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Un dealer écope de 30 mois de prison ferme


Le prévenu est un dealer parmi d’autres dans le quartier de la gare, à Luxembourg. (Photo : archives lq/claude lenert)

Le prévenu «ne veut pas comprendre», alors la justice a sévi. Son avocat avait laissé entendre qu’il n’avait pas d’autre choix que de dealer de la drogue. Des quantités infimes.

Kevin est un de ces jeunes hommes d’origine africaine qui vendent de la drogue dans le quartier de la gare, à Luxembourg. Il a été condamné à une peine de 30 mois de prison pour trois affaires de vente de stupéfiants ainsi que pour ne pas avoir respecté la décision d’éloignement et l’interdiction d’entrer sur le territoire luxembourgeois prononcées contre lui en 2020. Le jeune Ougandais de 26 ans vit à Metz et traverse régulièrement la frontière pour vendre des stupéfiants – de la marijuana, de la cocaïne et de l’héroïne – aux toxicomanes luxembourgeois.

À la barre de la 18e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg, le 6 juillet dernier, il s’était excusé et avait prétendu avoir détenu la cocaïne pour sa propre consommation et celle d’amis. Pourtant, il a été pris à trois reprises par la police en juin 2020, en janvier et février 2021, ainsi que le 16 janvier dernier avec des boules de diverses drogues en sa possession. «Normalement, quand on habite en France et qu’on veut acheter de la drogue, on descend du train, on achète et on repart», avait avancé le président de la chambre correctionnelle. «Dommage que les deux policiers qui devaient témoigner dans cette affaire ne soient pas présents pour décrire les conditions dans lesquelles il a été arrêté.»

Le prévenu avait insisté : il n’a jamais vendu de stupéfiants, les trois fois où il a été arrêté par la police sont les trois uniques fois de sa vie où il en a acheté et l’argent qu’il avait sur lui provenait de gains de jeux de hasard à gratter. Des explications difficilement crédibles étant donné que le jeune homme a déjà été condamné à plusieurs reprises en Suisse entre 2015 et 2018 pour avoir vendu des stupéfiants. «C’est à se demander s’il n’a pas du mal à comprendre que la vente de stupéfiants est interdite», a commenté le président de la chambre correctionnelle.

Le procureur avait estimé quant à lui que les indices du commerce de stupéfiants étaient présents à suffisance dans le dossier, outre les condamnations de Kevin. «La vente de marijuana était documentée sur son téléphone», avait-il précisé. Le conditionnement des stupéfiants saisis et leur variété «montrent qu’il était prêt pour tout type de vente» à une clientèle variée. En outre, «quand il voit la police, il se met à courir et il se débarrasse de la drogue qu’il a sur lui», avait noté le magistrat, qui avait précisé que le prévenu se fait remarquer par la police pour ses activités entre chaque remise en liberté après avoir été en détention préventive.

«Illustration d’une problématique»

«La justice lui a donné assez de chances pour l’aider à comprendre», avait estimé le procureur. «Comme il ne semble pas vouloir comprendre, il faut le condamner à une peine plus sévère.» Idem en ce qui concerne son interdiction de territoire décrétée par arrêté ministériel le 5 mars 2020. «Le prévenu prétend ne pas comprendre en quoi cela consiste alors qu’on lui réexplique chaque année.» Le représentant du parquet avait requis une peine de 36 mois de prison à son encontre et s’était opposé à un sursis.

Une peine très longue. Trop longue pour l’avocat de Kevin, Me Eric Says. «Elle n’est pas justifiée au regard des quantités. Presque tous les dealers de la gare en ont autant. Ce n’est pas l’affaire du siècle», avait-il tenté. «Malheureusement, ces jeunes hommes arrivés par bateau n’ont pas le droit de travailler. Cela n’excuse pas le fait de commettre des délits, mais son cas illustre la problématique de ces hommes qui fuient leur pays dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie ailleurs.»

L’avocat a fait de son mieux pour défendre Kevin. «Le consommateur, qui est également le témoin, a dit lui-même que pour lui toutes les personnes d’origine africaine se ressemblent.» «Vous oubliez que les policiers l’ont observé avant de l’interpeller», avait noté le juge. L’avocat avait encore essayé : l’argent que le prévenu avait sur lui provenait de la pension qu’il reçoit en tant que demandeur de protection internationale et «36 mois, c’est disproportionné. Qu’est-ce que trois ans? On peut en faire des choses en trois ans!» Me Says avait demandé au tribunal de ne pas prononcer de peine de prison plus élevée que les huit mois qu’il a passés en détention préventive.

Le président de la chambre correctionnelle lui avait rétorqué que pour lui, les 36 mois n’étaient pas une peine disproportionnée : «Quel message une société doit-elle donner pour faire comprendre que cela suffit?»