Yvonne soutient avoir menti pour pouvoir rester en Europe et rembourser une dette contractée par son père. Jamais la Camerounaise n’aurait eu l’intention de profiter du système.
La peur, la pression familiale et un mensonge aux autorités luxembourgeoises ont amené Yvonne face à la 13e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. L’histoire de cette Camerounaise de 28 ans illustrerait parfaitement le vécu des «produits de l’immigration», selon son avocat. Au terme d’une traversée du continent africain et d’une partie de l’Europe, la jeune femme a posé le pied sur le territoire luxembourgeois et s’est présentée au service des étrangers de la direction de l’Immigration route d’Arlon le 30 janvier 2022 dans le but de régulariser sa situation et d’obtenir de l’aide. Yvonne a menti à l’employée qui l’a reçue : elle a prétendu avoir été victime de traite des êtres humains et avoir été forcée à se prostituer en Turquie.
La cellule Recherche fugitifs et protection des victimes de la police judiciaire est alertée et la jeune femme est interrogée dans la foulée. Mais Yvonne peine à convaincre les policiers en raison de la pauvreté de son récit et d’images découvertes sur son téléphone qui infirmaient ses propos. «Elle nous a dit avoir été séquestrée pendant des mois, mais elle n’était pas capable de nous livrer des détails», se souvient entre autres un policier.
Obligée de mentir pour se «sauver»
«Elle n’a pas non plus accepté de nous laisser exploiter son smartphone. Elle nous a demandé de pouvoir le conserver pendant une semaine avant de prétexter l’avoir perdu.» Yvonne s’est enferrée dans un mensonge duquel elle n’est plus parvenue à se sortir. Elle est accusée de fausse alerte et fausse déclaration en vue d’obtenir des subventions, et d’outrage à la police.
«Mon père a emprunté de l’argent au Cameroun pour pouvoir m’envoyer en Europe. L’employée du ministère des Affaires étrangères m’a dit que je n’avais rien à faire au Luxembourg et que je devais rentrer dans mon pays. J’ai vu des hommes avec des badges marqués police. J’ai eu peur», raconte en pleurs la jeune femme. «Pourquoi ne pas avoir fait de demande classique de protection internationale ?», la questionne la juge qui se demande si «quelqu’un ne lui aurait pas conseillé de raconter cette histoire de traite des êtres humains».
Yvonne répond avoir «été obligée de raconter n’importe quoi» pour se «sauver» et pouvoir rembourser la dette contractée par son père. Un retour à la case départ était inenvisageable pour celle qui s’est dit «sous la pression familiale».
Des aides et des abus
«Yvonne a dû commettre une faute pour ne pas retourner en enfer», l’a défendue son avocat, qui a «fait appel au visage humain de la justice». Sa cliente «ne connaît pas le fonctionnement de l’immigration, ne connaît pas les aides. Elle a répété ce qu’on lui a demandé de dire», note-t-il. Aujourd’hui, elle serait prête à assumer son erreur.
Il plaide en faveur d’une suspension du prononcé en sa faveur, d’une peine assortie du sursis intégral ou de travail d’intérêt général. Sa cliente est en aveux et primo-délinquante. Elle souhaiterait juste pouvoir venir en aide à sa famille, dit-il. Et aurait, pour cela, accepté les tâches les plus ingrates.
«Là où il y a des aides, il y a des abus», a constaté le représentant du ministère public, qui regrette le gaspillage de ressources humaines et financières consécutif au mensonge de la jeune femme. «La police a pris le temps de traiter son histoire et elle a affiché ennui et désintérêt, alors qu’elle se disait victime de faits graves.» Sans compter les audiences maintes fois repoussées. Le procureur fulmine.
«Elle a raconté avoir été violée et ne parvient pas à donner de détails», «avoir été séquestrée, privée de téléphone et de passeport par son proxénète, alors qu’elle se déplaçait manifestement librement en Turquie», a constaté le magistrat. «C’était suffisamment grave pour justifier l’intervention de la police.» Ainsi que le déploiement de moyens spéciaux d’aide et de protection, comme des allocations financières mensuelles d’aide à l’habillement et à l’hygiène, un logement subventionné ou encore un smartphone dont les télécommunications étaient prises en charge.
Le procureur veut «envoyer un message clair et sévère pour décourager les abus du système». Il a requis une peine de 26 mois de prison, dont au moins 6 mois ferme, et une amende appropriée contre Yvonne.
Le prononcé est fixé au 22 juin.