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Des Luxembourgeois héros de la guerre de Corée


Plaine de Chorwon, position de garde de nuit avec mitrailleuse Browning M1919.

C’est un épisode souvent oublié, mais 85 volontaires luxembourgeois ont combattu aux côtés des États-Unis pendant la guerre de Corée, dont on célèbre les 70 ans de l’armistice ce 27 juillet.

Le Premier ministre, Xavier Bettel, accompagné d’une délégation luxembourgeoise, se rend cette semaine en Corée du Sud où il doit assister à la célébration des 70 ans de l’armistice entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, qui fut signé le 27 juillet 1953, après trois ans de guerre. C’est un épisode parfois oublié, et pourtant : des soldats luxembourgeois ont bel et bien participé à la guerre de Corée (1950-1953)! Ils étaient 85, incorporés dans une unité belgo-luxembourgeoise.

Comment ces jeunes hommes ont-ils été amenés à combattre dans la lointaine péninsule coréenne? À l’issue d’une Seconde Guerre mondiale dévastatrice, le Luxembourg cofonde en juin 1945 avec 50 autres pays les Nations unies dans le but de maintenir la paix et la sécurité internationales. Cinq ans plus tard à peine, en juin 1950, l’invasion de la Corée du Sud par son voisin du nord et des appels au retrait restés sans réponse poussent le Conseil de sécurité de l’ONU à demander aux pays membres de fournir des contingents afin de repousser l’invasion communiste.

Étonnamment, l’Union soviétique, qui soutient Pyongyang, ne s’y oppose pas et se contente de pratiquer la politique de la chaise vide lors du vote du Conseil de sécurité autorisant une intervention militaire en Corée. «Cette attitude demeure encore une interrogation à ce jour», fait remarquer Philippe Victor, enseignant et responsable éducatif du musée national d’Histoire militaire, où a été récemment organisée une exposition consacrée à l’intervention luxembourgeoise en Corée.

«Juste après la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques avaient une certaine pudeur diplomatique – qu’ils ont abandonnée par la suite – et larvaient leur soutien à des guerres offensives, essentiellement pour des raisons de propagande : il s’agissait de ne pas montrer un soutien actif à une agression d’un pays contre un autre», explique-t-il.

Malgré les plaies encore vives du conflit qui s’est achevé cinq ans plus tôt et qui a vu 12 000 Luxembourgeois être enrôlés dans l’armée allemande, le Grand-Duché tient à participer à l’effort de guerre aux côtés de ses alliés et accepte d’envoyer des soldats au pays du matin calme. «C’était l’occasion de démontrer le sérieux de l’engagement diplomatique du Luxembourg», souligne Philippe Victor.

Une opinion publique favorable à l’intervention

Les députés communistes tentent de s’opposer à cette contribution militaire, en vain. «Les familles qui risquaient de voir un de leur jeune renfiler l’uniforme n’étaient pas très contentes non plus, bien sûr. Mais d’une manière générale, l’opinion publique s’est montrée assez favorable à cette intervention, il n’y a pas eu de grandes manifestations contre l’implication du Luxembourg en Corée. Le Luxembourg tirait aussi une certaine fierté de travailler aux côtés de ses partenaires, en dépit de sa taille et d’une contribution peut-être minime, mais qui avait le mérite d’exister», analyse l’enseignant.

La hiérarchie militaire définit un chiffre de 85 soldats, décidé en fonction de ses capacités, qui seront recrutés sur la base du volontariat. Quelques conditions, peu sévères, sont imposées pour être en mesure de se porter volontaire : il faut détenir la nationalité luxembourgeoise, avoir moins de 36 ans, être apte médicalement et passer une enquête de police, portant notamment sur l’attitude politique pendant la Seconde Guerre mondiale. «On voulait dégager les collabos», précise Philippe Victor.

Pour mobiliser les troupes, une rémunération plus importante que le salaire habituel a bien sûr été garantie, ainsi que des promesses d’avancement ultérieures plus rapides et l’accès à des postes intéressants dans la police ou aux douanes. Mais le goût de l’aventure et l’envie de découvrir l’Extrême-Orient ont aussi pesé dans la balance pour quelques-uns. Sans oublier l’engagement idéaliste, comme le relève Philippe Victor : «Il y a bien sûr aussi eu des jeunes qui se percevaient comme les défenseurs de la démocratie et de la liberté.»

Le contingent luxembourgeois sera divisé en deux groupes. Un premier appel est lancé en septembre 1950, auquel répondent 129 candidats, dont 102 civils et 27 militaires. Quarante-trois soldats (22 civils, 21 militaires de carrière) sont engagés pour un contrat qui s’étend de septembre 1950 à septembre 1951. Le 18 décembre 1950, les soldats embarquent à bord du Kamina, dans le port d’Anvers, pour un long voyage de 44 jours afin de rejoindre l’ancien «royaume ermite», à quelque 21 400 kilomètres de là par voie maritime. Ils y resteront 206 jours.

Le second appel est lancé en juin 1951 pour constituer un deuxième groupe, dont le contrat s’étendra de janvier 1952 à janvier 1953. Cent deux hommes se présentent, 46 sont retenus (12 civils et 34 militaires), dont quelques-uns qui avaient déjà participé à la première mission. C’est en avion qu’eux partent rejoindre la péninsule, le 14 mars 1952. Entre l’avion et les différents transferts en train et en bateau, le voyage durera onze jours tout de même, ils arriveront le 21 mars 1952 et leur mission sur place durera 293 jours.

«Le premier contingent a été essentiellement engagé dans une guerre de mouvement, une guerre classique qui avance et qui recule, tandis que lorsque le deuxième groupe arrive, la guerre est déjà fixée sur certaines positions qu’il s’agit de défendre», décrit Philippe Victor. Les troupes luxembourgeoises étaient à chaque fois incorporées dans une unité belgo-luxembourgeoise, qui totalisait 950 hommes environ. À partir de 1952, 150 Sud-Coréens ont été affectés à cette unité comme auxiliaires.

Deux Luxembourgeois morts à la guerre

Parmi les engagés luxembourgeois, 17 ont été blessés au champ, deux ne reviendront pas, le sergent Robert Mores et le caporal Roger Stütz. «Un soldat est mort dans l’effondrement d’un bunker, un autre, le chauffeur d’un officier, a été touché par un éclat d’obus», relate Philippe Victor.

Aucun doute toutefois que les survivants ont eu des séquelles psychologiques plus ou moins marquées. «L’état de stress post-traumatique n’était pas encore connu comme il l’est aujourd’hui, on parlait alors de « psychose traumatique«  ou de « fatigue de combat« . Aucun n’est rentré plus tôt de la guerre à cause de cela. Cependant, après leur démobilisation, certains ont eu beaucoup de soucis d’ordre psychologique. Parfois, ils ont dû quitter l’armée, certains sont même devenus SDF dans le quartier de la Gare. D’autres sont parvenus à encaisser les coups, mais leurs épouses ont témoigné du fait qu’ils ont fait des cauchemars tout le reste de leur vie. Chaque guerre affecte les gens différemment. Certains sont plus solides psychologiquement, mais il y a aussi des personnes qui ont été témoins de faits plus atroces que d’autres», souligne Philippe Victor.

À leur retour, le pays célèbre ses valeureux combattants. Des funérailles nationales sont organisées pour les soldats tombés, des décorations et des médailles sont remises. La presse s’en fait l’écho, mais le souvenir de cette guerre s’estompe assez rapidement.

Plusieurs raisons à cela, selon Philippe Victor : «Déjà, techniquement, la guerre n’est toujours pas terminée aujourd’hui. Les négociations sur le volet coréen ont été un échec : on est depuis 1953 dans un statu quo. L’attention se place aussi dès 1954 sur l’Indochine, avec la défaite française de Diên Biên Phu. Et il y aura d’autres crises en Europe qui vont éclipser cet épisode, par exemple la crise hongroise de 1956. Enfin, cet épisode militaire n’a concerné qu’un nombre limité de volontaires, qui sont presque tous bien rentrés.»

Aujourd’hui, seuls cinq des 85 Koreakämpfer sont encore en vie. Deux vétérans habitent au Luxembourg, deux autres au Canada et un vit en Suisse. L’un d’entre eux, Léon Moyen, parti à bord du Kamina en 1950, doit être du voyage et va revenir sur cette terre lointaine pour laquelle il a combattu il y a 73 ans.

Exposition virtuelle

Le musée national d’Histoire militaire de Diekirch avait organisé du 24 mars au 30 juin derniers une exposition retraçant l’histoire de l’intervention luxembourgeoise en Corée, intitulée «D’Koreaner aus dem Lëtzebuerg Land». Il est toujours possible de visiter cette exposition, qui a été admirablement reproduite en 3D, de manière virtuelle sur le site mnhm.net/mnhm.

On peut se déplacer dans le musée comme si on y était et avoir aisément accès à toutes les informations. Le catalogue de l’exposition, rédigé en français et en anglais, est disponible à la vente à la rubrique «shop». Par ailleurs, un site est entièrement dédié à l’intervention luxembourgeoise en Corée, où sont notamment recensées les 85 biographies des Koreakämpfer.

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