Accueil | A la Une | ULC : «Les consommateurs, aussi, ont besoin de prévisibilité» 

ULC : «Les consommateurs, aussi, ont besoin de prévisibilité» 


«Si la France a réussi à faire passer sa subvention de 18 à 30 centimes, nous pensons que le gouvernement peut consentir à donner 15 centimes par litre de carburant.» (Photos : fabrizio pizzolante)

Nico Hoffmann, président de l’Union luxembourgeoise des consommateurs, exhorte les décideurs politiques à agir en prenant en considération l’expérience acquise par cette organisation vieille de 60 ans.

L’ULC aimerait en faire encore davantage pour la protection des consommateurs, mais ses moyens sont limités. En attendant, tous les collaborateurs triment pour rendre des avis, faire des expertises, monter des dossiers, en défendre certains devant les tribunaux, et surtout, pour dire au gouvernement tout ce qui ne va pas.

Votre activité a sensiblement augmenté en 2020. Cette hausse est-elle liée à la pandémie?

Nico Hoffmann : C’est juste, les chiffres ont augmenté dès 2020 et cette hausse est due en partie à toutes ces séries d’annulations de voyages qui ont surpris les gens lors de la pandémie. Cette situation particulière s’est calmée l’année dernière, mais nous avons tout de même reçu 46 000 appels de consommateurs et 17 000 e-mails en 2021.

Après la pandémie, la guerre en Ukraine est venue plomber le budget des ménages et leur moral. Qu’attendez-vous de la prochaine tripartite et avez-vous été satisfait de la dernière?

En tant qu’ULC, nous ne voulons pas nous exprimer sur l’accord trouvé par la tripartite, parce que nous avons deux organisations, membres de notre conseil d’administration, qui ont entériné l’accord et une autre qui l’a rejeté. Nous avons décidé de nous tenir à l’écart des discussions concernant l’issue de cette tripartite pour sauvegarder l’harmonie qui règne au sein de notre ASBL.

Cela étant dit, nous avons des avis très clairs sur la problématique du pouvoir d’achat des ménages, et selon les derniers chiffres du Statec, le taux d’inflation annuel moyen de 6,7 % doit déclencher une nouvelle tranche indiciaire avant la fin de l’année. On parle ici de moyens de subsistance pour tous ceux qui ont des difficultés à boucler les fins de mois.

Pour l’ULC, cette tranche indiciaire doit être versée en temps réel pour l’intérêt des consommateurs étranglés par la hausse des prix. Nous allons attendre les discussions de la tripartite et les nouveaux chiffres que le Statec doit livrer au gouvernement début septembre.

Nous avons déjà un aperçu de la rentrée avec les prix du gaz qui vont faire un bond de 80 %, selon les fournisseurs…

Oui, il faudra voir quel impact cette augmentation aura sur l’inflation. Nous vivons une période incertaine où personne ne sait de quoi demain sera fait et la situation peut vite changer. Espérons que la guerre en Ukraine trouve bientôt un dénouement, espérons aussi que la pandémie ne va pas repartir de plus belle à l’automne. Les pronostics sont difficiles à faire.

L’ULC demande au gouvernement de se montrer plus généreux en ce qui concerne l’aide sur les carburants. Qu’attendez-vous?

D’abord une prolongation de la subvention publique qui doit prendre fin ce 31 août. Par ailleurs, l’ULC avait demandé également que le gouvernement double cette subvention. Si la France a réussi à faire passer sa subvention de 18 à 30 centimes, nous pensons que le gouvernement peut consentir à donner 15 centimes par litre de carburant. Là, encore, cette proposition avait été faite quand les prix étaient au plus haut, mais ils n’arrêtent pas de varier. En tous les cas, il faut une aide jusqu’à ce que la crise énergétique s’atténue.

Le recours collectif est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur. Où en sont les travaux sur le projet de loi?

Le projet de loi a été déposé il y a deux ans. Le gouvernement a encore amendé le texte à la fin de l’année dernière, mais il n’y a toujours aucun avis du Conseil d’État. Il faut savoir que le délai de transposition de la directive européenne sur les actions représentatives est fixé au 25 décembre de cette année. Cela me paraît compromis pour le Luxembourg, alors que tout le travail parlementaire reste à faire. C’est très dommageable, car c’est un projet important. De plus, rien n’est prévu dans ce projet de loi en ce qui concerne le financement des actions collectives et pour cela, il faudra une seconde loi.

Le coût de l’assignation et des expertises est à la charge du demandeur, cela risque de coûter cher en avocat…

Nous sommes une ASBL, si nous devons financer deux ou trois recours collectifs dans l’année, on peut mettre la clé sous la porte! Comme nous l’avons indiqué dans notre avis sur le projet de loi, si l’ULC avait pu introduire un recours collectif concernant le dieselgate de Volkswagen, les coûts auraient été les mêmes que ceux engendrés par notre financement des quatre assignations individuelles déposées devant les tribunaux au Luxembourg.

D’ailleurs, ces affaires sont toujours en cours depuis quatre ans, nous attendons impatiemment un jugement, alors que dans d’autres pays, ils sont déjà tombés. Rien n’est prévu pour des associations comme l’ULC pour entamer et préfinancer la procédure jusqu’au prononcé du jugement. Nous ne savons pas dans quelle direction veut aller le gouvernement, mais il faudra que l’État finance un fonds spécial, peu importe son nom, pour permettre aux ASBL de financer les recours collectifs.

Vous avez gagné la bataille concernant la publicité du recours collectif…

Oui, le gouvernement voulait préserver la réputation du professionnel en taisant son nom jusqu’au jugement définitif. Les consommateurs lésés n’étaient invités à se manifester qu’à ce moment, alors que l’on sait que des années peuvent s’écouler et les preuves requises pour obtenir une indemnisation, comme des factures, risquent de ne plus être disponibles. Nous avons obtenu que le nom du professionnel soit publié dès la recevabilité de la plainte.

Si l’on veut vraiment mettre en pratique la solidarité, chère au gouvernement, alors on revoit tout le tableau d’imposition

En revanche, celle sur les frais bancaires et les fermetures d’agences vous a échappée…

Les frais bancaires et les fermetures d’agences, c’est un gros problème. Chaque semaine, des gens nous téléphonent pour s’en plaindre. D’abord, il y a les fermetures des filiales et une entreprise comme la Poste a mauvaise réputation aujourd’hui avec la fermeture de 40 agences ces dernières années.

Elle annonce une augmentation du prix du timbre en septembre alors que ces tarifs ont déjà augmenté en début d’année. Cette entreprise, dont Serge Allegrezza, directeur du Statec préside le conseil d’administration, qui appartient à l’État, devrait montrer le bon exemple et geler les prix au lieu de les augmenter. On pourrait parler des taux d’intérêt aussi. Il faut garder à l’esprit que dans ce pays, 25 % de la population est concernée par le risque de pauvreté et on ne connaît pas le chiffre exact.

Pendant ce temps, les frais financiers ont augmenté de 16 %. Beaucoup de personnes âgées n’ont pas accès à internet et elles ne veulent ou ne peuvent pas s’y mettre. Elles ont besoin d’un guichet pour leurs opérations, besoin d’un contact humain, et tout cela disparaît ou devient de plus en plus cher. Il faut donner plus de possibilités aux clients de se rendre à un guichet partout dans le pays, au lieu de fermer des filiales et de limiter les services dans les agences qui restent en place. Je suis sûr qu’il y a des possibilités de rendre encore davantage de services au guichet à la population en aménageant des plages horaires accessibles pour le plus grand nombre.

Vous pressez le gouvernement d’introduire des allégements fiscaux pour donner de l’air aux ménages qui étouffent sous le poids des augmentations. Aux riches de payer, en attendant une réforme fiscale?

La politique fiscale est liée au pouvoir d’achat. Je peux comprendre que le gouvernement ne dispose plus des moyens qu’il espérait pour mener une réforme fiscale, la pandémie ayant plombé les finances publiques. En revanche, nous pensons qu’il existe toujours de la marge pour desserrer quelques boulons, comme on dit.

Les familles monoparentales doivent être soulagées, cela va sans dire, et profiter de la classe d’impôt 2. Si l’on veut vraiment mettre en pratique la solidarité, chère au gouvernement, alors on revoit tout le tableau d’imposition et on va chercher, en effet, quelques pourcents de plus auprès des très gros salaires. Il y a des experts pour fixer les montants, mais c’est une discussion qui ne doit plus être taboue. Il est temps de regarder en direction de ceux qui ont fait de bons profits pendant la pandémie.

Le secteur financier n’est pas en reste, d’ailleurs. Je ne veux de mal à personne, mais j’appelle à plus de solidarité. Il faut aller chercher l’argent là où il se trouve au lieu de dire qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’État pour mener une réforme. Des études ont démontré qu’il fallait disposer de 4 000 euros par mois pour avoir une vie décente au Luxembourg et ce n’est pas le cas de nombreux ménages. C’est la raison pour laquelle il faut aussi doubler l’allocation de vie chère, selon nous.

Quels sont les secteurs ou domaines qui engendrent le plus de plainte auprès de l’ULC?

De loin, les litiges dans le domaine de la construction qui constituent 50 % des plaintes que nous recevons. Il s’agit essentiellement de problèmes liés au loyer, aux vices de construction, à la copropriété, aux agences et aux contrats de bail ou de vente. Bon, les loyers sont bloqués jusqu’à la fin de l’année, c’est déjà une bonne chose. Pour le reste, il est temps de trouver une solution pour freiner la spéculation qui fait exploser les prix de l’immobilier.

«Nous avons quatre juristes et un cinquième doit rejoindre l’équipe en septembre. Il y a des domaines, comme la sécurité alimentaire, où nous pourrions être plus actifs.»

Vous êtes sensible à la question des personnes âgées et aux maisons de retraite qui les accueillent. Vous y voyez des problèmes?

Il y a un projet de loi dans les tuyaux pour contrôler les établissements et introduire plus de transparence dans le système. Il faut savoir qu’à chaque tranche indiciaire, le montant dû aux établissements pour personnes âgées augmente, aussi, de 2,5 %. Le montant moyen d’une retraite au Luxembourg s’élève à 3 000 euros bruts, donc cela signifie que beaucoup ne disposent même plus d’une telle somme pour vivre au Luxembourg. L’État doit se saisir de ce problème et faire intervenir le fonds de solidarité ou autre, quand les gens ne peuvent plus payer leur dû après une tranche indiciaire.

Il y a toujours moins de personnes âgées qui se rendent en maison de retraite, tout simplement parce qu’elles ne peuvent pas se le permettre financièrement. C’est difficile pour ces personnes de se tourner vers le fonds de solidarité, elles ont leur dignité aussi. Il faut en conséquence aborder le problème différemment et c’est au gouvernement d’y réfléchir. Nous suggérons, pour notre part, un plafonnement des prix, pour éviter le fonds de solidarité.

La transparence des prix, c’est une bonne chose en soi…

Bon, les établissements vont donner un prix de base et une fois sur place, s’y ajoutent des suppléments à tout va, pour la télé, pour le service blanchisserie, le téléphone et la bouteille d’eau avec. Tout cela s’additionne, et encore une fois, avec une petite pension, il ne reste plus rien aux pensionnés dans les poches pour vivre à côté.

Avoir un ministère à la protection des consommateurs, c’est une petite victoire pour l’ULC?

On peut le dire, en quelque sorte. Maintenant, il faut reconnaître que la ministre en charge de ce portefeuille, Paulette Lenert, n’avait pas beaucoup de temps à nous consacrer, vu tout le travail que lui a causé la pandémie. Notre convention avec le ministère n’a pas évolué depuis les années 90, il faudrait dépoussiérer tout ça, surtout en ce qui concerne nos moyens financiers. Notre activité augmente, nos personnels doivent suivre. Il y a des domaines où nous aimerions en faire davantage, mais nous ne n’avons pas les moyens d’intervenir. J’ai cité l’exemple de la communication qui nous est chère, mais il faut étoffer notre service de contentieux. Nous avons quatre juristes et un cinquième doit rejoindre l’équipe en septembre. Il y a des domaines, comme la sécurité alimentaire, où nous pourrions être plus actifs.

Avez-vous déjà préparé vos revendications pour les prochaines élections législatives?

Nous venons d’avoir une réunion à ce sujet et décidé qu’à l’automne, nous devons prendre position par rapport aux partis et élaboré notre catalogue de revendications. Nous allons partager nos expériences avec les politiques et essayer de caser l’une ou l’autre de nos idées dans le prochain accord de coalition, quel qu’il soit à l’issue des élections.

Vous avez le sentiment que l’ULC a pris du poids, au fil des ans, pour peser face aux décideurs politiques?

C’est une bonne question. Nous avons 44 000 membres, et ce chiffre stagne. Ce que nous observons, ce sont les consommateurs qui ont besoin de nos services à un moment de leur existence, et une fois qu’ils ont obtenu satisfaction, ils ne voient plus l’intérêt de cotiser pour une association comme la nôtre. Nous devons faire mieux et dès l’automne, nous allons avoir un chargé de communication pour avoir plus de visibilité à l’extérieur. Nous travaillons beaucoup, rédigeons de nombreux avis sur les projets de loi, et nous sommes parfois entendus. Ce fut le cas lors des discussions pour amender le projet de loi sur les recours collectif, par exemple.

En revanche, en ce qui concerne les frais bancaires et en dépit du poids de la pétition que nous avions engagée et remise aux députés et au ministre Gramegna à l’époque, nous n’avons pas obtenu satisfaction. Les banques n’aiment pas qu’on se mêle de leurs affaires. Dans toutes ces discussions que l’on mène aujourd’hui pour la défense des consommateurs, on entend souvent dire que les entreprises ont besoin de prévisibilité. J’aimerais rappeler ici que les consommateurs, aussi, ont besoin de prévisibilité.

Repères

État civil. Nico Hoffmann, né en 1953, est père de deux enfants.

Profession. Jusqu’à sa préretraite, en 2011, il était formateur au centre de formation de la Chambre du travail du Luxembourg, aujourd’hui exploité par la Chambre des salariés.

Syndicat. Nico Hoffmann débute en 1982 sa carrière de syndicaliste comme secrétaire syndical du LCGB.

Président. Il occupe depuis 2009 le poste de président de l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC). Nico Hoffmann a succédé à Mario Castegnaro.

Lutteur. Nico Hoffmann est de tous les combats dès qu’il s’agit de défendre le consommateur. Toutes ces années de lutte n’ont pas entamé sa détermination.