Le syndicat SPAL ne conteste pas le besoin d’évaluer les qualités professionnelles d’un soldat pour monter en grade. Le système finalement retenu serait toutefois trop «restrictif» et «subjectif».
Nous nous étions demandé dans ces colonnes si un soldat qui refuse de se soumettre à une évaluation de ses compétences n’avait pas fait un mauvais choix de carrière. Cette interprétation du bras de fer autour du nouveau système d’appréciation pour monter en grade n’est pas partagée par le Syndicat professionnel de l’armée luxembourgeoise (SPAL).
«Nous n’avons jamais dit que l’armée n’avait pas besoin d’un tel système d’appréciation», tranche Tom Braquet. Ce serait bien plus la forme que le fond de ce dispositif qui est dénoncée par le syndicat. «Le système a été inscrit en cachette et en dernière minute dans le texte de loi, sans discussion aucune et sans demande d’avis», fustige le vice-président du SPAL.
Toute une série de «garde-fous» existent
Retour en arrière. Un système d’appréciation existe depuis… 1954. Dès l’instruction de base, toute une série de critères sont à remplir pour intégrer les rangs de l’armée. Pour monter en grade, une évaluation des compétences professionnelles est de mise depuis des décennies. Toute une série d’autres «garde-fous» sont en place pour éviter toute sorte de dérapage.
Avant de partir en mission à l’étranger, chaque supérieur et chaque soldat doivent passer une batterie de tests (psychologiques, médicaux, etc.) avant d’être déclarés aptes pour monter dans l’avion. «Que ce soit au Kosovo, en Afghanistan ou au Mali, en plus de 20 ans de missions, aucun problème majeur n’a été à signaler», rappelle Tom Braquet. «Pourquoi donc introduire un système d’appréciation qui est plus restrictif que jamais?», s’interroge Mike Koch, membre coopté du comité du SPAL qui est lui-même parti en mission à Kaboul.
Il est arrêté dans la nouvelle loi que «nul militaire de carrière ne peut prétendre à l’avancement en grade militaire s’il (…) ne possède pas les qualités professionnelles, éthiques et physiques pour exercer les fonctions du grade supérieur».
«Il est aussi de notre responsabilité de mettre en place un cadre pour protéger au mieux les soldats que l’on envoie en mission. Sans appréciation, seule l’ancienneté serait prise en compte pour avancer en grade. Cela serait irresponsable», défend la députée Stéphanie Empain (déi gréng), soutenue par le ministre de la Défense. Le DP et le LSAP partagent cette interprétation.
Le CSV est resté muet quant au besoin d’une évaluation spécifique des compétences des soldats. Diane Adehm s’est contentée de renvoyer vers l’accord salarial dans la fonction publique, conclu en décembre dernier, qui abolit tout système d’appréciation. Déi Lénk et le Parti pirate ont exprimé leur compréhension vis-à-vis de la montée au front de la CGFP et du SPAL, accusant le gouvernement de ne pas respecter l’accord trouvé.
Le ministre François Bausch (déi gréng) réfute ces reproches, précisant que le Conseil d’État a réclamé que les dispositions du système d’appréciation, inscrites au départ dans un règlement grand-ducal, soient intégrées dans le texte de loi.
«Le SPAL s’était déjà formellement opposé à ce règlement grand-ducal», avance Tom Braquet. Le syndicat dénonce l’ampleur du nouveau système d’appréciation, qui va bien plus loin que les évaluations «basiques» existant depuis plus de 70 ans. L’évaluation des qualités éthiques en particulier est fortement contestée par le syndicat. «Il n’existe pas une seule définition de ce qu’est l’éthique. Il n’est pas possible d’évaluer les soldats de manière uniforme. Deux évaluateurs auront deux appréciations différentes», met en garde Tom Braquet.
«Un outil pour bloquer les militaires»
L’évaluation plus restrictive serait, donc, aussi trop «subjective». «Le nouveau système d’appréciation deviendra un outil qui permettra à la hiérarchie de bloquer des militaires uniquement parce qu’ils ne sont pas à leur goût. C’est un fait», s’indigne le vice-président du SPAL. Une méfiance envers les supérieurs n’est pas à nier. «S’ils faisaient confiance à leurs troupes, on n’aurait pas besoin d’un tel système», clame le syndicaliste.
D’autres arguments plaideraient en défaveur d’une appréciation stricte. «Imaginez un opérateur de drones hautement qualifié qui rate son appréciation physique en raison d’une blessure. Cela ne doit pas l’empêcher d’accomplir sa tâche en étant assis dans un container», avance Tom Braquet.
Le fait que l’avancement en grade soit découplé de l’avancement en traitement ne convainc pas non plus le SPAL. «Contrairement à ce que le ministre a évoqué, l’appréciation a bien sûr un impact sur les traitements, par exemple si le soldat est bloqué pour accéder aux postes à responsabilité particulière ou avancer dans la carrière ouverte. Or, il s’agit de sommes d’argent qui ne sont pas négligeables», fait remarquer le vice-président du syndicat.
Le seul compromis viable serait un retour à l’évaluation de base, ayant fait ses preuves pendant de longues décennies. «On ne remet pas en cause le principe d’une appréciation», renchérit Tom Braquet. La condition serait néanmoins de revenir à un système moins restrictif et moins lourd d’un point de vue administratif. La «détérioration des conditions d’avancement en grade» risquerait aussi de «détériorer l’attractivité du métier de militaire», l’attractivité étant pourtant l’objectif principal de la nouvelle loi sur l’organisation de l’armée.
Que prévoit la nouvelle loi?
L’évaluation de ces qualités professionnelles, éthiques et physiques est faite au cours des 12 mois qui précèdent l’échéance du prochain avancement ou au plus tard deux mois après le retour du soldat parti par exemple en mission à l’étranger.
Les qualités professionnelles et éthiques sont évaluées lors d’un entretien d’appréciation, qui portera notamment sur les compétences techniques et les compétences comportementales. L’évaluation de la condition physique se fait sur la base d’un test sportif, composé de trois épreuves : endurance, stabilité du tronc et force.
Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, une suspension de l’avancement pour une période d’un an est prononcée. Elle est prorogée pour une période de 6 mois tant que le soldat concerné ne remplit pas les conditions posées.