Les forces du groupe paramilitaire Wagner se sont repliées dimanche en Russie, mettant un terme à la rébellion lancée par leur chef Evguéni Prigojine qui a fait trembler le Kremlin et révélé, aux yeux des Occidentaux, « fissures » et « divisions » dans le camp de Vladimir Poutine.
Critique féroce de la stratégie militaire russe en Ukraine, Evguéni Prigojine échappera à toute poursuite judiciaire et pourra rejoindre le Bélarus, a promis le Kremlin, sans qu’on sache dimanche quand ce départ aux allures d’exil est prévu, ni où se trouve le tempétueux patron de Wagner.
Lors d’une équipée de 24 heures qui a mené ses milices à moins de 400 km de Moscou, voire 200 selon lui, il a frontalement défié le maître du Kremlin, avant d’ordonner à ses hommes de regagner leurs bases, au terme, selon la version officielle, d’une médiation du dirigeant bélarusse Alexandre Loukachenko, seul allié européen du Kremlin.
Signe que l’urgence de la crise était passée, les combattants de Wagner ont quitté dimanche les régions de Voronej et de Lipetsk, au sud de Moscou, selon les autorités locales. La veille, ils avaient quitté le QG militaire dont ils s’étaient emparés à Rostov (sud-ouest), centre névralgique des opérations russes en Ukraine, entamant leur retrait pour éviter de faire couler du « sang russe », selon les mots d’Evguéni Prigojine.
Pour autant, dans la capitale russe comme dans sa région, le « régime d’opération antiterroriste » reste en vigueur. D’importantes patrouilles de police étaient déployées le long de la route menant à la sortie de Moscou dans le sud de la capitale et lundi sera journée chômée à Moscou. « C’est une situation normale », relativise Andreï, un avocat moscovite de 34 ans. « On vit en Russie, on est donc habitués à être stressés. Rien de plus. »
« Divisions »
En lançant sa mutinerie, le chef de Wagner avait promis de « libérer le peuple russe », ciblant notamment ses deux ennemis jurés, le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d’état-major Valéri Guérassimov, qu’il accuse d’avoir sacrifié des milliers d’hommes en Ukraine. Mais il avait surtout contesté l’autorité du maître du Kremlin au pouvoir depuis fin 1999, qui a semblé pris de court et agité le spectre d’une « guerre civile ».
Scrutée dans toutes les chancelleries, cette crise « révèle des fissures réelles » au plus haut niveau de l’Etat russe, a estimé le secrétaire d’Etat américain dimanche. « Le fait que vous ayez quelqu’un de l’intérieur remettant en cause l’autorité de Poutine et questionnant directement les raisons pour lesquelles il a lancé cette agression de l’Ukraine, c’est en soi quelque chose de très puissant », a ajouté Antony Blinken.
Cette crise inédite a été évoquée par le président américain Joe Biden et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’un échange téléphonique, ont annoncé Kiev et Washington.
Le président français Emmanuel Macron a lui aussi estimé que la rébellion de Wagner montrait « les divisions » dans le camp russe et « la fragilité à la fois de ses armées et de ses forces auxiliaires ». Pour un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, « Prigojine a humilié Poutine/l’Etat et a montré qu’il n’y a plus de monopole de la violence ».
Scène extraordinaire samedi soir à Rostov en Russie, des dizaines d’habitants ont affiché leur soutien aux insurgés, scandant « Wagner, Wagner! » peu avant leur départ. Dans la ville dimanche dominait toutefois un profond soulagement.
« J’ai suivi les informations toute la journée et j’étais vraiment inquiète. Alors je suis contente que tout se soit bien terminé », a déclaré à l’AFP Tatiana, une retraitée de 76 ans.
Graves faiblesses
Affaibli aux yeux de Occidentaux, le régime russe a toutefois pu compter dimanche sur le soutien de Pékin. « En tant que voisin amical et partenaire stratégique, la Chine soutient la Russie dans ses efforts pour protéger la stabilité du pays », a déclaré le ministère chinois des Affaires étrangères, qualifiant la mutinerie « d’affaire intérieure ».
Le président serbe Aleksandar Vucic a quant à lui salué l’attitude du dirigeant russe: « Tout s’est terminé grâce à la réaction ferme du président Poutine. Elle était très ferme, claire et précise », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision Pink selon l’agence de presse d’Etat russe Tass. Moscou s’est également efforcé de dissiper l’idée que cette crise affectera son offensive en Ukraine.
L’armée russe a affirmé dimanche avoir « repoussé avec succès » des attaques menées par les forces de Kiev dans quatre zones du front ukrainien. Dans l’Est, autour de Bakhmout, ville prise en mai par les troupes de Wagner, les soldats ukrainiens ne constataient aucun changement majeur au lendemain du putsch avorté.
« La plupart des troupes comprennent qu’il s’agit d’un cirque, que les Russes ne sont pas partis », a résumé auprès de l’AFP l’un deux, Nazar, âgé de 26 ans.
Jeu dangereux
Selon les experts, la mutinerie en Russie pourrait toutefois avoir un impact, au moins psychologique, sur le cours de la guerre dans laquelle les miliciens de Wagner ont pris une part active. « La rage de Prigojine contre l’élite pourrait se répandre au sein de l’armée russe », a estimé Lucian Kim, du Centre de réflexion américain Wilson.
Le Kremlin a cherché à éviter ce scénario en promettant également l’impunité aux mercenaires de Wagner ayant participé à la rébellion, faisant preuve d’une très inhabituelle mansuétude. Si les termes du compromis entre le Kremlin et le chef de Wagner restent sujet à spéculations, le président bélarusse a joué un rôle-clé. Il a ainsi remporté une victoire de prestige mais pourrait en regretter le prix en voyant arriver chez lui l’encombrant chef de Wagner, selon des analystes.
Le président lituanien Gitanas Nauseda a réagi dimanche en affirmant que l’Otan devra « renforcer » son flanc Est si Evguéni Prigojine faisait bien son arrivée au Bélarus. De façon insolite, les autorités russes ont par ailleurs recommandé aux médias de donner un jour de congés à leurs employés après une journée de samedi « prenante émotionnellement et tendue ».
L’occident prend ses désirs pour des réalités.
Poutine est plus fort que jamais.