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[Le portrait] Sophie Lamorté, leur renaissance


Quand on dirige déjà une usine, un club de foot, ça passe… (Photo : mélanie maps)

Une femme d’affaires thionvilloise débarquée il y a cinq ans dans le foot luxembourgeois vient de ramener le club historique de Schifflange en Division nationale.

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C’est son anniversaire aujourd’hui même, jeudi 11 mai. Elle a 43 ans. Vous pouvez le lui souhaiter et vous flatter qu’elle prenne sur son incroyable temps de travail («80 heures par semaine, quitte à mettre ma santé en danger»), mais vous ne parviendrez de toute façon pas à vous hisser à la hauteur du gros cadeau qu’elle a fébrilement déballé dimanche dernier, au pied de la tribune du stade de la rue Denis-Netgen.

Sur le coup de 16 h 40, ce jour-là, Sophie Lamorté s’est rendu compte devant ce Schifflange – Bettembourg (3-1) décisif des premières manifestations physiques d’un instant qu’elle attendait depuis cinq ans : elle ne parvenait pas à s’empêcher de trembler comme une feuille. «Je n’avais plus été stressée comme ça depuis que j’avais passé mon bac. Même mon mariage ne m’avait pas fait cet effet.»

Le FC Schifflange, au bout de sa souffrance personnelle, est remonté en DN après 23 ans de purgatoire et c’est aussi, un peu, beaucoup même, sa victoire : «Quand je suis arrivée en 2018 pour prendre le poste de directrice générale, on était en Division 1 et j’avais dit que je voulais qu’on soit remontés en DN en quatre ans. Cela en a pris cinq, mais il y a eu le covid et l’interruption d’un championnat entre-temps… Je pense donc que j’ai tenu mes engagements.»

Sophie Lamorté a déboulé dans le football luxembourgeois sans prévenir. Elle ne venait pas de nulle part, mais a été amenée là par un fil rouge qui aurait aussi pu la conduire ailleurs. Née à Thionville «dans une famille de footeux», «étudiante en classe sport-études avec des footeux», amie «avec des footeux», dont pas mal d’anciens joueurs du FC Metz, Grégory Proment en tête, le ballon rond a toujours été là, pas loin, même si, «trop fainéante pour en faire», elle se contentera d’être une éphémère gardienne de hand. Mais il reste encore, pour comprendre son grand débarquement à Schifflange, à faire entrer le Grand-Duché dans l’équation. C’est la partie la plus mystique.

Même mon mariage ne m’avait pas fait cet effet

Mère à 21 ans («à l’époque, c’était normal, mais aujourd’hui, qu’est-ce qu’on dirait si ça arrivait?»), partie s’installer à Paris «par amour» pour un gendarme, mais revenue à 26 ans «par désamour», elle s’installe à Terville et se réveille un beau matin en se disant «je vais devenir femme d’affaires». Comme ça. Parce que. Comme elle se dira, plus tard, «tiens, je vais diriger un club de foot».

Il en faut du culot, pour envisager l’un comme l’autre, mais Sophie semble avoir autant de talent pour s’imaginer des vies que pour les réussir. Peu de temps après son illumination au saut du lit, elle se retrouve à travailler dans une boîte d’intérim, puis DRH «chez Costantini», à bosser avec Pascal Carzaniga, devenu, lui, champion avec le Swift le même jour que la montée de Schifflange. Avant de revenir à l’intérim, mais à l’international cette fois, «avec des chantiers jusqu’au Qatar».

Et puis, un hasard fabuleux : l’un de ses meilleurs amis, patron d’une fiduciaire, lui permet de jouer aux agents immobiliers parce qu’un de ses clients cherche une maison dans le sud du pays. Un industriel français soucieux d’investir au Grand-Duché et qui cherche un pied-à-terre se manifeste auprès de Paulo Marciano, dont elle est «le bras droit, mais aussi le bras gauche» au club. L’industriel fait donc la visite avec la DG du FC Schifflange, n’achète pas la maison, mais recrute une travailleuse acharnée : «C’est devenu l’apothéose de ma carrière. Il fallait littéralement faire sortir une usine de terre, à Foetz.»

Et aujourd’hui, deux ans plus tard, Médiair crée des produits de désinfection et d’assainissement bios pour l’air, les surfaces et l’hygiène humaine. L’usine occupe 13 personnes. «Mais à terme, d’ici à la fin de l’année, quand nous aurons toutes les autorisations, ce sera plutôt 40.»

Moi, j’ai le physique d’une femme, mais le caractère d’un mec

Où en sera le FC Schifflange d’ici à la fin de l’année? Et dans cinq nouvelles années? Sophie Lamorté sera-t-elle toujours là? Elle qui est venue par le réseautage («C’est le père de Miralem Pjanic qui m’a dit que le président était vraiment sympa et qu’il cherchait de l’aide») et pour le réseautage («Aujourd’hui, je suis proche de Fabrizio Bei, Carlos Fangueiro, Pascal Carzaniga… Ça donne une crédibilité sportive, outre tous les contacts qu’on a dans les centres de formation français. Mais mon boulot, c’était aussi de trouver des sponsors, des partenaires. C’est ce que j’ai fait en convainquant Fabien Zuili, puisqu’il nous fallait un nouveau président. Le football est un bon moyen, en général, de se créer des relations. Le truc, c’est surtout d’être fidèle à ses promesses et d’être là quand on a besoin de vous»), cultive une délicieuse ambiguïté sur la question : «Je suis une fille! Je vais où le vent me mène. Bon, certains clubs ont essayé de me débaucher. Je suis flattée, mais je reste à Schifflange.»

La seule chose qui la ferait partir, aujourd’hui, c’est cette idée de conciergerie («pas une activité d’agent, hein!») qu’elle nourrit pour aider un maximum de joueurs au pays et qui lui tient lieu de politique sportive chez le leader de PH : «On s’occupe de gamins qui doivent se rendre compte que leur carrière se terminera vite. Ils fermeront les yeux et découvriront qu’à 35 ans, c’est fini. Alors on ne leur vend pas du rêve, mais on leur prépare un projet de vie. Rien que cette saison, j’ai fait signer six contrats en CDI. On leur trouve des apparts. Bref, on les prépare à la vraie vie.»

Monter avec une éthique de travail qui lui ressemble était sa priorité. Mais maintenant que la BGL Ligue est là, consciente aussi que le nouveau président qu’elle a attiré pour augmenter la surface financière du club voudra «fatalement imposer sa patte à un moment», qu’il est là aussi pour lui succéder dans la recherche de fonds, elle n’a exigé qu’une chose. Rester au contact du sportif et conserver intact le «binôme» qu’elle adore composer avec Ismaël Bouzid. «En fait, non, se corrige-t-elle, avec ses adjoints, c’est plutôt un quadrinôme. Ça existe, ça, un quadrinôme? En tout cas, c’est important pour moi.»

Courageux et plein d’aplomb pour une femme, de revendiquer un très exposé poste sportif plutôt que le confort discret d’un bureau. Qu’on puisse le lui dire l’offusque. Mais pas pour la raison qu’on croit. Pas parce qu’implicitement se poserait la question de sa légitimité, mais parce que c’est une évidence contre laquelle elle veut justement lutter : «En tant que femme d’affaires, vous devez déjà lutter deux fois plus qu’un homme. Au début, j’ai été moquée pour ce poste à Schifflange. Je sais ce que c’est. Ça ne me dérange pas : moi, j’ai le physique d’une femme, mais le caractère d’un mec. Il y a peu, quelqu’un m’a repris en me disant qu’on devait dire « directeur général », et pas « directrice générale ». Je pense avoir assez prouvé pour qu’on dise directrice, non?»

Reste à amener la poésie dans cette histoire de travailleuse acharnée. Et là, tout est dans le nom. Lamorte (à l’état civil), c’est d’origine italienne et cela doit se prononcer comme tel. Avec un r qui roule et un é qui claque à la fin. Sauf qu’à l’écrit, vu depuis Thionville, Lamorte avec un simple e, cela passe moins bien. «J’ai décidé de rajouter l’accent dans mes correspondances. C’est moins glauque et plus chantant. En fait, c’est plus gai.» Lamorté, finalement, oui, ça passe mieux à l’oral. Normal, donc, qu’on en parle…