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Traite des êtres humains : le travail forcé sévit au Luxembourg


Diane Schmitt à la Chambre des députés, entourée de Charles Margue et du président Fernand Etgen (à d.). (Photo : didier sylvestre)

Le Luxembourg doit muscler ses moyens de lutte contre le trafic illégal et l’exploitation des êtres humains, en particulier les réseaux de travail forcé qui font de nombreuses victimes sur son territoire.

Travail forcé, exploitation sexuelle, mendicité organisée : le Luxembourg figure en bonne place dans les plans des chefs de réseaux de traite des êtres humains en Europe. S’il est impossible de connaître le nombre exact de ces victimes de l’ombre, le dernier rapport du Greta – groupe d’experts européens – note que 68 personnes y ont été signalées aux autorités judiciaires pour la période 2018-2021.

Dans plus de la moitié des cas (35), il s’agit d’hommes soumis à du travail forcé, phénomène qui a pris de l’ampleur au Grand-Duché, d’après les inspecteurs sur le terrain. C’est dans les secteurs de la construction (15 cas) et de l’hôtellerie-restauration (15 cas) que le travail forcé est le plus répandu, alors que ces branches d’activité connaissent parallèlement une grave pénurie de main-d’œuvre. Mais les entreprises ne sont pas les seules à «fermer les yeux» sur ce trafic : 6 cas de travail domestique forcé ont aussi été dénoncés.

Dans le même temps, la police a été mobilisée dans 13 dossiers de mendicité forcée et 12 d’exploitation sexuelle, un chiffre en net recul avec la fermeture de cabarets et bars en raison de la pandémie, les réseaux de prostitution se tournant maintenant vers l’activité en ligne, via des appartements ou autres lieux, plus difficilement repérables.

Des victimes souvent en situation de séjour irrégulier

Pour faire le point sur les efforts du Luxembourg face à cette criminalité, la coordinatrice de l’UE pour la lutte contre la traite des êtres humains, la Luxembourgeoise Diane Schmitt, était en visite vendredi à la Chambre des députés, où elle a pu échanger avec les membres de la commission de la Justice et des représentants de la commission consultative des Droits de l’Homme.

Ensemble, ils ont évoqué les progrès restant à accomplir, alors que le Luxembourg se trouve dans une situation particulière par rapport aux autres États membres : «Dans l’UE, la forme principale de traite est l’exploitation sexuelle, via la prostitution forcée, l’activité dans des salons de massage ou sur le web. Or, ici, c’est l’exploitation par le travail – à ne pas confondre avec le travail au noir – qui est numéro un», rappelle Diane Schmitt.

Autre spécificité luxembourgeoise, la situation des victimes, souvent en situation de séjour irrégulier. «Ailleurs, les victimes sont d’origine européenne, voire exploitées dans leur propre pays, comme en Roumanie ou en Hongrie par exemple, alors qu’au Luxembourg, ce sont en majorité des ressortissants de pays hors de l’UE. Ce qui ajoute des problématiques liées à la migration et crée des défis en termes de protection», explique la coordinatrice.

Des sanctions pour les entreprises

Pour le reste, Diane Schmitt confirme que le Grand-Duché est tout aussi frappé par la digitalisation de la criminalité : «Le recrutement, l’exploitation, le transport, le blanchiment d’argent, tout ça se fait beaucoup en ligne aujourd’hui, et ça complique considérablement le travail des autorités. Là, la coopération transfrontalière, qui est plus importante au Luxembourg que dans d’autres pays, compte énormément.»

Un travail d’équipe qui se décline aussi à l’intérieur des frontières, indique le député vert Charles Margue, qui préside la commission parlementaire de la Justice : «On a beaucoup avancé sur la collaboration entre acteurs et institutions impliqués, tout comme sur les moyens à la disposition de l’inspection du travail et la formation des agents», indique-t-il.

Dans ce cadre, le durcissement de l’arsenal réglementaire contre la traite des êtres humains, annoncé par Bruxelles en décembre dernier, est le bienvenu, souligne le député. La révision de la directive en vigueur prévoit de nouvelles mesures, dont des sanctions obligatoires contre les entreprises qui profiteraient de ce trafic illégal d’être humains. De quoi combattre un certain sentiment d’impunité, les poursuites restant rares à ce jour, et encourager les victimes à briser le silence.