Après des communales couronnées de succès, le Parti pirate veut à nouveau convaincre les électeurs pour leur confier de plus amples responsabilités. L’équité est le fil conducteur du programme électoral.
Il faudra attendre le congrès du 31 août pour connaître le programme électoral complet des pirates. En amont du rendez-vous, Sven Clement, la tête de liste nationale, livre déjà les contours du concept politique que va prôner le parti, qui a le vent en poupe après des communales réussies et une première législature vécue avec deux élus à la Chambre. Combien seront-ils au soir du 8 octobre? «Ne pas décrocher plus de deux sièges serait une cruelle déception», affirme la figure de proue d’un parti qui se définit comme «radicalement centriste».
Votre parti promet des solutions équitables pour aujourd’hui et demain. Quels sont les contours de ce concept politique?
Sven Clement : Un slogan électoral doit refléter, en quelques mots, tout ce que l’on souhaite propager. Pour nous, il est important de souligner, que l’on n’est pas à la recherche de problèmes, mais de solutions justes. Lors de la campagne électorale, on pourrait se mettre à fustiger tout ce qui n’a pas été bien ici et là. Notre intention est bien plus de prôner une vision positive de la société, comme nous la concevons, et mettre en avant les alternatives que les pirates ont à proposer.
L’équité sert-elle comme un des fils rouges de votre programme, qui ne sera dévoilé en intégralité qu’à la fin du mois d’août?
Des solutions justes et équitables doivent permettre de réduire le fossé entre les pauvres et les riches. Dans notre société, c’est l’état civil ou son origine qui définissent la couche économique et sociale dans laquelle vous vivez. Cela n’est pas équitable. Être juste n’équivaut pas à discriminer les gens, mais de donner à tout un chacun une chance équitable pour construire une vie digne.
Les élections communales sont venues confirmer la percée des pirates à l’échelle nationale. Au vu du résultat, mais aussi des sondages favorables, comment abordez-vous le scrutin du 8 octobre?
Nous sommes optimistes à l’idée de pouvoir massivement améliorer notre score de 2018 (NDLR : 6,45 %). Ne pas décrocher plus de deux sièges serait une cruelle déception. Néanmoins, il est difficile de quantifier le nombre de mandats potentiels. L’ambition est de former un groupe parlementaire à part entière, ce qui implique d’obtenir au moins 5 sièges. Au vu de notre système électoral, il est possible que l’on rate ce cap de très peu. Il faudra l’accepter. Lors des communales, à Differdange, nous avons raté un deuxième siège pour sept petites voix. Un suffrage de liste de plus ou de moins peut décider de l’issue du scrutin. On est toutefois confiants de pouvoir décrocher deux sièges dans le Centre et dans le Sud et un cinquième, soit dans le Nord ou l’Est.
Se pose la question suivante : qu’est-ce qui explique le succès de votre parti, qui a fêté, en 2018, un peu contre toute attente, son entrée à la Chambre des députés?
En tout cas, notre électorat n’est pas composé d’électeurs protestataires. Nous sommes un parti radicalement centriste. On a réalisé qu’au Luxembourg, l’appétit pour les extrêmes est faible. D’un autre côté, la gauche et la droite modérée sont surpeuplées sur l’échiquier politique. Les gens en ont aussi un peu marre des combats idéologiques centenaires. Cela nous a permis de trouver une niche d’électeurs qui se dit que tous les autres partis ont déjà échoué dans leur mission. Ils sont prêts à donner leur chance aux pirates, un des partis qui peut encore faire preuve de ses capacités.
Votre collègue député Marc Goergen a avancé dans nos colonnes que le Parti pirate est devenu un « supermarché politique ». Est-ce que cela ne donne pas raison à ceux qui clament ne pas pouvoir identifier le vrai profil des pirates?
On ne peut pas affirmer que notre parti n’a pas de profil. La question est plutôt comment on décline notre politique. Un supermarché propose dans ses rayons différents emballages, produits et marques. Cette diversité correspond à un parti qui se développe au fil du temps. Chez les pirates, on retrouve des gens qui s’intéressent plus au social, d’autres sont plus libéraux, etc. Il faut relier tous ces courants. Cet exercice ne vient cependant pas diluer notre orientation fondamentale.
Notre confiance placée dans le gouvernement s’est rapidement érodée
Même si vous clamez ne pas vouloir dénigrer le bilan des autres partis, le gouvernement sortant est crédité d’une mauvaise note, alors que le Parti pirate a soutenu en début de législature le programme de la coalition tricolore. Ne s’agit-il pas d’un paradoxe?
Notre confiance placée dans le gouvernement s’est rapidement érodée, car la coalition a échoué à réaliser plusieurs de ses grandes promesses électorales. Nous avons voté pour la déclaration gouvernementale, car on soutenait une grande réforme fiscale. On clame que le covid a empêché de la réaliser. Ce n’est pas une excuse valable. Avant la crise sanitaire, les finances publiques se sont soldées par un excédent. Or, au lieu de mener une réforme fiscale, le gouvernement a préféré distribuer des cadeaux en dépensant jusqu’au dernier centime d’euro la marge financière existante. L’ensemble des grandes réformes n’ont pas été mises en œuvre.
Une de vos priorités est d’enfin mener à bien cette grande réforme fiscale, avec une adaptation du barème à l’inflation. Sachant que la marge financière est assez réduite, comment comptez-vous agir?
Il faut fiscalement soulager en priorité les bas et moyens revenus. On est ouverts à discuter avec les partenaires sociaux pour fixer exactement les seuils de revenus respectifs. Il n’est pas possible, d’un point de vue mathématique, que chacun paie moins d’impôts, comme le clame un ancien ministre des Finances (NDLR : Luc Frieden, la tête de liste du CSV). Pour ce qui est de l’adaptation du barème à l’inflation, nous proposons une solution plus nuancée et plus réaliste. Lors de chaque dépôt de budget, le gouvernement doit soumettre une proposition à la Chambre, qui aura à décider si et dans quelle mesure il faut adapter le barème.
Un contrefinancement semble inévitable. Où voyez-vous le potentiel pour aller chercher la manne nécessaire?
On compte ajouter des tranches d’imposition en haut du barème. Un fonctionnaire célibataire est susceptible de toucher un revenu annuel imposable maximal, situé entre 150 000 et 160 000 euros. Si l’on taxe davantage ceux qui ont un revenu imposable de 200 000 euros et plus, on ne pénalise quasiment personne qui fait partie de la classe moyenne. Il faut toujours remettre dans son contexte un tel élargissement du barème. Une autre revendication est d’abolir l’impôt de succession « caché« sur la résidence primaire des parents. Si vous décidez de vendre cette maison, sans y avoir habité pendant au moins 6 mois, la plus-value sera imposée au prix fort. Mais si vous héritez du même montant en argent, aucun impôt n’est à payer. En contrepartie, on veut que ceux qui héritent de plus d’une habitation soient imposés sur la vente de ce bien. Une telle mesure permettrait de soulager une grande majorité de personnes.
Comme lors des communales, le Parti pirate veut que des logements puissent être loués au prix de 10 euros le mètre carré. Est-ce que cela est réaliste?
Le ministre du Logement nous rétorque entretemps que 10 euros est un prix trop cher. Un logement en gestion locative sociale ne coûterait que 6 euros le mètre carré. Les 10 euros que nous avons mis en avant sont l’objectif minimal. Il est très clair que l’État doit construire un plus grand nombre de logements, surtout dans une situation où le marché privé va réaliser 50 % de logements en moins. La main publique aurait aujourd’hui la possibilité d’agir de façon anticyclique, en permettant aux entreprises de construction de réaliser des logements sur les terrains détenus par l’État. Tout le monde en ressortirait gagnant, contrairement à ce qui se fait avec le rachat de projets de promoteurs privés, ayant engrangé ces dernières années d’importantes marges bénéficiaires. À moyen terme, il nous faudra construire plus en hauteur et de manière plus dense, tout en trouvant des moyens pour amener le secteur privé à réaliser plus de logements abordables. Le cadre mis en place par le ministre Kox décourage les investisseurs.
Une réduction du temps de travail est un des autres thèmes majeurs de la campagne électorale. Comment se positionne le Parti pirate dans ce débat?
Le temps de travail doit être considéré dans son ensemble. Il faut inclure les congés, la durée du trajet pour se rendre au travail, le temps que l’on passe effectivement avec sa famille, etc. Si l’on parvient à réduire le temps du trajet, il n’est pas forcément nécessaire de baisser le temps de travail de deux heures par semaine. Cela permettrait d’augmenter la qualité de vie, sans réduire le temps effectif de travail. Il nous faut décentraliser à la fois les administrations étatiques et les bureaux d’entreprises.
La politique climatique est un domaine où les pirates se démarquent plus clairement des autres partis, en premier lieu de déi gréng, trop idéologiques à votre goût. Est-ce que vous maintenez l’idée d’un crédit de CO2 par tête d’habitant?
Affirmer que le changement climatique existe n’a rien d’idéologique. Il s’agit d’un consensus scientifique. La conséquence est que l’on doit lutter contre le réchauffement de la planète. Comme le recommande le GIEC (NDLR : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il faut produire moins d’émissions de gaz à effet de serre. Au lieu de miser sur des interdictions, nous, on plaide pour un système de récompenses. La taxe carbone est à remplacer par un « Klimabonus« , qui fonctionne comme un impôt négatif. L’État verse en amont une somme d’argent à chaque citoyen. En même temps, la consommation de CO2 devient plus chère. Mais en disposant dès le départ d’un crédit, chacun aura le choix de consommer ce qu’il veut. Celui qui respecte le quota attribué ne touche pas d’argent, mais n’est également pas pénalisé. Par contre, celui qui surconsomme doit payer davantage d’impôts. Et celui qui consomme moins que le seuil autorisé, est récompensé financièrement.
Si vous vous classez en ordre utile lors des législatives, une préférence du Parti pirate serait de former une coalition avec le LSAP. Pourriez-vous devenir le faiseur de roi, ou plutôt le faiseur de reine, pour permettre à Paulette Lenert de devenir Première ministre?
Pour commencer, il nous faudra signer un résultat qui témoigne de la volonté de l’électeur de confier d’autres responsabilités aux pirates. La crédibilité d’un gouvernement est toujours plus forte s’il s’appuie sur une coalition de vainqueurs, plutôt que sur une coalition de perdants. Ensuite, il faut que le courant passe humainement et en matière de programme. Nous pouvons imaginer engager une coalition avec tous les partis modérés et démocratiques. On aurait des difficultés à s’allier avec l’ADR et même avec déi Lénk. En analysant objectivement les scénarios possibles, il existe uniquement trois partis avec lesquels une coalition est envisageable : le DP, le LSAP ou le CSV. Je ne vois pas de scénario mathématique dans lequel déi gréng, les pirates et un troisième parti puissent former une majorité. En tout cas, on exclut une coalition à quatre partis.