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Surveillance au travail : un risque d’abus au Luxembourg


"Finalement, nous restons au même niveau de protection et de droits des salariés, qu'avec l'ancien article du code du travail", regrette le président de la CSL. (illustration Julien Garroy)

Le président de la Chambre des salariés (CSL), Jean-Claude Reding, estime que la nouvelle loi encadrant la surveillance sur le lieu de travail est à reformuler sur de nombreux points et ce, malgré certaines avancées.

Cette loi du 1er août 2018, entrée en vigueur lundi, vient modifier l’article L.261-1 du Code du travail qui traite de la protection du salarié contre une surveillance abusive par son employeur sur le lieu de travail.

Quels sont les grands changements qu’introduit cette loi ?

Jean-Claude Reding : Il faut replacer cette loi dans le contexte de son élaboration. La question de la surveillance sur le lieu de travail ne constitue qu’un point compris dans une législation d’ordre bien plus général. La loi qui est entrée en vigueur lundi constitue la transposition, en droit national, du règlement européen général sur la protection des données (RGPD), qui est entré en vigueur, lui, au mois de mai dernier.

Vous évoquez, donc, une législation d’ordre général, mais qui comprend un passage relatif à la surveillance sur le lieu de travail. La CSL, que vous présidez, a émis trois avis au cours de la procédure d’élaboration législative du texte. De quelle teneur étaient-ils ?

Notre institution a en effet émis trois avis très critiques par rapport à la modification de l’article spécifique relatif à la surveillance sur le lieu de travail. La raison en est simple. Jusqu’à présent, nous étions dans une situation où la surveillance était, du point de vue légal, très restrictive. Cela dit, les dispositions légales antérieures prévoyaient qu’une autorisation préalable soit demandée à la CNPD (Commission nationale pour la protection des données). Cette autorisation préalable n’existe désormais plus.

Outre cette critique, quel autre point ne reçoit pas votre approbation ?

Le cadre d’ouverture permettant une surveillance sur le lieu de travail s’est, à notre avis, élargi et est devenu moins clair qu’auparavant. Cela signifie que les délégués du personnel auront du pain sur la planche dans la mise en œuvre de cette nouvelle législation, même s’ils pourront être appuyés par leur syndicat – si leurs membres sont syndiqués.

Comment expliquer cette masse de travail substantielle qui leur incombera ?

La législation parle, aujourd’hui, de la notion d’ « intérêt légitime de l’employeur » pour rendre nécessaire une surveillance. Mais qu’entend-on, au juste par « intérêt légitime » ? Cela étant, nous pouvons à présent avoir une interprétation restrictive sur la base de la lecture du règlement européen, mais rien n’est précis à ce niveau-là. On y parle également du concept d’ « information préalable ». Cela est important.

Que cache au juste ce principe d’ « information préalable » ?

Je rappelle qu’au cours de la procédure législative, il y a eu des amendements adoptés et un certain sur la nombre d’améliorations apportées, sur la base des avis de la CSL, par rapport à la première mouture de la loi. En ce sens, le principe de l’ « information préalable » doit, entre autres, contenir une description détaillée de la finalité. Cela dit, le texte ne parle pas, par exemple, de l’impact ni d’une analyse d’impact ni du descriptif détaillé technique de cette mise en œuvre. Or tout cela est très important dans un domaine qui est très technique et qui évolue aussi très rapidement. Nous espérons que la CNPD mettra des règlements d’application en œuvre pour voir comment tout doit concrètement fonctionner.

Quels autres points de la loi ne vous satisfont pas ?

Dans la dernière mouture du texte, a été ancrée la possibilité pour les délégués du personnel – mais seulement dans les entreprises de plus de 150 personnes – de demander un avis préalable à la CNPD, relatif à la conformité du projet de traitement à des fins de surveillance du salarié. Cela est important, mais encore faut-il que les délégués sachent utiliser cet instrument. Il en découlera tout un effort de formation qui devra être fait. La CSL devra appuyer les syndicats et les représentants du personnel pour avoir les moyens de mettre cette législation en œuvre.

La transposition en droit national, de la réglementation européenne, a-t-elle été bâclée par le législateur luxembourgeois, selon vous ?

De manière générale, la nouvelle réglementation européenne apporte un plus au niveau de la protection des salariés. Mais concernant la surveillance sur le lieu de travail, cette transposition luxembourgeoise risque d’ouvrir la porte à des difficultés, pour ne pas dire des abus. Nous aurions pu nous imaginer d’autres solutions qui auraient véritablement renforcé le dialogue social, mais ce n’est pas le cas. Finalement, nous restons au même niveau de protection et de droits des salariés, qu’avec l’ancien article du code du travail.

Entretien avec Claude Damiani

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