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Réfugiés ukrainiens : «On ne s’attendait pas à rester deux ans»


De g. à d. : Attablés, Svetlana, Victor et Lucia ont quitté Kharkiv afin d’être accueillis par Lilia et Michel, tous jeunes parents, à Mersch puis Mamer. (Photo : Hervé Montaigu)

À Mamer, Michel et Lilia accueillent les parents et la grand-mère de cette dernière qui ont fui l’Ukraine peu avant la guerre, il y a deux ans jour pour jour, ce samedi 24 février. Depuis, place à l’intégration face à un conflit qui dure.

Nous les avions rencontrés il y a presque deux ans, en mars 2022, lorsque leur vie venait de basculer. Dans leur maison à Mersch, Michel Sinner et Lilia Thomaschchuk accueillaient à peine les parents et la grand-mère de cette dernière fuyant l’Ukraine depuis Kharkiv, leur ville d’origine.

Deux ans ce samedi après le début de la guerre avec la Russie, le conflit demeure, mais pour cette famille, les choses ont changé. Une petite tête blonde est apparue entretemps, avec la naissance de Léo, premier enfant de Michel et Lilia et star du foyer.

La famille, qui s’étend désormais sur quatre générations, a également déménagé à Mamer, dans une grande maison au salon deux fois plus grand qu’à Mersch.

«Un pays de conte de fées»

«Ce sont des amis de la famille qui sont partis en maison de retraite mais qui voulait que quelqu’un prenne encore soin de la maison donc ils nous l’ont laissée», raconte Michel, reconnaissant envers ce geste de soutien. Grâce à un réseau familial et d’amis très soudés, le Luxembourgeois a également récemment réussi à trouver une voiture à moindre prix pour ses beaux-parents. «J’ai épousé le bon», plaisante Lilia. «On a été submergés et émus de voir l’aide des gens autour de nous», explique son mari.

Grâce à ces soutiens et l’accueil de sa fille, Victor a l’impression d’être arrivé dans «un pays de conte de fées». Deux hivers auparavant, lui, sa femme Lucia et sa belle-mère Svetlana avaient quitté l’Ukraine dans l’urgence, poussés par Lilia et Michel qui craignaient une invasion russe au vu du renforcement du dispositif militaire à la frontière.

Une prédiction qui leur a peut-être sauvé la vie puisqu’ils rejoignent la Slovaquie trois semaines avant l’invasion. Arrivés à Košice après 17 heures de voiture, le jeune couple récupère alors Victor, Lucia et Svetlana et rebrousse chemin aussi vite vers le Luxembourg.

Petit pays mais grand accueil

Parmi les premiers Ukrainiens qui ont posé le pied au Grand-Duché, le 27 février 2022, les beaux-parents de Michel sont devenus «des membres actifs de la société, ce ne sont pas que des réfugiés». Bien que Lilia continue de faire l’interprète, ses parents suivent actuellement des cours de français et son père comprend désormais quelques mots.

Ce dernier a également un travail grâce à l’ASBL ProActif qui permet la réinsertion par des métiers artisanaux. «Il fait de la réparation dans les maisons et trouve les conditions de travail très bonnes», traduit sa fille, malgré son quotidien différent en tant qu’ancien avocat.

Lucia apprécie également les conditions de vie au Luxembourg qui n’ont «rien à voir avec les conditions en Ukraine», où ils vivaient dans un petit appartement avec une seule chambre. Ici, la maison offre la chance à chacun d’avoir sa chambre et son intimité.

La guerre n’ayant jamais d’avantages, la situation permet malgré tout à Victor et Lucia d’occuper pleinement leur rôle de grands-parents. Une première pour eux. «Au moins, ils voient leur petit-fils grandir», essaye de positiver Michel.

Dans leur maison à Mamer, quatre générations sont présentes avec Lilia qui tient son fils Léo dans les bras, aux côtés de sa grand-mère Svetlana réfugiée d’Ukraine. (Photo : Hervé Montaigu)

Svetlana, sa mère, ne trouve rien à redire non plus sur sa vie au Grand-Duché. Reste que cette nouvelle vie, elle ne l’a pas choisie. «C’est bien de bouger, mais pas quand on est forcés. J’aimerais rentrer», confie l’aînée. En décalage avec la génération d’en dessous, l’arrière-grand-mère reste très attachée à son pays.

Lorsqu’on lui demande ce qui lui manque, la réponse est claire : «Tout me manque, la ville, les paysages, les gens, l’ambiance». Rien que pour le cadre, leur vie d’avant-guerre n’a rien à voir. Pour la famille originaire de Kharkiv, deuxième plus grande ville du pays avec 1,4 million d’habitants en 2021, «le Luxembourg leur paraît tout petit, c’est un village pour eux».

Une vie sociale en pointillé

Toujours est-il que les parents affirment qu’«il ne (leur) manque rien». Hormis la sœur de Lilia, restée en Ukraine depuis le début du conflit et qui provoque encore de l’émotion dans les voix. Bien qu’elle ait quitté Kharkiv pendant près de neuf mois lors des bombardements intensifs de la ville, la jeune femme y est retournée et ne souhaite pas quitter le pays.

Ils sont forcément inquiets : «Nous lui avons dit de venir ici plusieurs fois, mais rien n’y fait», regrette sa mère. «Elle ne se voit pas vivre à l’étranger.»

Un sentiment que partage sa grand-mère qui ne sent pas chez elle, notamment à cause d’un obstacle : la langue. «Elle souffre parce qu’elle ne peut pas apprendre de langue, elle a essayé mais un gros problème de vision l’empêche d’apprendre donc elle a perdu son cercle social.»

Une nouvelle vie à construire

À 85 ans, cette femme indépendante qui travaillait encore 2 à 3 heures par jour avant la guerre se retrouve donc bloquée, ne parlant ni anglais, français ou luxembourgeois.

Dans la petite commune de Mamer, rare sont les Ukrainiens et avec un conflit qui s’éternise, des nouveaux problèmes sont apparus pour les réfugiés. La phase d’accueil étant passée, il reste une nouvelle vie à construire et «ce qu’il manque pour les Ukrainiens d’un certain âge, ce sont des choses organisées pour avoir du lien, car ils sont beaucoup à être isolés comme elle».

Deux ans, cela commence à être long. Bien que les associations commencent à combler ce manque selon la famille, le peu de contacts avec d’autres réfugiés leur permet «d’avoir des connaissances, pas des amis».

«Je vois et j’écoute tout»

Pour combler le temps, Svetlana s’occupe en suivant les informations. «Je vois et j’écoute tout parce que je n’ai que cela à faire», sourit-elle, jaune. D’abord surpris par le début du conflit, les réfugiés se sont ensuite résignés à ce qu’il perdure : «On connaît notre gouvernement et nos voisins russes». Malgré tout, «bien sûr qu’on ne s’attendait pas à rester deux ans».

Malgré des combats qui s’éternisent, des soldats qui se fatiguent, l’optimisme des réfugiés reste de mise. Bien que leur immeuble ait commencé à être reconstruit, avant d’être aussitôt touché par une nouvelle roquette, les travaux ont de nouveau repris.

En contact avec leurs voisins restés sur place, via un groupe de discussions, Victor et Lucia n’oublient pas leur vie d’avant et attendent avec impatience la fin du conflit. Notamment Victor, qui a passé sa jeunesse en Russie et dont les souvenirs d’enfance sont désormais balayés par la guerre. «Ses meilleurs souvenirs partaient toujours de là-bas», glisse Lilia, désolée.

Pour Victor et Lucia, les parents de Lilia, rien ne leur manque de leur vie en Ukraine, hormis leur seconde fille restée à Kharkiv. (Photo : Hervé Montaigu)

À l’heure actuelle, un retour à Kharkiv, toujours touchée par des attaques meurtrières, est encore exclu. Leur avenir se dessine donc au Luxembourg, où Michel fait tout pour rendre leur vie plus facile, bien que l’apprentissage de l’ukrainien reste encore compliqué.

«Quand j’étais en immersion tout le temps avec eux, je comprenais quelques mots mais pas plus. Aujourd’hui, c’est toujours compliqué», avoue-t-il.

Conscients que l’«on n’a pas seulement une vie normale mais une bonne vie» par rapport à certains compatriotes encore dans des camps d’accueil, les trois réfugiés ne cessent de remercier leur pays d’hôte, l’accueil de Lilia, de Michel et le soutien de sa famille.

Mais Svetlana ne peut s’empêcher de penser à son pays : «Comme je le dis toujours, c’est bien d’être invités mais le mieux c’est d’être à la maison.»

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