Porteuse de projet en 2018, membre du jury et «marraine» d’une chorégraphie cette année, Sarah Baltzinger symbolise toute l’importance, pour une carrière artistique, d’une plateforme comme le TalentLab, dont la prochaine édition se tient début juin.
C’est ce qu’on appelle une croissance accélérée. Si elle a commencé (en autodidacte) sa carrière de danseuse professionnelle très tôt, Sarah Baltzinger n’a entamé son propre travail de création qu’en 2016. Après deux premières pièces «à l’identité» bien marquée, dont Fury (2017) au succès notable, la chorégraphe française a participé au dispositif TalentLab (l’un des piliers artistiques des Théâtres de la Ville de Luxembourg), y présentant la première mouture de What Does Not Belong to Us. Aujourd’hui, après des représentations en France et au Danemark, l’œuvre tourne toujours – elle sera notamment montrée en Lituanie (dans le cadre d’Esch 2022). Sarah Baltzinger, elle, virevolte : après un triptyque sur scène de haute tenue, elle est la nouvelle lauréate de la Résidence à Annonay en 2023, qui sera suivie d’une première au Grand Théâtre.
FURY de Sarah Baltzinger #trailer from Sarah Baltzinger on Vimeo.
Preuve supplémentaire que les choses avancent pour elle, cette année, à l’occasion du prochain TalentLab, elle change carrément de statut : d’abord pour avoir participé à la sélection des 48 candidatures en tant que membre du jury. Ensuite en épaulant, début juin, l’un des projets retenus, en tant que «marraine» ou «regard extérieur» (c’est moins joli) comme le dit la brochure du festival. Avant de découvrir la prometteuse pièce qu’elle soutient, Ultra de Brian Caillet et Julia Rieder, Sarah Baltzinger remonte le temps et raconte le TalentLab de l’intérieur. Ou comment cette fourmilière faite de recherches, de rencontres, de débats, d’ateliers et de spectacles, lui a offert un «tremplin» salutaire. Rencontre.
Comment en êtes-vous arrivée à présenter la première mouture de What Does Not Belong to Us en 2018 au TalentLab ?
Sarah Baltzinger : Un peu par hasard. À l’époque, une de mes demandes de recherche chorégraphique a été refusée, mais quelqu’un dans le jury l’a relayée à Bernard Baumgarten (NDLR : le directeur du Trois-CL, pour qui elle a joué dans la pièce Rain en 2014), qui m’a proposé de participer au TalentLab parce que le projet collait bien avec l’ADN de ce festival. J’ai alors monté rapidement un dossier et j’ai été retenue.
Quelle a été alors votre réaction ?
J’étais enthousiaste et honorée. Dans mon regard de jeune créatrice, c’était merveilleux d’avoir comme parrains Gabriella Carrizo et Franck Chartier, de la compagnie Peeping Tom. J’ai une profonde admiration pour leur travail. Après, il y a eu du stress aussi : au départ, mon projet devait être une chorégraphie solo, mais entre-temps, j’ai contracté une blessure. Pour éviter de l’accentuer et me soigner, j’ai alors changé d’idée et pris deux hommes pour danser (Alessio Sanna et Theo Samsworth).
Ce sont dix jours courts et intenses, une avancée tout schuss !
Concrètement, comment ça s’est passé sur place ?
Ce sont dix jours courts et intenses, une avancée tout schuss ! Mais c’est le but et l’enjeu. Heureusement, j’étais bien préparée et le fait d’être sortie du plateau, d’avoir finalement un rôle de chef d’orchestre, ça permet de prendre de la distance et de rester concentrée. Car avec le TalentLab, ses spectacles, ses ateliers, ses discussions, on est constamment stimulé, plongé dans une sorte d’énergie artistique. Il ne faut pas perdre le fil… Mais dans mes souvenirs, tout s’est déroulé avec fluidité, en dehors du premier jour : j’étais dans tous mes états! Danser devant des chorégraphes d’une telle envergure, c’est déjà angoissant, mais créer, c’est une autre histoire! Avec Guillaume Jullien (NDLR : son collaborateur), on a réprimé pas mal de fous rires. Il fallait bien évacuer (elle rit).
Le 1er juin 2018, vous présentez alors votre projet. Est-ce une date importante pour vous ?
C’est un moment-clé, clairement. Ce soir-là, on a eu un succès qu’on ne soupçonnait pas. On était anxieux, car on montrait quelque chose en construction, fragile, tout frais. C’était assez magique – et inespéré – tous ces retours positifs, cet enthousiasme du public et des professionnels, le fait que l’on nous dise qu’il fallait exploiter cette pièce, la faire tourner… Et je garde en tête, encore aujourd’hui, ce que m’a dit Gabriella : « Sarah, fais-toi confiance ». Ça m’a clairement permis d’avancer.
Qu’est-ce que vous retenez de cette expérience ?
Il y a d’abord cette forme : le TalentLab, c’est une espèce de laboratoire sans obligation de résultat. On peut alors expérimenter sans s’attacher au produit fini, avec toutes les contraintes derrière, comme le budget de production, les partenaires qui attendent… L’enjeu est moindre ou, disons, différent. Ensuite, et ça se complète, c’est là où j’ai compris ce que j’avais vraiment envie de faire. Je me suis découverte, libérée.
Derrière tout ça, il y a un travail acharné
Ce genre de plateforme artistique, est-ce un moyen nécessaire pour se construire un réseau ?
Comme interprète, j’avais déjà un réseau, mais il y a quatre ans, oui, des portes se sont ouvertes. En tant que jeune créatrice, ça a été un tremplin, un levier pour ma carrière chorégraphique. Ça m’a permis d’éclore. De fil en aiguille, on participe alors à des plateformes de diffusion pour artistes émergents, on rencontre des programmateurs… J’ai pu aussi construire une vie de compagnie, m’entourer d’un compositeur, d’une dramaturge et d’une créatrice plastique. Sans oublier la création de deux autres pièces pour compléter mon triptyque (Don’t You See It Coming et Rouge est une couleur froide). Car il ne faut pas se leurrer : derrière tout ça, il y a un travail acharné. Car on n’est jamais arrivé, ce qui réclame une exigence permanente et une constance.
Cette année, vous avez changé de statut : vous avez été membre du jury et allez être marraine du projet Ultra, porté par Brian Caillet et Julia Rieder. C’est un sacré bond en avant, non ?
(Elle rit) Depuis 2018, j’ai gardé un lien avec le Grand Théâtre et le Talent Lab. Être membre du jury, ça a été un honneur : on est face à des propositions magnifiques et des choix compliqués… Après sa sélection à l’unanimité, Brian, que je connais bien, m’a proposé d’être son regard extérieur. Ce n’est pas rien! Je vais tout faire pour l’accompagner dans son travail, comme Peeping Tom l’a fait avec le mien. Tout donner pour extraire, au mieux, ses envies, ses intentions, ses obsessions. J’en ai vu – et tirer – les bénéfices et je sais à quel point c’est important.
Avez-vous déjà commencé à travailler ensemble ?
Non, on essaye de respecter la temporalité du TalentLab et l’équité entre les différents projets. Mais je suis impatiente d’y retourner, car ce sont dix jours incroyables et une expérience artistique à vivre !
TalentLab du 2 au 12 juin.