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S’expatrier au Luxembourg : un parcours semé d’embûches


Bénédicte Souy (Moving People 2 Luxembourg) conseille à temps plein les entreprises qui font venir des employés hors Union européenne. (photo Isabella Finzi)

Le marché du travail luxembourgeois attire des expatriés des quatre coins du monde. Ces derniers doivent surmonter la bureaucratie, sans compter une intégration à proprement parler.

Venir travailler au Grand-Duché quand on ne dispose pas du précieux sésame (un passeport européen) peut s’avérer compliqué. Certaines entreprises délèguent la paperasserie à des experts qui facilitent la venue de ces employés pas comme les autres.

Bénédicte Souy est experte- conseil en immigration chez Moving People 2 Luxembourg. Concrètement, elle apporte son aide aux entreprises qui embauchent des employés hors UE et qui sont perdus dans le dédale de l’administration. S’il est donc aussi aisé d’embaucher un Luxembourgeois qu’un Européen (principe de non-discrimination), c’est le casse-tête dès qu’il s’agit d’un Américain, Brésilien, Russe, etc. Vu que la politique de l’UE est de donner la priorité à ses ressortissants, les entreprises doivent donc d’abord prouver qu’elles n’ont pas trouvé d’Européen pour le poste requis.C’est d’ailleurs bien souvent le même secteur qui est concerné. Les entreprises au Luxembourg sont quasi désespérées pour trouver des développeurs, et sont prêtes pour en dénicher à aller de plus en plus loin. Généralement, c’est à ce moment-là qu’elles font appel à Bénédicte Souy  : « Il y a beaucoup de formalités, de permis à obtenir pour l’employé mais aussi pour sa famille. Je passe en général par quatre services du ministère de l’Immigration, et après dix ans d’administration je m’y connais parfois plus que les fonctionnaires. Le but est d’aider les employés à arriver au Luxembourg. »

Les entreprises prennent contact avec Bénédicte Souy au moment de l’embauche, car c’est le contrat de travail qui est le point de départ. Bien souvent, elles mettent de côté les CV de ressortissants hors UE par manque de connaissance des démarches administratives. Face à l’inconnu, face aux difficultés à prévoir, beaucoup abandonnent. Car, dans beaucoup de cas, les Européens sont prioritaires  : « Il y a un problème de formation au Luxembourg, les entreprises doivent donc chercher parmi les pays voisins en allant de plus en plus loin pour trouver ce qu’ils cherchent. J’ai un master en droit européen axé sur l’immigration, puis j’ai donné des conférences sur le sujet à l’université. À force, les entreprises sont venues vers moi », explique la spécialiste.

Un parcours semé d’embûches

Cette dernière regorge d’anecdotes sur les personnes qu’elle a aidé à venir travailler au Luxembourg. Évidemment, il s’agit souvent de postes élevés, car il est alors plus «facile» de prouver que l’entreprise n’a pas trouvé de candidat européen. Une des premières étapes est de faire valider par l’Adem que l’administration n’a pas trouvé de candidat adéquat. Mais le parcours est semé d’embûches  : « J’ai eu le cas d’une Américaine de République dominicaine qui a dû fuir le pays sous statut de réfugiée. Elle n’a donc pas pu récupérer ses diplômes. Pour autant, c’est ce qu’on lui a demandé en arrivant au Luxembourg. Or, sans diplôme, difficile de réunir toutes les conditions pour obtenir le sésame .»

Depuis un an à son compte, Bénédicte Souy a accompagné une cinquantaine de personnes. La plupart ont déjà une expérience d’expatriation, et beaucoup sont déjà en couple et ont des enfants. « Une expatriation réussie, c’est s’intégrer dans l’entreprise, mais l’intégration c’est aussi celle du conjoint et des enfants. Si on veut intégrer ces personnes, il faut que l’État intervienne .» Le pays a en effet mis la priorité sur les emplois hautement qualifiés (un salaire brut minimum de 58  000  euros brut par an pour le secteur des TIC, 74  000  euros brut par an pour les autres secteurs) pour lesquels les procédures sont «simplifiées». Ainsi, pour ces derniers, le regroupement familial est automatique. Les autres doivent attendre un an avant que leur famille puisse les rejoindre. « Depuis l’arrivée des réfugiés, l’État a mis le paquet pour leur arrivée et leur intégration. Le problème c’est qu’il ne reste plus de ressources pour les autres, et il ne faut pas sous-estimer cette problématique. Le contrat d’intégration est un peu tombé dans l’oubli. C’est un véritable défi pour le Luxembourg que de devoir intégrer les réfugiés, mais aussi les autres. »

C'est le secteur des TIC qui embauche le plus actuellement.

C’est le secteur des TIC qui embauche le plus actuellement.

Laurent Ollier, lui, est gérant du site justarrived.lu, qui offre une plateforme d’informations pour tous les expatriés du Grand-Duché. « C’est un choc culturel à l’arrivée pour certains d’entre eux. Pour les Chinois par exemple, le Luxembourg est très calme. Il y a une perte de repères par rapport à leur communauté. Les écoles sont bondées, surtout les francophones. Certains sont obligés d’aller voir de l’autre côté de la frontière. Et ne parlons pas de l’immobilier avec des prix comparables à Paris …»

Le site a été fondé par deux femmes d’expatriés, il y a dix ans, qui voulaient créer un guide d’installation. Une décennie plus tard, le guide est devenu une plateforme plus large pour une communauté hétérogène  : « Les différentes nationalités vivent entre elles. Le pays a une capacité à faire en sorte que les différentes communautés se rencontrent, mais il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine .»

Audrey Somnard

Pour ces trois expatriés, l’arrivée au Grand-Duché n’a pas été de tout repos

David McCreary, américain

Habitué à la vie d’expatrié, il a posé ses valises en novembre dernier, suivi quelques semaines plus tard par sa femme thaïlandaise et leurs deux enfants, de 9 et 10 ans. Le couple puis la famille a vécu en Thaïlande, en Australie et au Japon en plus des États-Unis. Autant dire que David McCreary est un habitué des changements. Mais là, le Luxembourg a un caractère particulier pour cet ingénieur informatique : « C’est en faisant des recherches sur les origines de la famille que j’ai découvert que mes ancêtres étaient luxembourgeois! J’ai donc pensé qu’il fallait que je vienne en Europe et voir de moi-même d’où je viens .»

Il commence à envoyer des CV et faire des démarches seul, ce qui se révèle difficile : « C’était compliqué, même si finalement cela a pris moins de temps que prévu. En un mois et demi, j’ai eu toutes les autorisations après avoir trouvé un emploi. J’ai juste dû signer quelques documents devant un notaire. C’est une expérience tellement différente des États-Unis, ici les bureaux administratifs sont vides, tout est très rapide. Et puis on passe très facilement d’une langue à l’autre, c’est fascinant », explique l’Américain qui parle pourtant japonais ainsi que thaï.

L’intégration, il l’appréhende chaque jour à travers des actes de la vie quotidienne. Emmener ses enfants à l’école luxembourgeoise, ou bien son fils au club de football local. Sa femme, de son côté, se fait doucement à sa toute première expérience en Europe et côtoie la communauté thaï du Luxembourg.

Lindsay Schomaker, canadienne

Tombée amoureuse à Venise d’un Franco-Allemand vivant au Luxembourg, elle plaque tout et vient le rejoindre. Ils se marient quelques mois plus tard. Et cela se révèle bien plus compliqué que prévu : « Le Luxembourg voulait des documents qui n’existent tout simplement pas au Canada. Cela a pris des mois, j’ai dû supplier l’administration canadienne .»

Une fois mariée, elle obtient automatiquement son permis de résidence. Pour pouvoir travailler, une fois encore, les choses se révèlent compliquées : « Je suis architecte de formation. Je ne m’inquiétais pas trop en arrivant, mais je me suis vite aperçue que je n’arriverais pas à trouver de travail dans ma branche. J’ai dû apprendre le français, que je parle couramment maintenant, je suis tombée enceinte. Aujourd’hui, nous avons un deuxième enfant et la situation nous convient bien comme ça. »

César Riva, brésilien

Il est venu au Luxembourg l’été dernier avec sa femme qui a trouvé un emploi au dans le secteur très demandeur de l’informatique. La chasse à la paperasse a commencé avant leur départ : « Nous avons dû courir après un tas de documents comme les diplômes, le certificat de naissance et de mariage, notre extrait de casier judiciaire, etc. Une fois au Luxembourg avec notre titre de séjour, il a fallu remplir un tas de documents supplémentaires qui nous étaient envoyés en français, langue que nous ne maîtrisons pas. Disons que les premiers temps ont été compliqués! »

Outre la nouveauté des lieux et de la culture, les deux Brésiliens n’avaient pas anticipé le coût de la vie au Luxembourg : « Nous sommes arrivés avec 3 000 euros en pensant que cela nous permettrait aisément de vivre quelques semaines avant le premier salaire de ma femme. Mais nous avons découvert les prix de l’immobilier au Luxembourg et surtout la caution pour louer un appartement, quelque chose qui n’existe pas au Brésil! Nous avons donc dû rapatrier des économies de notre compte au Brésil. Même chose pour acheter une petite voiture, impossible d’obtenir un prêt car ma femme était en période d’essai. Nous avions l’argent, mais transférer des fonds du Brésil coûte très cher, nous avons été un peu coincés au début. »

Heureusement, le couple rencontre rapidement d’autres Brésiliens et commence une acclimatation en douceur : « Le pays est vraiment fascinant, et tellement plus sûr qu’au Brésil. Je pense que c’est l’endroit parfait pour élever des enfants. »