Le Off d’Avignon, plus grande manifestation de spectacle vivant en France, va renouer avec son offre pléthorique d’avant-pandémie, soit plus de 1 500 spectacles. Avec un Luxembourg bien présent.
La 53e édition du Off a commencé jeudi, précédée mercredi de sa parade traditionnelle, de retour pour la première fois depuis 2019, et durera jusqu’au 30 juillet, parallèlement au festival d’Avignon. L’évènement aspire toutefois à améliorer son modèle économique en favorisant Avignon comme «fabrique de spectacle vivant» hors festival.
«Il faut utiliser tout au long de l’année les 138 salles (d’Avignon) qui sont en majorité fermées onze mois sur douze», indique Harold David, nouveau codirecteur avec Laurent Domingos de l’association Avignon Festival et Compagnie (AF&C), qui gère le Off. Il a proposé notamment des résidences de compagnies dans les différents théâtres de la Cité des papes. De «200 à 300 compagnies en résidence changeront considérablement le visage d’Avignon hors saison», a-t-il ajouté.
Pour les organisateurs, ceci permettra aux compagnies de sortir de l’urgence de la période du festival et d’attirer davantage de public. Le Off, créé en 1966, quelques années après le festival d’Avignon, s’est développé pour devenir ce que certains critiquent comme une «jungle» en raison du trop-plein de spectacles, souvent peu diffusés par la suite, sans compter le sous-paiement d’un bon nombre d’artistes.
Et l’ouverture cette année d’une nouvelle salle, la Scala Provence – où le pianiste luxembourgeois Francesco Tristano se produira les 15 et 16 juillet – risque de ne pas arranger les choses.
Vers un cahier des charges?
À cette fin, l’AF&C compte discuter avec les théâtres et les compagnies d’une idée de label qui les engagerait à un «cahier des charges» et leur permettrait d’obtenir en contrepartie des aides. «Cela doit être une démarche volontaire des compagnies et des lieux, l’AF&C n’imposera rien à qui que ce soit», dit Harold David. En soutien aux artistes, l’association a également lancé une campagne de financement participatif.
Autres problèmes soulevés par l’association, celle du «public vieillissant et qui ne se renouvelle pas» – la moyenne d’âge du festivalier est de 50 ans depuis des années – et un «effet ciseaux» avec une politique de soutien des pouvoirs publics à la création, mais une faible diffusion des spectacles, comme l’a pointé récemment la Cour des comptes française pour l’ensemble du spectacle vivant.
«Depuis 2008, il y a eu une baisse de 30 % des moyens des programmateurs pour acheter des spectacles et le nombre de dates et de levers de rideaux a baissé drastiquement depuis 15 ans» dans toute la France, note Harold David.
Deux auteurs nationaux mis en scène
Le festival Off a aussi commencé jeudi pour les pièces produites et coproduites au Grand-Duché, après la visite, mercredi, d’une importante délégation luxembourgeoise. Cette dernière a notamment assisté à la générale de Terres arides, la pièce entre théâtre documentaire et théâtre de narration d’Ian De Toffoli, choisie pour représenter le Luxembourg à Avignon.
«Un jeu de hasard», réagit l’auteur et metteur en scène, qui reconnaît tout de même qu’il s’agit là d’un «envol pour (sa) carrière». «Les choses bougent pour moi et j’en suis très content», ajoute celui qui a aussi publié jeudi un recueil, Trilogie du Luxembourg, comportant trois pièces, Terres arides, Tiamat et Confins.
Alors que le festival, In comme Off, se déroulera sous le signe de la solidarité avec l’Ukraine – avec, en ouverture officielle du In, la mise en scène du Moine noir d’après Tchekhov par l’artiste dissident russe Kirill Serebrennikov –, la pièce Terres arides, qui raconte le voyage d’un journaliste de RTL en Syrie, à la rencontre du seul résident luxembourgeois parti rejoindre les rangs de l’État islamique, résonne différemment, un an après sa première au Kinneksbond.
«Il s’est passé beaucoup de choses depuis, explique le dramaturge : d’autres attaques, dont une sur la prison où le soldat était enfermé. On a dû jouer avec tout ça, et j’ai donc dû retoucher des trucs, modifier la fin… Le Off demande aussi que les pièces – surtout documentaires, avec des sujets durs – ne durent pas 1 h 45, telle qu’elle a été jouée au Kinneksbond, j’ai donc dû la rendre plus courte.»
Ian de Toffoli et Jean Portante
Des propos qui font écho au «nivellement par le rire» remarqué par Marc Lesage, à la tête des théâtres de la Michodière, de Paris et des Bouffes-Parisiens, et qui pourrait se répercuter sur l’offre avignonnaise, mais qui n’inquiète pas l’auteur luxembourgeois. «À mon avis, Terres arides a gagné en puissance et en concision», juge-t-il.
De Toffoli est l’un des deux auteurs luxembourgeois mis en scène à Avignon cette année, avec Jean Portante, dont le Frontalier (une production du TNL mise en scène par Frank Hoffmann) sera joué jusqu’au 30 juillet. Ensemble, ils participeront le 13 juillet à une table ronde organisée par Kultur:LX, sur le thème : «Écrire le théâtre contemporain».
Un sujet «inépuisable, dit Ian De Toffoli, tant la forme théâtrale, l’un des genres littéraires les plus ouverts, se réinvente à chaque écriture. C’est presque une non-forme. Et il y a encore tellement d’innovations structurelles à faire…».
«La forme classique de l’auteur qui s’enferme chez lui et écrit dans son coin n’est plus majoritaire», ajoute-t-il, précisant que, malgré les plus de 150 ans d’existence du théâtre luxembourgeois, «le genre théâtral est encore en train d’éclore». Autrement dit, qu’à Luxembourg comme à Avignon, le meilleur du théâtre national reste encore à venir…
Festival Off d’Avignon,
jusqu’au 30 juillet.
«Trois questions à Ian De Toffoli»
L’auteur, dramaturge et metteur en scène Ian De Toffoli, avec sa pièce documentaire «Terres arides», représente le Luxembourg à Avignon. Il aborde les opportunités qu’offre le festival d’Avignon et réfléchit à l’exception luxembourgeoise dans l’écriture théâtrale.
Pour un auteur et metteur en scène, montrer une pièce à Avignon, est-ce une finalité, une chance?
Ian De Toffoli : Il faut voir cela comme un tremplin. Ce n’est pas une finalité, ce n’est pas non plus un couronnement. C’est un début. Le festival d’Avignon permet déjà à une pièce d’être montrée et de permettre à cette pièce de tourner par la suite.
Que vient-on faire, concrètement, à Avignon, et quel sera votre quotidien pendant ce mois de juillet?
La pièce est programmée tous les jours pendant un mois : ça, c’est le rendez-vous fixe. À côté de cela, notre temps est, en énorme partie et avant tout le reste, dédié au réseautage. Pour ma part, je présenterai aussi le livre Trilogie du Luxembourg à deux occasions, avec des lectures et des rencontres. Le programme-cadre ne sert qu’à cela, nouer des contacts. Et il est très chargé. Mais c’est un exercice que j’aime bien, et puis ça fait partie du jeu.
Vous participez à une table ronde sur l’écriture contemporaine. Aujourd’hui, la place du dramaturge a beaucoup changé, mais au Luxembourg, où l’on joue dans plusieurs langues – parfois dans la même pièce –, l’auteur n’est-il pas aussi peu conventionnel que primordial?
Je ne peux que répondre pour moi : mon écriture part aujourd’hui vers le documentaire, le récit… Une certaine théâtralité s’en va, elle glisse vers autre chose, se mélange à d’autres genres, d’autres registres, d’autres tonalités. Que ce soit conventionnel ou pas, ça, je ne le sais pas. Mais le mot « conventionnel » est un piège.
Il est vrai, cependant, que les pièces et les formes plus expérimentales sont nouvelles chez les auteurs luxembourgeois. Le choix de travail des frères (Guy et Nico) Helminger ou de (Guy) Rewenig dans les années 1980, par exemple, a été d’explorer différentes formes d’écriture. De là, on est parti vers quelque chose de nouveau.