Dans le cadre de l’accord UE-Turquie de mars 2016, la délégation de l’Union européenne en Turquie suit les projets mis en place en faveur des réfugiés syriens. Visite sur place par un journaliste du Quotidien.
«J’ai fui la guerre, j’ai tout perdu et je suis arrivée dans une ville (NDLR : Gaziantep) que je connaissais pas et où je ne connaissais personne. J’avais la sensation de m’être perdue moi-même…» Comme plus de 3,5 millions de Syriens, Behayk Cansay a quitté son pays au cours de ces dernières années pour trouver refuge en Turquie. Aujourd’hui, la Syrienne d’une quarantaine d’années «essaie de rester sur ses pieds».
Comme elle, quelque 400 autres femmes fréquentent actuellement le Sada Center de UN Women de Gaziantep, située au sud-est de la Turquie à une centaine de kilomètres d’Alep (Syrie) et qui compte quelque 2 millions d’habitants dont 417 000 réfugiés syriens. Soutenu par l’Union européenne, le Sada Center est destiné aux femmes syriennes. Il leur permet de prendre part à des cours de turc, des ateliers de formation professionnelle (couture, cuisine…), d’avoir accès à des psychologues, des assistants sociaux…
«La guerre a tué mon mari, raconte Safine Mustafa. J’ai fui avec mes enfants il y a six ans. Psychologiquement, nous étions très malades. J’étais quelqu’un à Alep, j’avais un petit magasin de chaussures. Quand je suis arrivée ici, je n’étais plus rien. Aujourd’hui, mes enfants sont à l’université et m’ont poussée à venir ici. Je viens depuis un an et je vais un peu mieux. On m’aide à développer ma propre profession.»
La semaine dernière, la délégation de l’Union européenne en Turquie a reçu une dizaine de journalistes de l’UE pour «informer le public européen de ce que l’UE fait en Turquie», dixit Christian Berger, l’ambassadeur de la délégation de l’UE en Turquie.
«72 projets concrets» mis en place
Aux termes de l’accord UE-Turquie, paraphé le 18 mars 2016 (lire ci-dessous), la Turquie a accepté de réduire le flux des réfugiés syriens vers la Grèce et ainsi de les accueillir sur son territoire. En contrepartie, les Européens se sont engagés à soutenir Ankara dans cette entreprise à hauteur de 3 milliards d’euros (1 milliard d’euros versé par la Commission européenne et 2 milliards d’euros par les États membres) via un programme nommé «European Union Facility for Refugees in Turkey» («Facilité de l’UE en faveur des réfugiés en Turquie», FRIT).
«Ce n’est pas de l’argent donné directement au gouvernement turc, précise Christian Berger. Mais il sert à financer des projets concrets et à coordonner avec les Turcs l’accueil des réfugiés syriens en Turquie.»
Une partie de l’enveloppe est destinée à l’urgence humanitaire et l’autre à des projets dans les domaines de l’éducation, la santé ou encore l’intégration économique et sociale. L’ambassadeur de la délégation de l’UE en Turquie revendique la mise en place de «72 projets concrets» ces deux dernières années : la somme d’ores et déjà investie sur l’enveloppe globale de 3 milliards d’euros n’a pas été précisée. «Cet accord a permis l’accès à l’éducation à 500 000 enfants et 1,2 million de réfugiés de bénéficier de versements mensuels en espèces (NDLR : sur un carte de paiement nominatif)», plaidait en mars dernier, Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen en charge des Migrations.
En matière de santé (non humanitaire), l’UE a engagé une enveloppe de quelque 400 millions d’euros. Elle est destinée notamment à la construction de deux hôpitaux à Hatay et Kilis (90 millions d’euros pour les deux), à la vaccination, à la formation des soignants syriens arrivés en Turquie… Ou encore à la mise en service de centre médicaux pour migrants. Il y a actuellement 178 centres médicaux pour migrants en activité dans toute la Turquie où quelque 3 000 praticiens syriens travaillent pour soigner leurs compatriotes tout en étant formés au système turc […]
Guillaume Chassaing, envoyé spécial à Istanbul et Gaziantep
Un reportage à lire sur double-page dans notre édition papier du 27 novembre.
Un accord en appelle un autre
Le 18 mars 2016, l’Union européenne et la Turquie scellent un accord au sujet de la question des réfugiés syriens. Aux termes de cet accord et en substance, la Turquie s’est engagée notamment à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’UE, et de coopérer avec les États voisins ainsi qu’avec l’UE à cet effet. Pour chaque Syrien renvoyé vers la Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien est réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne, dans la limite de 72 000 personnes maximum. Si le nombre de retours devait dépasser les chiffres prévus ci-dessus, ce mécanisme sera interrompu. En contrepartie, l’UE s’était engagée à verser une enveloppe de 3 milliards d’euros pour soutenir la Turquie dans l’accueil des réfugiés syriens, relancer le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE, faciliter la venue des citoyens turcs au sein de l’UE (fin des visas).
Le flux a diminué
Un peu plus de deux ans après l’entrée en vigueur de cet accord, critiqué par de nombreuses ONG, le flux des réfugiés syriens de la Turquie vers l’UE a fortement diminué : en février dernier selon l’Agence européenne Frontex, 1 600 arrivées de Turquie au sein de l’UE ont été comptabilisées contre 200 000 entre décembre 2015 et février 2016. Ensuite, en vertu, du processus «un Syrien contre un Syrien», environ 18 000 Syriens ont été «réinstallés» au sein de l’UE (dont 206 au Luxembourg). En revanche, les discussions concernant le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE sont toujours au point mort et les ressortissants turcs ont toujours besoins d’un visa pour se rendre dans l’UE. Résultat, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui prétend avoir dépensé plus de 30 milliards d’euros, pour l’accueil des réfugiés syriens dans son pays, ne cesse de menacer l’UE de rouvrir la frontière.
Malgré tout, un deuxième accord sur les mêmes bases que le premier est en cours de finalisation entre la Turquie et l’UE. Les Européens s’engagent à verser une nouvelle fois 3 milliards d’euros pour des projets concrets destinés aux réfugiés syriens toujours dans les domaines de l’éducation, la santé et l’intégration sociale et économique. Mais pour le moment, «les nouveaux projets concrets» n’ont pas été définis.