Annonce majeure dans la course à l’internet spatial : l’opérateur de satellites luxembourgeois SES a mis la main sur l’Américain Intelsat pour 2,8 milliards d’euros. Le gouvernement s’en félicite, l’OGBL craint pour l’avenir des salariés.
Le Premier ministre s’est réjoui de cette annonce, lors d’une conférence de presse organisée mardi dans la foulée : «SES restera une société luxembourgeoise et européenne, avec son siège à Betzdorf», a promis Luc Frieden. Selon lui, cette transaction assure «un peu plus l’avenir de SES au Luxembourg, grâce à de nouveaux marchés et de nouveaux clients, notamment en ce qui concerne l’internet pour les avions et les navires, et plus globalement pour la défense».
Cette fusion était en discussion depuis un an et s’inscrit dans un secteur ultraconcurrentiel, avec les constellations des milliardaires Elon Musk (Starlink) et Jeff Bezos (Kuiper). Elle devrait permettre «la création d’un opérateur multi-orbite, avec environ 60 % de chiffre d’affaires dans des segments à forte croissance», ont indiqué les deux groupes mardi, précisant que le nouvel ensemble devrait générer un revenu brut d’exploitation ajusté annuel d’environ 1,8 milliard d’euros. Le rachat doit encore être validé par les autorités réglementaires d’ici la seconde moitié de 2025.
L’OGBL, au contraire, ne cache pas son inquiétude. Dans un communiqué, le syndicat majoritaire chez SES, et le seul représenté chez Intelsat, rappelle que le groupe luxembourgeois «a traversé ces dernières années une période assez agitée avec plusieurs restructurations, dont un dernier grand programme en 2020 qui a abouti in extremis à la conclusion d’un plan de maintien dans l’emploi (PME) en août 2020, renouvelé en mai 2022, et à la conclusion d’un troisième PME en décembre 2023». L’OGBL dit craindre des délocalisations et réductions de personnel dans les deux groupes (650 salariés chez SES et 60 salariés chez Intelsat). Les deux PME n’ont en effet «pas empêché SES d’ouvrir une filiale à Bucarest et de développer rapidement ses activités en Roumanie à partir de 2020. Ces activités auraient très bien pu être localisées au Luxembourg».
Intelsat revient, pour sa part, de loin après s’être placé en mai 2020 sous le régime des faillites américaines et avoir entamé une vaste restructuration pour éponger sa dette. Lancé dans les années 1960 comme un consortium intergouvernemental, puis privatisé au début des années 2000, Intelsat possède plus de 50 satellites géostationnaires. En mars, le groupe a par ailleurs annoncé un accord de partenariat pluriannuel de plusieurs millions de dollars avec l’opérateur européen Eutelsat, portant sur la constellation OneWeb en orbite basse (OTB) dont les 618 satellites doivent entrer en service au niveau mondial cette année.
Des milliards à la clé
Cette fusion démontre la montée en puissance du secteur de l’internet spatial à haut débit en orbite basse, notamment utile pour desservir les régions isolées dépourvues de fibre optique. Un marché estimé à 16 milliards de dollars à l’horizon 2030.
Dans cette course, SpaceX d’Elon Musk a pris une longueur d’avance en s’imposant avec Starlink, devenu l’un des principaux fournisseurs mondiaux. Début 2024, Starlink affirmait avoir déjà mis en orbite plus de 5 000 satellites et revendiquait 2,3 millions de clients. Avec comme objectif de déployer près de 30 000 satellites au total. Il concurrence ainsi l’opérateur historique HughesNet et ses satellites géostationnaires, ainsi que la constellation Kuiper de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, qui compte lancer plus de 3 200 satellites.
Derrière ces projets américains, la Chine mise sur sa constellation Guowang de 13 000 satellites, tandis que l’Union européenne va disposer de sa propre constellation, Iris, destinée à sécuriser ses télécommunications sur tout le territoire de l’UE à partir de 2027. Ce projet phare prévoit un réseau de satellites multi-orbitaux, dont 170 à lancer entre 2025 et 2027. Il est évalué à 6 milliards d’euros, dont 2,4 milliards proviendront du budget de l’UE.
Les services historiques de l’internet par satellite passent par des engins en orbite géostationnaire, à plus de 35 000 kilomètres d’altitude. Mais leur éloignement fait qu’ils ne peuvent pas atteindre les performances d’une connexion à très haut débit, en raison du délai entre la commande et l’exécution de la requête. Les satellites OTB évoluent en revanche en orbite terrestre basse autour de la Terre, à quelques centaines de kilomètres d’altitude. Plus petits que les satellites traditionnels, ils permettent des communications à faible latence, c’est-à-dire avec un délai de transmission réduit, et donc plus rapides.