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Une «procédure spéciale» de l’ITM en cas de harcèlement au travail


Le nouveau cadre légal instaure notamment une protection des victimes contre les représailles, y compris le licenciement. (Photo : adobe stock)

Malgré des représentants du patronat vent debout contre le projet, la nouvelle loi pour prévenir le harcèlement moral au travail a été adoptée jeudi par les députés.

Malgré une opposition ferme et unanime du patronat, le gouvernement a obtenu jeudi, à la Chambre des députés, l’adoption de son projet de loi contre le harcèlement moral au travail, porté par le ministre socialiste Georges Engel – mesure qui figurait dans l’accord de coalition conclu en 2018.

À la tribune du Parlement, le ministre du Travail a insisté sur le caractère «inacceptable» de ce genre de comportement et la nécessité d’un cadre légal clair, «dans l’intérêt des employeurs et des salariés».

Très attendu, alors que les cas de harcèlement se multiplient ces dernières années (lire ci-contre), le texte détaille une série d’obligations pour les employeurs qui constatent un cas de harcèlement moral au sein de leur entreprise. Avec, si la situation venait à perdurer, le lancement d’une procédure spéciale par l’Inspection du travail et des mines (ITM).

La loi prévoit que l’administration instruise le dossier et auditionne victime et auteur présumé, avant de rendre ses conclusions sous 45 jours. L’employeur sera contraint d’appliquer les recommandations de l’ITM pour faire cesser le harcèlement, faute de quoi, des sanctions administratives et pénales lui seront infligées.

Calqué sur la législation pour le harcèlement sexuel

Afin d’éviter que la victime ne dénonce pas les faits, par craintes de représailles, le nouveau dispositif se calque sur la législation en vigueur pour le harcèlement sexuel, et prévoit de la protéger, y compris du licenciement. Les éventuels témoins aussi. Concrètement, sa réintégration dans l’entreprise pourra être ordonnée par simple requête.

Autre point essentiel par rapport au cadre actuel : le salarié pourra désormais résilier son contrat de travail à tout moment et sans préavis, avec dommage et intérêts à charge de l’employeur.

En attendant une décision judiciaire, l’employé contraint de démissionner ou licencié abusivement pour faute grave, sera autorisé à percevoir une indemnité de chômage. Ce sera à la partie condamnée par la justice à l’issue du procès de rembourser au Fonds pour l’emploi les indemnités versées par provision.

Dialogue social «bafoué» : le patronat s’étrangle

De quoi faire bondir les représentants du patronat, galvanisés contre ce projet de loi, dont ils ont demandé le retrait encore ces derniers jours. D’une même voix, l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), la Chambre de commerce et la Chambre des métiers, dénoncent le mépris total du dialogue social, «bafoué» dans ce dossier, le gouvernement n’ayant pas jugé utile de les consulter.

Les organisations patronales jugent l’accord interprofessionnel, conclu entre partenaires sociaux en 2009, et toujours en vigueur aujourd’hui, amplement suffisant pour régler les problématiques liées au harcèlement moral, et pointent une certaine «insécurité juridique» en vue de la coexistence des deux régimes.

Sans surprise, l’idée de la saisine de l’ITM à travers une «procédure spéciale d’intervention» ne réjouit guère les représentants des employeurs : ils arguent qu’il est «extrêmement complexe» de distinguer ce qui relève du harcèlement moral ou pas, à cause d’une «forte empreinte subjective et émotionnelle».

Et ils ajoutent – citant la jurisprudence – que «l’exercice normal et légitime du pouvoir hiérarchique» ne signifie pas harcèlement, et qu’un supérieur doit pouvoir «émettre des critiques au sujet du travail presté».

Enfin, sur la possibilité de contester un licenciement pour faute grave qui interviendrait en représailles, les patrons y voient surtout une opportunité pour les «salariés mal intentionnés» de brandir le harcèlement moral juste dans le but de toucher le chômage.

Avant son entrée en vigueur, le projet de loi doit encore être dispensé d’un second vote de la Chambre, avant d’être publié au Journal officiel.

Deux salariés sur dix concernés

Selon l’enquête Quality of Work menée en 2019 par l’université du Luxembourg pour la Chambre des salariés, deux salariés sur dix sont victimes de harcèlement moral.

L’OGBL ajoute, de son côté, que le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche est particulièrement frappé par le phénomène.

Quant à l’ASBL Mobbing, qui accompagne les victimes, elle est contactée chaque année par 600 à 700 personnes. En 2022, la plupart (65 %) étaient des femmes, de nationalité luxembourgeoise (32 %), travaillant dans les domaines de la santé et de l’action sociale, du commerce ou de l’éducation. Le secteur privé représentait plus des trois quarts des plaintes, et celles-ci portaient sur des faits se produisant tous les jours ou presque selon les victimes.