Les rencontres se sont multipliées entre dirigeants européens dimanche à Bruxelles, dans l’espoir d’éviter un échec sur la négociation du plan de relance post-coronavirus, qui a mis à jour d’importantes divisions entre États.
Au troisième jour d’un sommet prévu pour en durer deux, après plus de 55 heures de réunions, les discussions à 27, plusieurs fois repoussées, ont repris autour d’un dîner vers 19h20. Le président du Conseil européen, Charles Michel, médiateur du sommet, a multiplié toute la journée les rencontres en tête-à-tête ou en petits groupes, le plus souvent sur le balcon de son bureau où une longue table a été installée et dont les photos ont rythmé les réseaux sociaux.
En fin d’après-midi, la Première ministre belge, Sophie Wilmès, reçue à la table de Michel avec ses homologues luxembourgeois et irlandais, affirmait sa détermination : « L’heure d’un accord est venue. » L’issue du sommet, le plus long des dirigeants de l’UE depuis celui de Nice en 2000 sur une révision des traités dans le cadre de l’élargissement à l’Est (quatre jours et quatre nuits), restait très incertaine. Les choses « bougent doucement », a avancé une source européenne.
Le Luxembourgeois Xavier Bettel, habitué des sommets depuis sept ans, a avoué avoir « rarement vu des positions aussi diamétralement opposées, sur beaucoup de points ». Sur la table des négociations, un fonds constitué par une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros pour relancer l’économie européenne, qui affronte une récession historique, adossé au budget à long terme de l’UE (2021-2027) de 1 074 milliards d’euros. Les dernières discussions ont surtout porté sur la portion du fonds de relance qui sera consacrée aux subventions, par rapport à ce qui serait reversé aux Etats sous forme de prêts (et donc remboursables). Les pays dits « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark, auxquels on associe la Finlande) privilégient les prêts et prônent une diminution du volume global du plan.
Le Néerlandais Mark Rutte, particulièrement réservé sur le paquet de relance
L’unanimité nécessaire des 27 États membres rend un accord particulièrement difficile. D’autant qu’il ne s’agit pas du seul point de friction. Parmi ceux-ci, le lien entre le versement des aides et le respect de l’État de droit, qui hérisse particulièrement Budapest et Varsovie, actuellement dans le collimateur de l’UE. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, s’est vivement opposé à ce type de mesure dimanche matin lors d’un point presse. Il a accusé son homologue néerlandais de vouloir le « punir financièrement », et de le « détester » lui et la Hongrie. Ce type de mesure pourrait pénaliser le gouvernement nationaliste et de plus en plus autoritaire d’Orban si ses homologues jugent que son attaque présumée contre les médias libres et les normes démocratiques est en rupture avec les valeurs européennes.
Concernant les subventions, France et Allemagne souhaitent qu’une partie substantielle du budget de relance y soit consacrée, dans l’esprit du fonds de 500 milliards qu’ils avaient proposé mi-mai. Et ils soutiennent que la somme prévue pour un soutien direct aux plans de réforme nationaux soit de 325 milliards d’euros, comme dans la dernière proposition, selon des sources européennes. Les frugaux ont quant à eux proposé un équilibre parfait entre les deux, selon ces sources. « On cherche un compromis entre 350 et 400 », a confié une source à l’AFP. La chancelière allemande Angela Merkel avait ouvert la journée en prévenant qu’il était « possible qu’aucun résultat ne soit obtenu », tandis que le président français Emmanuel Macron avait averti que les « compromis » ne pouvaient pas se faire « au prix de l’ambition européenne ». Angela Merkel et Emmanuel Macron pesaient de tout leur poids pour convaincre les « frugaux ». Les lignes de fracture étaient marquées.
Dans un tweet, le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, a opposé « la grande majorité des pays », dont l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie, « qui défendent les institutions européennes et le projet européen », et « quelques pays, dits ‘frugaux' ». Le deuxième jour de discussion, sous haute tension, s’était achevé dans la nuit de samedi à dimanche sur une réunion « très dure », selon plusieurs sources, entre le président français, la chancelière allemande et les dirigeants des quatre « frugaux » et de la Finlande. Pour tenter d’amadouer le Néerlandais Mark Rutte, particulièrement réservé sur le paquet de relance et qui réclame l’unanimité pour la validation des plans de réforme nationaux réclamés en contrepartie des aides européennes, Charles Michel a proposé un mécanisme permettant à un pays qui aurait des réserves d’ouvrir un débat à 27. Une telle configuration équivaudrait de facto à un droit de veto pour chaque capitale. Cette demande inquiète Rome et Madrid, qui craignent d’être soumis à un programme de réformes (marché du travail, retraites…) imposé.
LQ/AFP