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Réduction des quantités autorisées de cuivre pour le bio : un vigneron témoigne


"Le bio n'est pas bien vu par tout le monde, loin de là, et le cuivre est le seul argument contre nous."(Photo : Erwan Nonet)

Moins de cuivre pour le bio, c’est ce qu’a décidé l’Europe et, pour les viticulteurs, cela va compliquer la donne. Yves Sunnen reste sceptique quant au bien-fondé de la décision.

Le cuivre est l’argument massue des pourfendeurs de la viticulture biologique. Ces dernières semaines, les vignerons étaient dans l’attente d’une décision de l’Europe qui a finalement décidé de couper la poire en deux. Le cuivre reste autorisé pour cinq ans, mais les quantités sont revues à la baisse. Yves Sunnen (domaine Sunnen- Hoffmann, à Remerschen) craint que cela ne nuise à la progression de la viticulture bio.

Dans une décision prise le 28 novembre, l’Union européenne vient de limiter les quantités de cuivre autorisées dans les vignes. Elles passent de six à quatre kilos par an et par hectare, avec la possibilité de lisser les doses sur sept années. Quelle est votre réaction?

Yves Sunnen : Sur ces dernières années, ça va, je suis largement en dessous. Cette année, j’en ai utilisé 2,6 kilos. En 2017, je n’en ai pas mis du tout pour la première fois, mais en 2016, j’ai eu besoin de 5,2 kilos… Beaucoup plus qu’en 2015 (1,7 kilo) et en 2014 (2,1 kilos). Depuis deux ans, il n’y a pas de cuivre dans mes vignes jusqu’à la floraison, qui est un moment critique où l’on peut perdre beaucoup. Alors je ne vais pas dire que cette décision est très bonne, mais ce ne sera sans doute pas dramatique non plus. Enfin, si nous avons plusieurs années du type de 2016, ce sera quand même très compliqué… Heureusement que grâce à la biodynamie, mes vignes sont naturellement plus résistantes.

Malgré une météo favorable cette année, vous avez été contraint d’en utiliser, contrairement à 2017…

Oui parce qu’en juin, nous avons eu 130 litres de précipitations en trois jours, en pleine période de floraison. C’est un des moments où la vigne est la plus fragile et il était impératif d’aller appliquer du cuivre pour ne pas tout perdre. Et quand le tracteur ne pouvait pas entrer entre les rangs à cause du terrain trop gras, nous y sommes même allés à pied, avec les tuyaux. Quand la maladie s’installe, il est déjà trop tard pour nous.

Est-ce que vous comprenez la logique d’une telle décision prise par l’Union européenne?

Le cuivre est un métal lourd et on en a beaucoup abusé par le passé. À fortes doses, il est vrai qu’il s’accumule dans le sol. Il y a 30/35 ans, les vignerons pouvaient en mettre jusqu’à 15 kilos par hectare, mais c’est du passé. Aujourd’hui, nos pratiques n’ont plus rien à voir.

À quoi sert le cuivre et pourquoi vous est-il indispensable?

Dans le bio, c’est le seul produit qui permet de protéger la plante du mildiou. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune alternative, rien ne peut actuellement le remplacer. Il y aurait bien les phosphonates, mais les pays du sud de l’Europe ont tout fait pour l’interdire. Comme pour tous les produits utilisés en bio, le cuivre s’applique en traitement préventif et pas curatif. Quand la maladie est là, il est trop tard. Et une fois que l’on a commencé à l’utiliser sur un millésime, il faut continuer : on ne peut pas arrêter.

N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal : d’un côté les consommateurs réclament et consomment davantage de produits bios, les États semblent le pousser aussi, mais les agriculteurs et les viticulteurs se voient limités dans leur champ d’action…

Il y a plusieurs niveaux différents. La volonté du nouveau gouvernement de promouvoir le bio n’a rien à voir avec la décision de l’Union européenne. Mais c’est certain, ce n’est pas ce type de décision qui va inciter les agriculteurs et les viticulteurs à convertir leur exploitation. Déjà que cultiver en bio est plus compliqué qu’en conventionnel, si les risques de tout perdre augmente à cause de nouveaux règlements, ça va faire réfléchir ceux qui pensaient à se lancer…

Mais à qui va profiter cette nouvelle règle?

Le bio n’est pas bien vu par tout le monde, loin de là, et le cuivre est le seul argument contre nous. On sait aussi que le marché des produits phytosanitaires est énorme et leur lobby puissant…

On entend dire et on peut lire chez certains que le cuivre tuerait les sols et les lombrics. Mais il est avéré qu’il y a beaucoup plus de vie – et de lombrics – dans les sols travaillés en bio que dans le conventionnel…

Je peux vous assurer, en tout cas, qu’il y a beaucoup de vie dans mes sols! Tout est question de proportion. Avec 15 kilos, je veux bien croire qu’il y ait un problème. Mais avec 4 et même 6 kilos, je n’en suis pas sûr. Surtout que le cuivre que nous mettons aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui du passé. Ça n’a plus rien à voir avec la bouillie bordelaise, les formules ont changé et l’hydroxyde de cuivre actuel est beaucoup plus efficace. Et je ne vois pas comment mon sol pourrait être moins vivant que celui sur lequel on asperge des herbicides…

Entretien avec notre collaborateur Erwan Nonet