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Roberto Mendolia : «L’ALEBA devrait être à la tripartite»


L'ALEBA est farouchement opposée à un nouveau gel intégral de l'index. «Après, si vous voulez le geler pour ceux qui en ont le moins besoin, on peut le cautionner. Mettre un index pour entretenir du luxe n'est pas le but de cette compensation», clame Roberto Mendolia. (Photo Hervé Montaigu)

Roberto Mendolia, le président de l’ALEBA, vise à atteindre, au plus tard en 2029, le seuil des 20 % de voix à la Chambre des salariés. Un tel score permettrait au syndicat, qui ne se limite plus au secteur financier, d’être doté du statut de représentativité nationale.

L’ancienne Association des employés de banque et d’assurance, représentée avec quatre sièges à la Chambre des salariés sortante, s’est transformée, en mars 2023, en Association luxembourgeoise pour tous les employés ayant besoin d’assistance. L’acronyme ALEBA est maintenu, mais l’orientation est tout autre pour l’ancien syndicat du secteur financier. Il s’affiche comme «un syndicat pour tous», qui présente des listes dans six des neuf secteurs qui composent la CSL : Services financiers, Autres services, Administrations et entreprises publiques, Santé et Action sociale, CFL et Retraités. 

Le président de la nouvelle ALEBA, Roberto Mendolia, nous dresse le portrait de son syndicat et évoque les revendications pour les élections sociales du 12 mars.

Jusqu’il y a peu, on connaissait l’ALEBA uniquement comme un syndicat représentant les employés de banque et d’assurance. En amont des élections sociales de ce 12 mars, vous avez cependant décidé de devenir un syndicat plus généraliste. Quelles sont les raisons de cette nouvelle orientation ?

Roberto Mendolia : Énormément d’anciens membres de notre syndicat, qui ont quitté la finance, nous ont déjà interpellés, dès les élections sociales de 2019, afin de savoir pourquoi ils n’avaient pas la possibilité de voter pour l’ALEBA dans d’autres secteurs. Ils nous disaient s’être toujours très bien sentis défendus par l’ALEBA. Voilà un premier déclencheur pour cette plus large ouverture à d’autres secteurs d’activité. Ensuite, lorsque j’ai pris la présidence, en 2019, je me suis intéressé à toutes ces lois sur la représentativité. J’étais sidéré par ce que j’ai lu et vu, avec un historique derrière qui n’est pas très glorieux pour un pays qui est une capitale de l’Europe. Il faut appeler un chat un chat. Il y a des lois qui devraient être revues sérieusement.

Vous songez à quels points ?

L’ALEBA est bien représentée à la Chambre des salariés. Mais moi, je me suis surtout demandé pourquoi nous ne sommes pas invités à la tripartite. On devrait y être parce que nous avons un avis qui est souvent neutre politiquement et qui permet justement de faire avancer certaines choses. Puisque nous, on peut dire des choses que d’autres ne pourraient pas dire. Donc il y a cet élément de frustration qui fait que nous ne disposons pas de la représentativité nationale par la loi, bien que nous ayons des délégations de personnel qui sont déjà actives, depuis 2019 d’ailleurs, dans d’autres secteurs. C’est notamment le cas chez Aldi. Il n’y a donc absolument aucune raison de nous refuser ce statut national.

Vous faites aussi allusion au fait que le « plus grand » syndicat du pays est celui des délégués du personnel, qui n’appartiennent ni à l’OGBL, ni au LCGB, ni au NGL-SNEP, et donc, également pas à l’ALEBA ?

Ce point est, en effet, très marquant. Ce sont 60 % des délégations du Grand-Duché qui sont neutres. Et quand vous savez ce qu’on fait comme travail derrière pour défendre les salariés et les délégations, on ne sera jamais assez de trois syndicats nationaux, il en faudrait même un quatrième ou cinquième pour pouvoir défendre tout le monde et motiver les gens à se mettre sous une bannière parce qu’on ne rend pas compte de l’importance que c’est que d’avoir un syndicat qui défend vos intérêts.

Quels sont les retours que vous recevez par rapport à la mue engagée par l’ALEBA ?

Les retours sont très positifs, que ce soit par mail ou de vive voix. Souvent des personnes – je prends les CFL pour exemple – nous invitent pour nous féliciter du travail réalisé. L’espoir est exprimé de pouvoir avoir aussi une délégation ALEBA après les élections sociales à venir. Nous l’espérons aussi, mais pour ça, il faut que les candidats se présentent et soient élus. Dans les hôpitaux, c’est incroyable, ils nous attendaient. Les crèches sont aussi avec nous. Il y a beaucoup d ‘endroits où on nous dit : « On vous attendait ».

Quelle est l’ampleur du plus large recrutement effectué en prévision de ce premier scrutin comme « syndicat pour tous » ?

La Chambre des salariés, c’est une chose, mais être délégué du personnel, c’est autre chose. Ce sont deux métiers distincts, mais voilà, on essaye. En fin de compte, nous sommes parvenus à établir des listes dans six des neuf secteurs que compte la CSL. On dispose aussi de candidats dans les trois autres secteurs, mais on n’a pas réussi à établir de listes complètes. Aujourd’hui, 531 000 électeurs ont un bulletin dans lequel ils voient des candidats ALEBA, contre 180 000 précédemment, 60 000 actifs du secteur financier et 120 000 retraités.

Et au niveau des délégations, vous avez un chiffre aussi à avancer ? 

Nous nous développons progressivement dans les autres secteurs, mais par contre, comme je vous l’ai dit, il y a un transfert en cours avec des délégations qui comptent passer sous la bannière de l’ALEBA. C’est le cas dans de grandes sociétés, dont les « Big Four » (NDLR : les cabinets d’audit Deloitte, EY, KPMG et PwC) traditionnellement neutres. À part chez PwC, nous avons des candidats issus de ces entreprises pour la CSL, mais certains envisagent également de faire une délégation affiliée à l’ALEBA. Or, cette diversification ne veut pas dire que le secteur financier a désormais moins d’importance pour notre syndicat. Absolument pas. C’est même le service financier qui demeure celui dans lequel nous avons le plus de membres.

Pourquoi voter pour les listes et candidats de l’ALEBA ?

Notre grand avantage est que nos candidats sont vraiment des gens du terrain. Ce sont eux qui prennent la gouvernance et qui créent le silo. On n’a pas peur du développement, puisque notre méthode de gouvernance vient du terrain. L’ALEBA de par ses statuts est le seul syndicat où tous les dirigeants sont délégués de terrain.

Notre grand avantage est que nos candidats sont vraiment des gens du terrain

Plutôt que de retourner devant les tribunaux, comme ce fut le cas en 2019 après avoir perdu votre statut de syndicat représentatif dans le secteur financier, vous misez donc en priorité sur le résultat qui sortira le 12 mars des urnes, afin de renforcer la position de l’ALEBA à l’échelle nationale ?

Tout est lancé en parallèle, que ce soit par les tribunaux ou par les électeurs, par le changement des lois – parce qu’il faut qu’elles changent. Ce n’est plus possible qu’on garde cette tâche dans un pays aussi démocratique que le Luxembourg. Et donc il y a vraiment des choses qui doivent changer. Nous avons parlé avec le nouveau ministre du Travail, Georges Mischo, début février. Cette entrevue était très prometteuse. Il nous a même demandé de lui fournir toutes ces lois que nous considérions comme discriminatoires. Ce n’est pas uniquement un combat pour l’ALEBA, c’est vraiment un combat pour la démocratie.

Vous avez donc l’espoir de pouvoir signer dans les urnes un résultat qui, justement, va vous ouvrir la voie à cette représentativité nationale ?

L’espoir est là. Maintenant, notre objectif, ce sont quand même les élections sociales de 2029. Là, on se sera vraiment installés. Aujourd’hui, nous avons créé les fondations. Nos candidats créent la nouveauté, s’installent et vont progressivement évoluer parce que nous avons une méthode d’apprentissage de nos délégués qui ne peut que fonctionner, puisque chez nous c’est d’abord la personne et la défense des intérêts des gens avant la défense du syndicat. On a beaucoup d’atouts, beaucoup d’avantages à faire valoir. Et surtout, notre façon de gérer les problèmes fait que les gens nous sont fidèles et le restent. On a très peu de départs et s’il y en a, c’est en très grande majorité – à 95 % – pas pour mécontentement, mais pour changement de pays, d’employeur ou de secteur. Mais ce n’est pas pour se tourner vers un autre syndicat.

Est-ce que l’ALEBA se fixe un objectif chiffré pour le scrutin à venir, à la fois pour la CSL et au niveau de l’élection des délégations dans les entreprises ?

On n’a pas fixé de chiffres. Mais simplement pour obtenir la représentativité nationale, il faut 20 % des voix exprimées par les votants à la CSL. Donc, nous, on espère avoir ces 20 %. Dans le secteur financier, on espère repasser la barre des 50 %.

On a beaucoup parlé du cadre légal, mais il y a bien entendu aussi le fond, avec votre programme électoral. Quelles sont vos revendications phares ? 

Les conventions collectives priment. Très honnêtement, le problème que nous avons au niveau de la représentation neutre de la population active n’est pas forcément lié au fait que les gens ne sont pas au courant de quels sont les syndicats qui existent. Mais souvent, ils ne veulent pas y aller, notamment sous l’impulsion de leur direction qui leur dit ne pas faire entrer de syndicat dans l’entreprise. Et ça, c’est gravissime. Il faut donc aussi légiférer à ce niveau pour ancrer la place des syndicats – pas uniquement ceux dotés de la représentativité nationale – dans toutes les entreprises de plus de 15 salariés.

Au niveau des conventions collectives, justement, le Luxembourg affiche, avec un taux de 50 % à peine, encore un grand retard pour respecter la couverture de 80 % des salariés imposée par l’UE. Sur ce point, vous devriez être sur la même ligne que l’OGBL et le LCGB ? 

Vous avez tout dit. Tout ça est lié. Plus de syndicalisation équivaut à plus de conventions collectives. Et je finirai peut-être par cette phrase que j’ai lue quelque part : « Les pays qui marchent le mieux, qui fonctionnent le mieux, les plus prolifiques, ce sont ceux où le syndicalisme est fort et respecté ». Et je pense que nous devons apprendre aux employeurs à respecter les syndicats. Il faut obliger les entreprises à une syndicalisation plus nationale, de manière à ce que la représentation de tous les salariés soit assurée.

Sachant que les élections sociales sont ouvertes à l’ensemble des travailleurs et pensionnés frontaliers, quelle est votre proposition par rapport aux contingents pour pouvoir travailler à distance ? 

Nous devons promouvoir le télétravail, que ce soit pour le bien-être ou pour l’écologie. Il y a beaucoup de choses à prendre en considération, dont la distraction. Vous êtes au bureau et il vous faut 20 minutes pour vous concentrer sur un sujet, mais vous êtes distrait toutes les 5 minutes. À la maison, ce n’est pas le cas. Vous coupez le téléphone, il n’y a pas quelqu’un qui va passer et vous distraire. On travaille alors de manière beaucoup plus efficace.

Combien de jours de télétravail doivent, selon vous, être accordés aux frontaliers ?

Il y a une bonne balance à avoir entre le télétravail et la présence dans l’entreprise. On connaît tous les avantages. On a déjà fortement défendu le télétravail par le passé. On a aussi parlé d’espaces bureaux qui, avec plus de recours au télétravail, seraient moins nécessaires, ce qui pourrait aussi avoir un impact positif sur les prix de l’immobilier.  Est-ce que c’est plutôt deux jours par semaine ou est-ce que vous revendiquez un autre chiffre?  Nous, on veut pousser jusqu’aux 49,9 % de la sécurité sociale. Il n’y a aucune raison d’aller en dessous. Et puis chacun décide par rapport à cet axe. Les pays concernés doivent quand même se rendre compte que si les gens ne veulent plus venir travailler au Luxembourg, ils devront trouver 40 000 emplois en Belgique ou 80  000 en France. Donc quelque part, les offres que le Grand-Duché peut offrir comme emplois, ça aide tout le monde. Continuons à favoriser ce pôle d’emploi luxembourgeois, qui est si riche et qui permet justement d’attirer des talents.

«Aujourd'hui, 531 000 électeurs ont un bulletin sur lequel ils voient des candidats ALEBA, contre 180 000 précédemment», informe Roberto Mendolia. Photos : hervé montaigu

Le nouveau gouvernement CSV-DP ne semble pas enclin à toucher aux heures de travail. Par contre, il se confirme que la promotion de la place financière sera une grande priorité. Est-ce que les annonces faites vont dans le bon sens ?

Jusqu’à maintenant, l’ALEBA n’a pas de grandes critiques à faire, si ce n’est le télétravail et une réforme du syndicalisme en général, de la représentation nationale. Ce sont deux grands points qui manquent dans le programme gouvernemental. On a expressément demandé au ministre du Travail de pouvoir participer aux groupes de travail qui se penchent sur une réforme du dialogue social afin de pouvoir donner aussi cette impulsion qui vient du terrain.

Quelle est votre position par rapport à l’index ?

Eh bien, nous sommes ravis que l’index en soi ne soit pas remis en question par le nouveau gouvernement. Si l’ALEBA s’est montrée favorable à réformer l’index, c’était par rapport au gel de l’index décidé en 2022 par la tripartite. Cette mesure s’est appliquée à tout le monde, y compris les bas salaires, qui gagnent à peine 20 000 euros par an. Et c’est ça le grand problème. Notre message est clair : « Ne jouez plus jamais avec l’index ». C’est pour ça que je voudrais que l’ALEBA siège à la tripartie, simplement pour dire, on ne gèle plus jamais l’index, au moins pour les plus bas salaires. Après, si vous voulez le geler pour ceux qui en ont le moins besoin, on peut le cautionner. Mettre un index pour entretenir du luxe n’est pas le but de cette compensation. Les 2,5 % s’appliquent à tous les salaires. Celui qui gagne 200 000 euros touche 5 000 euros en plus par an. C’est énorme. Je crois que la majorité des ménages ont beaucoup souffert de ce gel d’index, et c’est la raison pour laquelle nous avons dit : « Au moins, échelonnez-le ». Donc plus de sélectivité sociale ou un autre modèle d’index.

Vous avez, donc, la ferme intention de vous faire une place encore plus importante parmi les deux autres syndicats que sont l’OGBL et le LCGB. Est-ce que vous sentez que cette nouvelle concurrence leur fait peur ?

Qu’on fasse peur, oui, parce qu’il y a un ordre établi qu’on est en train de secouer. Maintenant, qu’on ait peur de l’ALEBA est exagéré. Nous ne sommes pas extrêmes, nous sommes assez modérés, et surtout, nous avons un avis qui est, donc, politiquement neutre. C’est très important que l’on ait un acteur comme l’ALEBA dans le paysage syndical, qui est une voix neutre politiquement et qui puisse passer des messages que d’autres ne pourraient pas. Maintenant, nous considérons les autres syndicats comme des partenaires et pas comme des concurrents, contrairement à ce que j’ai déjà entendu de leur part.

Repères

État civil. Roberto Mendolia est né le 8 août 1973 à Seraing de parents immigrés siciliens. De nationalité belge, il est marié et père d’un enfant de 23 ans. 

Formation. Initialement étudiant en génie électrique, il s’est orienté vers l’informatique, commençant comme ingénieur système chez Cedel (devenu Clearstream Services) en 1999 avant d’accéder à des postes de gestion de projet.

Carrière. De 1997 à 1999, Roberto Mendolia travaille pour AGF/Assubel à Bruxelles. Après un court passage à la Commission européenne, il arrive au Luxembourg, où il travaille toujours pour Clearstream Services. 

ALEBA. Délégué du personnel depuis 2003, Roberto Mendolia devient membre du comité de l’ALEBA en 2014. Il occupe le poste de vice-président de 2016 à 2019. 

Président. Sa présidence, débutée en 2019, est marquée par la transformation de l’ALEBA comme syndicat du secteur financier à «un syndicat pour tous» (lire ci-dessus).