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Rosé et Rhäifrensch : les surprises de la Moselle


La cuvée Rhäifrensch de Corinne Kox a vieilli au moins 4 ans sur lattes. (Photo : erwan nonet)

Dans son édition de novembre, la réputée Revue du vin de France a publié une très intéressante dégustation des vins de Moselle luxembourgeoise, française et allemande.

C’est à l’initiative de Terroir Moselle que La Revue du vin de France (RVF) qui vient de sortir ce mois est allée déguster des crus venus du Luxembourg, de France et d’Allemagne. Il s’agit d’une jolie idée portée par le Groupement européen d’intérêt économique basé à Grevenmacher qui promeut depuis sa création en 2013 la constitution d’une Moselle plurilingue et sans frontières. Un coup d’autant plus réussi que, comme son nom l’indique, La Revue du vin de France ne traite que rarement des vignobles étrangers dans ses pages, le magazine de référence s’intéressant très majoritairement aux vins hexagonaux. Autant dire que les mentions concernant le vignoble luxembourgeois y sont très rares.

C’est la sommelière alsacienne Caroline Furstoss qui s’est attelée à la tâche. Membre du conseil de dégustation de la RVF depuis 2009, longtemps sommelière du restaurant de Jean-François Piège à Paris, c’est à Trèves qu’elle avait été conviée pour juger les vins des trois pays. Le Luxembourg n’est d’ailleurs pas une terre viticole inconnue pour l’experte. Elle a déjà rencontré plusieurs vignerons chez eux et participé, notamment, à la création de la carte des vins du restaurant qui vient d’accrocher récemment sa première étoile au Guide Michelin, La Villa de Camille et Julien (Pulvermühle, Luxembourg). Carte qui comporte bien sûr plusieurs références luxembourgeoises.

Gault&Millau donne aussi ses préférés

Le 24 octobre dernier, le guide Gault&Millau a annoncé la liste de ses restaurants luxembourgeois préférés. Le chef de l’année est Roberto Fani, du Ristorante Fani à Roeser. Mais le guide aime aussi beaucoup les vins et les sommeliers. Le sommelier de l’année est d’ailleurs un pilier de la profession depuis des décennies au Luxembourg : Thierry Corona, qui officie au restaurant Les Roses, à Mondorf.

Gault&Millau a également mis à l’honneur ses stars de la Moselle, cinq vins qui, pour lui, méritent tous les honneurs. Voici les lauréats : le crémant Corpus V brut du domaine Pundel-Err/Pundel-Hoffelt (Machtum), le Riesling Charta Ehnen Wousselt Vieilles Vignes 2019 du domaine Häremillen (Ehnen), le Pinot Noir Ma Tâche du domaine Henri Ruppert (Schengen), l’auxerrois Clos du Paradis du Château Pauqué (Grevenmacher) et le Gewurztraminer Vendanges Tardives 2018 du Domaine Mathis Bastian (Remich).

Echapper à l’entre-soi n’est jamais une mauvaise nouvelle

Vu du Luxembourg, l’exercice présenté par la RVF est intéressant puisqu’il permet de confronter les vins de la Moselle à un autre palais que ceux qui les dégustent d’habitude. Exactement le type d’ouverture qui leur fait encore largement défaut : échapper à l’entre-soi n’est jamais une mauvaise nouvelle.

La lecture de ces vins luxembourgeois par la sommelière alsacienne est très intéressante et le classement des crémants ne manquera pas de surprendre les connaisseurs locaux, voire de dérouter les amateurs classicistes. Car les crémants les mieux notés ne sont pas considérés au Grand-Duché comme des crémants haut de gamme. Aucune des bouteilles des crémants de tête n’a, par exemple, été élevée en barriques. Ce sont des bulles gouleyantes, pleines de plaisir immédiat. Et qui plus est, elles sont plutôt bon marché!

Le meilleur crémant dégusté ce jour-là par Caroline Furstoss ne coûte que 10 euros, il s’agit du brut rosé des Caves St Martin, à Remich, propriété de la famille Gales. La RVF lui a attribué la note de 90/100, appréciant sa «finesse dans un registre de fruits noirs», sa bulle «crémeuse» et sa bouche «fraîche et précise».

Deux crémants dans le top 5

Isabelle Gales, forcément est ravie : « Je suis très fière! Le crémant St Martin rosé brut, composé à 100 % de pinot noir, n’est peut-être pas notre crémant le plus prestigieux, mais je dois dire qu’il nous rapporte chaque année beaucoup de récompenses! Pour moi, il est tout ce qu’un crémant rosé doit être : doté d’une très belle couleur et de beaux arômes fruités qui n’en font pas trop non plus. Je trouve que l’équilibre entre la fraîcheur et le fruit est parfait. Je dois dire que nous avons la chance de pouvoir compter sur un excellent maître de chai (NDLR : Arno Bauer)!»

La vigneronne a même réussi à placer deux crémants dans le top 5, puisque le G by Gales est également cité avec une note de 88/100. «Ce crémant est totalement différent, beaucoup plus complexe, analyse-t-elle. Ce n’est pas un crémant classique puisqu’il est élaboré avec une grande proportion de vins de réserve (NDLR : donc un assemblage de plusieurs millésimes).» Autant le crémant rosé est idéal à partager entre amis sur une terrasse en été (mais pas seulement!), autant il faut avoir le temps de déguster le G by Gales pour lui-même, au calme voire à table en accompagnement d’un repas. Ce sont deux profils de bulles très différents, mais de grande qualité l’un comme l’autre.

Gales et L&R Kox en tête

Comme le St Martin rosé, un autre crémant a été noté 90/100. Il provient également de Remich mais du domaine Laurent & Rita Kox, cette fois. La bouteille sélectionnée peut surprendre, là aussi, puisqu’il s’agit de la cuvée Rhäifrensch brut. Or le Rhäifrensch n’est ni plus ni moins que l’ancien nom de l’elbling, ce cépage totalement dévalué de nos jours dans la Moselle (moins du côté allemand que du côté luxembourgeois) et dont plus personne ou presque ne veut. «C’est une cuvée droite, pas boisée, mais ce crémant n’est pas simpliste pour autant puisqu’il a passé au moins 4 ans sur lattes (NDLR : la législation impose 9 mois). Le contact avec les lies apporte donc une aromatique évoluée et complexe, avec de fines bulles élégantes.» Là aussi, on ne se ruinera pas en la dégustant puisque la bouteille est à 10,60 euros.

Cette reconnaissance de l’elbling fait obligatoirement penser au succès tout aussi étonnant du vin tranquille de cette même famille Kox élaboré et qui connaît un vrai succès sur la côte est des États-Unis, notamment à New York. Comme quoi, il faut relativiser la notion du bon, qui est avant tout une construction culturelle et sociale et certainement pas un jugement objectif et définitif.

Il nous rapporte chaque année beaucoup de récompenses!

Si Isabelle Gales et Corinne Kox sont ravies d’avoir vu leurs bouteilles en haut du classement de la RVF, elles sont également très contentes de voir les terroirs mosellans mis à l’honneur. «Démontrer que nos vins peuvent obtenir une belle reconnaissance internationale fait du bien à tout le Luxembourg», assure Isabelle Gales. «Je suis ravie que la RVF présente notre petite région de cette manière, à côté des vins de Lorraine et de ceux de la Moselle allemande, souligne Corinne Kox. Je trouve qu’inclure toute la Moselle dans une dégustation est une très bonne idée, d’autant qu’ils existent une grande diversité de vins chez nous. J’espère que cela aura un impact!» La revue vendant 40 000 numéros chaque mois (dont la moitié à ses abonnés), une belle visibilité est déjà garantie.

Vins tranquilles : Château Pauqué, Clos des Rochers, Henri Ruppert et Domaine Thill

La RVF a également dégusté des vins tranquilles dans le cadre de son exercice transfrontalier. Les quatre premiers vins sont tous des rieslings. La première place revient à Aby Duhr (Château Pauqué, à Grevenmacher) et à son riesling Sous la Roche-Rue 2017 (92/100). Il est suivi par le Riesling Grevenmacher Fels 2019 du Clos des Rochers (Grevenmacher, 91/100), le Riesling Wintrange Felsberg 2018 du Domaine Henri Ruppert (Schengen) et le Riesling Château de Schengen 2019 du Domaine Thill (Grevenmacher, 91/100). Il faut noter que le Clos des Rochers et le Domaine Thill font tous les deux parties des caves Bernard-Massard.