Pour l’opposition, beaucoup dans cet accord de coalition ne dit rien des intentions réelles du nouveau gouvernement, qui examine, envisage et étudie sans livrer le fond de sa pensée.
Il faudra s’y faire. À l’avenir, la majorité des voix s’élèvent à 35 contre 25 pour l’opposition. «C’est le nouveau 31/29», lance un député après le vote de confiance, le premier du genre depuis la nouvelle Constitution, accordé au gouvernement Frieden-Bettel. L’opposition ne s’est pas privée, hier, des heures durant, de critiquer l’accord de coalition qui les laisse tous sur leur faim. Il y a de bonnes et de moins bonnes appréciations sur ce document de 209 pages, rédigé finalement «à la hâte», selon les députés de l’opposition, et qui demeure «trop vague» pour juger des véritables intentions de Luc Frieden et de son équipe, comme l’ont répété les orateurs du camp minoritaire.
Le LSAP, revenu sur les bancs de l’opposition qu’il n’avait plus fréquentés depuis une vingtaine d’années, affiche sa motivation. Du moins, c’est ce qu’affirme la cheffe de file de la fraction, Taina Bofferding, qui ne compte pas pleurer sur son sort et crier à l’injustice alors que son parti, contrairement au CSV, a gagné un siège de plus le 8 octobre dernier. Ça, c’était la petite mise en bouche acidulée à destination des chrétiens-sociaux qui se sont lamentés dix ans durant de figurer dans l’opposition. Au contraire, l’ancienne ministre de l’Intérieur assure vouloir être aux côtés de la majorité «dans une opposition constructive». Elle trace néanmoins des lignes rouges. «Nous allons faire en sorte que l’écart entre les riches et les pauvres ne se creuse pas et si des groupes apparaissent avantagés, nous vous taperons sur les doigts», promet-elle à la majorité.
Elle voit déjà poindre à l’horizon ce qu’elle craint. La comparution immédiate n’est pas une mesure, à ses yeux, destinée à renforcer la cohésion sociale, «car il faut protéger les plus vulnérables, combattre la pauvreté, mais pas les pauvres», souligne Taina Bofferding. Elle fera référence au revenu d’insertion, le Revis, dont les bénéficiaires, selon sa lecture de l’accord, donnent l’impression «d’être tous suspectés de fainéantise de manière générale». Elle espère que la proposition des socialistes de ne pas imposer les travailleurs au salaire minimum sera maintenue. En l’absence de détails, elle l’ignore encore, mais elle remarque déjà que de nombreuses mesures vont profiter à quelques privilégiés, comme l’extension du congé parental sans allongement de revenus ou les quatre heures hebdomadaires de congé familial sans rémunération.
«Business first»
Certes, il y a des mesures pour tout le monde dans cet accord, «mais aussi pour ceux qui n’ont pas besoin de plus d’argent», observe-t-elle. Le maître-mot de ce nouveau gouvernement semble être «business first», regrette-t-elle. Ce qui vaut pour l’économie et les entreprises en général, la place financière en particulier, vaut aussi pour le logement. «Vous êtes du côté des propriétaires et nous des locataires», ajoute-t-elle. En résumé, elle accuse le gouvernement de vouloir régler tous les problèmes du marché avec de vieilles formules comme «silence vaut accord», mais «il n’y a aucune vision à long terme», estime la leader des socialistes qui ne donneront pas de chèque en blanc au gouvernement.
Même ton pour Sam Tanson, ancienne ministre, elle aussi, dont la fraction écolo a déjà livré une conférence de presse pour exprimer ses positions sur l’accord de coalition. Elle estime que le gouvernement fait «un pari sur l’avenir sans plan B» et dit combien son sentiment est «mitigé». Tout est «trop vague», critique unanime de l’opposition, surtout en ce qui concerne le financement des politiques à venir. «Dans cet accord, on veut beaucoup envisager, examiner, étudier», souligne Sam Tanson qui en déduit trois possibilités : «Soit l’harmonie ne régnait pas comme on a voulu nous le faire croire, soit le CSV savait ce qu’il voulait, mais il y a encore des élections à venir, ou encore, comme le dit Marc Spautz, le temps manquait pour entrer dans les détails car il fallait faire vite». Son sentiment vient aussi du fait que cet accord reflète beaucoup la continuité de la politique menée ces dix dernières années. Quant aux nouveautés, «elles restent floues».
Sam Tanson s’amuse aussi de la position de Xavier Bettel dans ce gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et à la Grande Région donne l’impression de vouloir beaucoup s’éloigner du pays, soit d’émigrer plutôt que de s’occuper d’immigration, un dossier que se partagent deux ministères, l’un DP, l’autre CSV.
«Rendez-vous dans cinq ans»
Du côté de l’ADR, Fred Keup suggère à Luc Frieden de se lever tous les matins pour remercier son parti d’être aujourd’hui Premier ministre. Pourquoi? Parce que les voix des verts ont été réparties entre les pirates et l’ADR. Pour le reste, le chef de file des ultraconservateurs ne voit pas «le grand changement promis par le CSV», au contraire, cet accord annonce la poursuite de la même politique, selon lui. Fred Keup a compté que les termes «analyser, examiner, envisager, étudier» et tous leurs synonymes apparaissent 400 fois dans l’accord. «Soit le courage vous manque pour dire ce que vous comptez faire, soit vous n’êtes pas d’accord entre partenaires», en conclut-il, comme d’autres avec lui.
Il souhaite «le meilleur» pour ce gouvernement après toutes les promesses électorales entendues pendant la campagne et il aimerait surtout, dans cinq ans, constater moins de criminalité, moins de trafic, plus de qualité de vie. «On verra la situation dans nos hôpitaux, la courbe de la dette, l’état des finances publiques, de l’environnement, de la cohésion sociale, de la place de la langue luxembourgeoise, de la culture et surtout, combien de Luxembourgeois doivent déménager à l’étranger à cause du coût de l’immobilier», conclut-il en espérant que la situation du pays va s’améliorer.
Les pirates, Sven Clement et le nouvel élu Ben Polidori, ont à leur tour moqué cet accord qui ne livre pas les détails essentiels. «Il n’y a rien de concret», constate Sven Clement. Ce qui l’horripile, en revanche, c’est la multiplication des caméras de surveillance ou encore la possibilité d’avoir recours à des tests ADN pour l’immigration. Le chèque-emploi ne lui dit rien de bon, à part un risque de précarité supplémentaire. Les pirates veilleront au grain, mais se réjouissent que les communes accueillent désormais dans tout le pays des demandeurs de protection internationale. «Étant donné que les communes sont majoritairement CSV ou DP, ça devrait aider», ironise-t-il.
«Ni durable ni responsable»
Quant à Marc Baum, pour la Gauche, il se demande «où le pays atterrira dans cinq ans», alors qu’il voit dans cet accord «que les riches seront encore plus riches et que les pauvres devront s’en sortir comme ils peuvent». Surtout, il est inquiet quant au financement de ces politiques, qui seront payées par les contribuables travailleurs alors que le capital est à l’abri.
«La dépendance de l’État par rapport à la place financière est risquée, car le moindre problème peut avoir des conséquences fatales pour le Luxembourg. On ne va pas sortir de la dépendance, au contraire, ce gouvernement veut la renforcer, ce qui n’est pas durable et encore moins responsable», regrette-t-il.
Les deux orateurs de la majorité, Marc Spautz (CSV) et Gilles Baum (DP), qui ont ouvert la séance d’hier, n’ont pas tenu le même discours.
Luc Frieden veut rassurer
À l’issue du débat sur l’accord de coalition, Luc Frieden a assuré aux députés que «leurs remarques auront leur influence» sur le travail du gouvernement et qu’il dispose de cinq ans pour exécuter le travail. Il annonce que les barèmes d’imposition seront présentés dans deux semaines. Il rassure aussi les députés sur sa communication et assure que les ministres viendront dans chaque commission pour livrer des explications sur leurs dossiers respectifs.
«Le gouvernement veut un débat sur les pensions, mais aussi sur un modèle de croissance», dit-il. Surtout, il assure être déterminé «à écouter l’opposition, et à la recevoir pour le bon fonctionnement de (notre) démocratie». Quant au plan B, il n’y en a pas, Luc Frieden a un plan A et l’ancien gouvernement n’avait pas de plan B non plus quand le covid est apparu ou quand la guerre a éclaté en Ukraine, rappelle-t-il.