20 cm du sol juste avant le lever du soleil, -3,3 °C à 2 m de hauteur : voilà les records de températures enregistrées à la station météorologique de Remich mardi dernier. Ces gelées blanches ont rappelé à tous les vignerons que l’on arrivait dans une période critique contre laquelle il n’y a pas grand-chose à faire : les gelées tardives vont être l’épée de Damoclès de ces prochaines semaines. Heureusement, il est encore trop tôt pour qu’elles causent des dégâts. « Les vignes ne sont pas encore débourrées, elles ne risquent rien », rassure Marc Desom (Caves et Domaine Desom, à Remich). Le débourrement, c’est le moment où le bourgeon s’ouvre sous la pression de la sève, ce qui lance la reprise de la période végétative. Il s’agit aussi de l’étape où la plante est la plus fragile, elle craint aussi bien la morsure du froid que celle des mange-bourgeons, ces insectes qui se régalent de ces pousses tendres.
Mais en ce moment, « les bourgeons ne commencent qu’à gonfler », confirme à son tour Frank Schumacher (domaine Schumacher-Knepper, à Wintrange).
Encore un bon mois…
Néanmoins, il s’en est fallu de peu. Après deux nuits froides, les températures sont nettement remontées. Le mercure a ainsi franchi la barre des 15 °C jeudi. De l’humidité (car il pleut, enfin) et de la chaleur : voilà ce qu’attendent toutes les plantes pour sortir de l’hiver. « Ça peut aller vite maintenant, c’est sûr, relève Frank Schumacher. Si les températures se maintiennent, la vigne pourrait repartir dès la semaine prochaine. » Marc Desom acquiesce : « Le processus est en cours, ça ne va plus tarder. »
Même si les prévisions météo sont indécises pour la semaine prochaine, les vignes luxembourgeoises devraient être à l’abri des prochaines gelées. Un anticyclone en train de s’installer sur le nord de l’Allemagne et la Scandinavie devrait amener une vague de froid sur le pays. Les prévisionnistes français placent les vignobles du nord-est de l’Hexagone (Alsace et Champagne) en vigilance pour lundi. Ils attendent par contre une offensive du froid sur tout le nord de la Loire pour le lendemain. MeteoLux annonce que des températures minimales de -1 °C sont attendues pour lundi et mardi.
Les vignerons sont donc encore sereins, mais le risque perdurera encore un bon mois. Les saints de glace que sont Saint-Mamert, Saint-Pancrace et Saint-Servais ne se fêtent que les 11, 12 et 13 mai.
Avec le réchauffement climatique, les vignes ont tendance à démarrer leur croissance bien plus tôt qu’auparavant (moins cette année, où la fin de l’hiver et le début du printemps sont plutôt frais). Cela peut être une chance quand tout se passe bien, puisque les vignerons ont la possibilité de vendanger des raisins parfaitement mûrs à la sortie de l’été. Mais le risque des gelées tardives est d’autant plus important que les bourgeons apparaissent tôt dans la saison. Par chance, le Luxembourg a moins souffert que beaucoup de vignobles relativement proches ces dernières années, la Bourgogne en premier lieu.
En 2021, ce n’était pourtant pas passé loin avec des températures négatives les 7 et 8 avril. En 2019, 40 % de la récolte avait été perdue dans la nuit du 4 au 5 mai dans une configuration jamais vue. Bizarrement, le froid avait été plus rude sur les coteaux orientés au sud, pourtant logiquement mieux exposés que les autres. En 2016, le gel avait saisi les vignes dans la nuit du 23 au 24 avril.
La vaine est vaine
Ces dernières années, on a souvent vu ces images des vignes (en Bourgogne, dans le Rhône…) illuminées par des bougies qui flambent en pleine nuit pour tenter de réchauffer l’atmosphère. L’effet visuel est très joli, mais l’efficacité est très relative et les nuisances réelles, puisque ces fumées (bois, pétrole, gaz, paraffine…) ont été jusqu’à causer d’importants pics de pollution dans les vallées.
Pour tenter de sauver ce qui peut l’être, on peut aussi utiliser des éoliennes (fixes ou mobiles), voire faire voler des hélicoptères à basse altitude pour brasser les couches d’air, les plus froides étant les plus proches du sol. Les coûts énergétiques peuvent être faramineux, pour des résultats pas toujours probants, là non plus. Certains vignerons utilisent des fils de palissage chauffants, qu’ils branchent lorsque les conditions sont critiques. Le système est assez efficace, mais idéalement, il faut l’installer dès que l’on plante la vigne. Des sociétés travaillent aussi sur des biostimulants qui permettraient à la vigne de mieux résister aux assauts du froid. Les études sont en cours.
Pendant quelque temps, dans la deuxième moitié du XXe siècle, les vignerons de Stadtbredimus et de Wintrange s’étaient unis en coopératives pour créer et entretenir un système d’aspersion des vignes. Lorsque le froid arrivait, on les aspergeait et les bourgeons étaient pris dans une gangue de glace qui, paradoxalement, les protégeait du grand froid selon l’effet igloo. Mais ces infrastructures demandant beaucoup d’entretien, elles ont été abandonnées.
Aujourd’hui, les Luxembourgeois ont pris le parti du fatalisme. La débauche de moyens observée ailleurs n’ayant pas fait de miracle, ils ont le plus souvent pris le parti (avec l’aide de l’État) d’assurer une partie de leur récolte contre cet aléa climatique. Mais la recrudescence des années avec des pertes causées par le gel (2017, 2019, 2021…) a fait monter le coût des primes…
Le gel est un des risques majeurs pour les vignerons, et peut-être le seul (avec la grêle) contre lequel ils ne peuvent rien faire. Alors que la saison ne fait que commencer, un producteur peut perdre une bonne partie de sa récolte et donc de son revenu annuel. Pendant un mois, le stress est permis.
«Nous ne sommes pas dans une année précoce»
L’agriculteur Jean-Claude Muller (ferme Muller-Lemmer, à Contern) possède, entre autres, de nombreux arbres fruitiers desquels il tire, notamment, d’excellents alcools (liqueurs et eaux-de-vie). Le coup de gel n’a pas causé de dégâts chez lui non plus.
Avez-vous eu peur de ces gelées du début de la semaine ?
Jean-Claude Muller : Non, puisque aucune fleur n’était encore sortie. Dans mes vergers, j’ai enregistré jusqu’à -2 °C, ce qui ne cause aucun dégât à ce stade-là. Nous ne sommes pas dans une année précoce et je préfère largement ça. Il a fait chaud jusqu’à Noël, mais il a fait froid ensuite, ce qui a endormi la végétation. En mars, les températures ont été assez basses et, depuis, il a fait assez froid et sombre, ce qui n’a pas incité les arbres à relancer leur croissance.
Quand est-ce que les premières fleurs vont sortir ?
Chez moi, je pense que les cerisiers et les pruniers (surtout les quetsches) seront en fleur vers Pâques, à la fin de la semaine prochaine. L’année dernière, ils l’étaient dès la mi-mars.
Est-ce qu’une année tardive vous garantit de passer à côté des dégâts du gel?
Non, parce que le risque peut perdurer longtemps. Les saints de glace n’ont lieu qu’à la mi-mai. 2017, par exemple, n’avait pas été une année précoce, mais il avait gelé jusqu’à -8 °C les 14, 15 et 16 avril. Cette année-là, j’avais vraiment perdu beaucoup. Pour les fruits, c’était la pire année de mon exploitation.