Léon Moyen a combattu aux côtés des Sud-Coréens entre 1951 et 1953. Il fait partie de la délégation luxembourgeoise qui s’est rendue cette semaine en Corée à l’occasion des 70 ans de l’armistice.
Ils ne sont plus que cinq Luxembourgeois à avoir combattu durant la guerre de Corée à être toujours en vie et à pouvoir encore témoigner de cet épisode trop souvent méconnu, voire oublié au Grand-Duché.
Léon Moyen, âgé de 92 ans aujourd’hui, est l’un d’entre eux. Domicilié au Canada depuis de nombreuses années, il a été invité à rejoindre la délégation luxembourgeoise pour se rendre en Corée du Sud afin de participer aux célébrations des 70 ans de l’armistice, signé le 27 juillet 1953 dans le but de suspendre les hostilités entre les frères ennemis.
Léon Moyen avait un peu moins de 20 ans quand il s’est porté volontaire pour aller défendre la lointaine Corée du Sud, qui venait d’être envahie par son voisin du Nord, en juin 1950. Le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale, dont les plaies étaient encore vives, a justifié sa décision.
«J’avais huit ans quand les nazis ont envahi le Luxembourg»
«Je voulais aider les gens là-bas à sortir de cette situation dans laquelle nous avions nous-mêmes été. J’avais huit ans quand les nazis ont envahi le Luxembourg, le 10 mai 1939. Je sais ce que c’est que de devoir vivre dans la cave ou dans la forêt alors qu’il gèle dehors», témoigne-t-il. «L’autre raison de mon engagement, c’est que je voulais voir le monde.»
Et il va effectivement voir du pays ! Le jeune homme est recruté pour faire partie du premier contingent de soldats luxembourgeois à se rendre à Busan, dans le sud-est de la Corée du Sud, au sein d’un bataillon belgo-luxembourgeois.
Après une formation paramilitaire à Beverloo, en Belgique, direction le port d’Anvers où il embarque le 18 décembre 1950 avec 42 autres compatriotes à bord du Kamina pour un périple qui durera six semaines avant que les engagés ne posent enfin le pied sur la péninsule coréenne.
Là-bas, Léon Moyen fait partie de l’infanterie. «La première année de la guerre, les attaques étaient incessantes. Nous avions pour mission de les détourner de leurs cibles et de conserver nos positions», raconte l’ancien soldat. Mais quelques mois après son arrivée, le 2 mai 1951, il est grièvement blessé par une balle ennemie à la jambe lors d’une patrouille.
Après avoir reçu des premiers soins sur le terrain, il est transféré dans un hôpital militaire au Japon. Il y restera plusieurs semaines, avant de rentrer au Luxembourg. «J’ai failli perdre ma jambe, mais elle a été sauvée de justesse.»
Mais une fois au pays, le jeune caporal de réserve décide de rempiler. Il fait en effet partie des rares soldats du premier contingent à s’être portés volontaires pour un deuxième mandat. «J’avais signé pour une mission d’un an qui a été écourtée. Je voulais la continuer et retourner aider en Corée.» Et retrouver cet esprit de camaraderie, qu’il a tant apprécié.
Deuxième mission en Corée
Cette fois-ci, c’est en avion qu’il part rejoindre l’ancien Empire ermite. Quarante-six volontaires luxembourgeois font partie de ce deuxième contingent. Ils décollent le 14 mars 1952. «Ce voyage nous a pris une semaine. Ce n’était pas comme aujourd’hui, où il m’a fallu seulement 14 heures pour faire Toronto-Séoul ! On volait cinq ou six heures, puis on atterrissait quelque part. On a atterri à Hawaï, sur l’île de Wake, à Sasebo au Japon, avant d’arriver à Busan.»
Avec ce second mandat, Léon Moyen est promu sergent de réserve. «Cette année-là, nous effectuions surtout des patrouilles. Les patrouilles ennemies frappaient nos lignes pour nous pousser à tirer, afin de savoir de combien d’armes nous disposions. Et nous faisions pareil.» Mais un épisode durant cette mission va le marquer à vie : le décès de son camarade Robert Mores, en septembre 1952.
«Il était environ 22 heures, j’étais prêt à dormir dans mon sac de couchage. Robert m’a apporté un thé. Il l’a posé à côté de moi par terre et il est reparti. À une cinquantaine de mètres de là, une bombe a explosé qui a détruit notre bunker.» Deux Luxembourgeois se trouvent sous les décombres. Le sergent Mores accourt pour leur porter secours. Mais une nouvelle bombe tombe. «Robert est décédé en tentant de les sauver.»
Léon Moyen et ses camarades rentrent au Luxembourg le 21 janvier 1953, quelques mois avant la signature de l’armistice. Par la suite, il est appelé à plusieurs reprises dans des manœuvres militaires interalliées.
Mais comme plusieurs autres vétérans coréens, il a avoué avoir été déçu par le traitement qu’il a subi dans l’armée luxembourgeoise – manque de reconnaissance, jalousie, traitement injuste et discrimination déguisée par des officiers supérieurs lâchant des commentaires cinglants sur son engagement en Corée. En novembre 1955, il décide d’émigrer au Canada. Il abandonne toute carrière militaire et y fonde une famille.
Lorsqu’on l’interroge sur les séquelles potentielles de la guerre de Corée dont il aurait pu souffrir, Léon Moyen assure que de son côté, «ça allait», avant d’ajouter aussitôt : «Mais certains d’entre nous n’allaient pas bien. Sur 85 volontaires, il y en a une quinzaine qui se sont suicidés, quatre ou cinq ans après notre retour…».
Plus de 70 ans après cet épisode, les souvenirs restent encore vivaces. Mais ils n’ont pas entaché l’humour de l’ancien combattant, qui sait autant toucher que faire rire son auditoire. Dans la bouillonnante Séoul, où il a été reçu par le président sud-coréen Yoon Suk Yeol en personne, il ne cesse d’être surpris de l’évolution de ce pays.
«J’ai vu la Corée quand elle n’était qu’un tas de décombres, il n’y avait plus aucun bâtiment debout. Et maintenant, quand je vois à quoi ça ressemble… Je n’ai pas les mots… Comment ont-ils fait? D’un autre côté, ça fait déjà 70 ans et on peut faire beaucoup de choses en 70 ans…»
Immense respect à lui! Et un grand merci pour cet article! 🙂