Accueil | A la Une | Schrassig : «Il y a de la colère et de la frustration parmi les détenus»

Schrassig : «Il y a de la colère et de la frustration parmi les détenus»


Grégory Fonseca est l’un des fondateurs de l’association Eran, eraus… an elo?. (photo Julien Garroy)

 

Les derniers heurts survenus au centre pénitentiaire de Schrassig reposent la question des conditions d’incarcération pour les détenus. L’ASBL Eran, eraus… an elo? dénonce une situation «misérable». 

Dans les années 70, le philosophe Michel Foucault livrait une réflexion éclairée sur le régime d’emprisonnement et ses déterminations : «La prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus», affirmait-il, en exposant les dysfonctionnements du système carcéral. 

Malgré les décennies qui se sont écoulées, la prison résiste, ses défaillances persistent et la question des conditions d’incarcération revient régulièrement dans le débat public. Si le gouvernement luxembourgeois affiche ses velléités réformatrices et s’échine à appliquer les lois, notamment celle de 2018 sur l’exécution des peines, l’administration pénitentiaire continue d’entretenir une forme de conservatisme.

Par ailleurs, les dernières violences survenues dans le centre pénitentiaire de Schrassig auront à nouveau alimenté les inquiétudes quant à l’encadrement des détenus. En mars, un prisonnier a été blessé à la suite d’un incendie, tandis qu’un autre s’est attaqué à des codétenus le jour de la fête nationale. 

Cette problématique touche à la question des conditions carcérales : «Il faut essayer de comprendre les racines de ces problèmes, mais c’est compliqué sachant que les détenus n’ont pas de voix», blâme Grégory Fonseca, l’un des membres fondateurs de l’association Eran, eraus… an elo?.

Ce regroupement de personnes, qui s’est organisé en ASBL en 2020, a pris à bras-le-corps le problème de la détention au Luxembourg en offrant une plateforme d’assistance aux prisonniers, tout en promouvant des peines alternatives et des voies de réinsertion décentes.

Entre surpopulation, mauvaise logistique et rigidification du système carcéral, l’association pointe désespérément les failles des prisons luxembourgeoises et tente d’y apporter des réponses. 

 

La pandémie, vecteur de durcissement 

 

«Lorsqu’il y a eu le confinement, toute la société avait un problème avec le fait d’être enfermée. Alors, imaginez-vous qu’on vous enferme davantage», pose Grégory Fonseca. En mars 2020, l’administration pénitentiaire décidait d’instaurer des mesures de prévention contre la propagation du Covid-19, en limitant les mouvements internes au strict minimum.

Toutes les visites ont été remplacées par des vidéoconférences et les cours de formation ainsi que les activités sportives ont été arrêtées : «Le problème, c’est que l’administration ne veut pas revenir à l’ancien régime. Avant, il y avait la possibilité de faire du sport trois fois par semaine, maintenant, c’est bien plus limité», explique Grégory Fonseca, avant d’ajouter : «Lors des visites, il pouvait y avoir trois mineurs et trois adultes, maintenant, ils veulent restreindre à seulement trois personnes. Ils ont utilisé la pandémie pour faire un pas en arrière.» 

Les activités demandant l’intervention de personnes externes ont également été annulées, de quoi créer un sentiment de privation parmi les détenus : «Ce sont des pratiques qui font lâcher la pression, mais à force de priver les gens de tout, les prisonniers ressentent de la frustration, qui peut se transformer en de la nervosité», analyse le fondateur de l’ASBL. 

 

«Des conditions déplorables» 

 

À ce jour, le centre pénitentiaire de Schrassig compte de 620 à 630 détenus pour une capacité maximale de 600. Cette surpopulation carcérale rend la détention davantage difficile et crispe les rapports avec les agents pénitentiaires : «Les gardiens font un beau travail au Luxembourg, mais les détenus sont tellement frustrés de la situation et des conditions que ça retombe sur eux, car ils sont en première ligne», déplore Grégory Fonseca. 

Parmi les problèmes soulevés, tant par les gardiens que par les condamnés, la chaleur occupe la première place. Dans une enceinte vétuste et trop peu climatisée, les risques d’insolation et de malaise planent sur les détenus.

D’autant plus que de fortes chaleurs sont à prévoir durant toute la période estivale : «Il arrive que des demandes de soins n’obtiennent pas de réponse, or le système carcéral doit s’adapter aux besoins des incarcérés. La prison, ce n’est pas que du gardiennage», fustige Grégory Fonseca.

Ce triste portrait du système pénitentiaire pose la question du recours aux mesures alternatives pour désengorger les prisons. Bracelet électronique, travail d’intérêt général, compensation entre la victime et le coupable… les peines alternatives ne manquent pas.

La ministre de la Justice, Sam Tanson (déi gréng), s’était d’ailleurs prononcée pour une plus grande utilisation de ces autres formes de peine. Toutefois, 73,7 % des prisonniers sont des étrangers, ce qui limite l’utilisation de ces dernières. 

De vraies conditions de travail pour les détenus ?

 

L’autre cheval de bataille de l’association Eran, eraus… an elo? concerne les conditions de travail dans les prisons. À Schrassig, environ 300 postes sont disponibles, de la serrurerie à la blanchisserie, en passant par la peinture. Trop peu pour les 620 détenus, qui dénoncent par la même occasion de faibles salaires et un statut bien trop précaire. 

«Les prisonniers font face à beaucoup de problèmes. Ils doivent payer des avocats, des frais de justice, des parties civiles, mais quand on gagne 300 euros par mois, on ne peut pas», explique l’ASBL. Le salaire se situe entre 2,79 et 5,66 euros de l’heure, selon les échelons. 

L’association plaide donc pour l’instauration d’un «statut du travailleur pénitentiaire», qui comprendrait un contrat de travail, l’intégration au système de sécurité sociale et l’accès à des formations professionnalisantes.

Une voie qui permettrait une meilleure réinsertion des condamnés dans la société : «Sans tous ces minima sociaux et sans un salaire décent, on retombe dans la pauvreté et ça crée encore des récidives», conclut l’association.

Le centre pénitentiaire de Schrassig accueille environ 620 détenus, soit plus que sa capacité maximale. Photo : archives lq/isabella finzi
 

Un commentaire

  1. fallait réfléchir avant !