La prison de Sanem a été inaugurée mercredi en présence du Grand-Duc. La volonté d’offrir des conditions décentes aux prévenus s’est concrétisée en un lieu plus «ouvert» et une détention plus «humaine».
L’administration pénitentiaire aura vécu une année 2022 particulièrement tumultueuse, rythmée par l’inflation, des heurts en série et un suicide en cellule, il y a à peine un mois. L’inauguration de la prison d’Uerschterhaff sonne donc comme une bénédiction, un nouveau départ prometteur dans la quête d’un système carcéral plus humain et en phase avec les temps modernes.
Les premières velléités visant à la construction d’un troisième centre pénitentiaire remontent à plus de dix-sept ans, alors que les prisons affichaient déjà une nette surpopulation. Réflexion après réflexion et une fois la loi votée en 2014, le chantier a pu être amorcé en mai 2017.
Cinq ans et 117 millions d’euros plus tard, le colosse de béton et de fer, réparti sur plus de huit hectares dans la commune de Sanem, est sorti de terre et s’apprête à accueillir ses premiers détenus préventifs : «Jusqu’à la mi-mars, 250 prévenus seront transférés ici», énonce Serge Legil, le directeur de l’Administration pénitentiaire.
D’ici quatre mois, plus de la moitié de la prison sera déjà remplie, puisque la capacité actuelle permet l’accueil de 400 personnes en détention provisoire, qui seront prises en charge par 350 membres du personnel, peu ou prou.
Toutefois, l’Administration pénitentiaire et le ministère de la Justice se sont attelés à modifier en profondeur les conditions d’incarcération pour proposer un contre-modèle du régime fermé et austère, empreint de failles systémiques, actuellement en vigueur.
«Nous avons régulièrement des situations au centre pénitentiaire de Schrassig où il n’y a plus beaucoup de places disponibles et où les détenus se retrouvent à plusieurs dans les cellules. Cette détention n’est plus adaptée à notre idéal et il s’agit de créer de meilleures conditions», fait état Sam Tanson, la ministre de la Justice, en amont de l’inauguration.
Par ailleurs, le Luxembourg affiche l’un des taux de détention provisoire les plus élevés d’Europe, avec un score de 43,3 % au 31 janvier 2021, selon les chiffres du Conseil de l’Europe.
Une architecture fonctionnelle
Depuis le gymnase de la prison, où quelques appareils de musculation nichent derrière un large filet, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, la ministre de la Justice, la bourgmestre de Sanem et le directeur de l’Administration pénitentiaire ont successivement porté des discours.
L’occasion de revenir sur l’architecture et le concept urbanistique du centre pénitentiaire. Le bâtiment a été pensé pour s’accommoder avec la typographie naturelle du site afin de «réduire son impact sur le paysage», selon les termes du ministère des Travaux publics.
Pari difficile au regard de la taille impressionnante de l’enceinte, aussi massive à l’extérieur qu’à l’intérieur, et bardée d’un épais mur de six mètres de hauteur. La forme hexagonale du complexe, qui attire tout autant le regard, a été adoptée pour des raisons fonctionnelles, car elle permet la mise en place d’un schéma organisationnel strict.
Une fois le sas d’entrée délimitant l’extérieur et le périmètre de sécurité passés, les murs du bâtiment principal dévoilent leurs couleurs grisâtres. Les trois étages, organisés en deux ailes parallèles, abritent les départements nécessaires au fonctionnement interne, soit l’administration, le service médical ou encore l’admission des prévenus.
À l’arrière de la structure, quatre quartiers d’hébergement sont agencés en Y, dont trois sont organisés autour d’un local central de surveillance : «La vidéosurveillance est accrue avec 650 caméras sur le site», apprend-on lors de l’inauguration.
Les unités de vie telles que le local de douches, la buanderie ou la kitchenette sont ingénieusement connectées aux blocs de cellules. Ces dernières, individuelles ou doubles, sont équipées de sanitaires, d’un frigo et d’une télévision : «Si vous êtes dans un lieu enfermé, sans la possibilité de bouger, alors le fait de bénéficier de sorties plus prolongées est important dans cet environnement, tout comme être seul dans sa cellule», explique Sam Tanson.
La volonté d’offrir un régime plus ouvert s’est également matérialisée dans la conception des cours de promenade, situées en toiture de chaque aile, où les prévenus peuvent accéder librement depuis leur unité, en suivant tout de même un calendrier journalier. Enfin, un terrain multisport, logé au centre de l’établissement, et une salle de sport dans le gymnase sont accessibles.
Un traitement spécifique
L’édification de cette nouvelle prison répond à la nécessité d’être au diapason avec les recommandations européennes en matière de séparation des détenus provisoires et des condamnés. Jusqu’à présent, cette délimitation était effectuée au sein même du centre pénitentiaire de Schrassig, ce qui ne permettait pas une prise en charge optimale.
«Les prévenus sont dans une situation différente, ils doivent donc être traités différemment, pose Sam Tanson. Il faut qu’on puisse travailler spécifiquement avec des catégories de personnes, comme les détenus âgés, ceux qui ont des problèmes de drogue et qui veulent en sortir ou encore les femmes.»
De cette volonté émane la question de la réintégration sociale et professionnelle, alors que le Conseil d’État planche encore sur un avis quant aux dispositions envisageables, en accord avec le règlement grand-ducal. Un modèle similaire à Givenich pourrait entrer en vigueur, avec des détenus qui ont le droit à un travail, à l’intérieur ou à l’extérieur des murs du centre pénitentiaire.
Des activités sociopédagogiques et des formations sont également sur la table. Dans l’attente, les prévenus auront accès à des dispositifs inexistants à Schrassig, à l’instar d’une unité de vie familiale, où jouets pour enfants et mobiliers fixes trônent.
Pour sa part, la célébration, si le terme s’y prête vraiment, se sera soldée par une vidéo de présentation et un geste inaugural scellant le renouveau tant attendu du système carcéral luxembourgeois.