Accueil | A la Une | Pinocchio, l’affaire personnelle de Guillermo Del Toro

Pinocchio, l’affaire personnelle de Guillermo Del Toro


Sa version de Pinocchio marque les premiers pas de Guillermo Del Toro sur les sentiers de l’animation, avec un film entièrement réalisé en stop motion. (Photo : netflix)

Vous reprendrez bien un peu de Pinocchio ? Le plus célèbre des pantins de bois est de nouveau adapté au cinéma – pour la troisième fois en trois ans – et en animation par Guillermo Del Toro, qui transpose l’histoire au temps du fascisme.

Près de 150 ans après la publication, en 1883, du conte de Carlo Collodi, Pinocchio semble n’avoir jamais été aussi à la mode. Plus fameuse encore que le livre originel, c’est bien entendu son adaptation en dessin animé par les studios Disney, en 1940, qui a fait entrer le pantin de bois devenu petit garçon dans la culture populaire mondiale.

Comme bien des cinéastes avant lui, c’est en toute logique cette version qui a laissé une forte empreinte sur Guillermo Del Toro : «Aucune forme d’art n’a autant influencé ma vie et mon travail que l’animation et aucun personnage n’a eu de connexion aussi personnelle avec moi que Pinocchio», expliquait le réalisateur mexicain dans un communiqué de Netflix, qui produit son adaptation. Et d’affirmer dans un entretien que son illustre prédécesseur est «un sommet de l’animation de Disney», «réalisé de la plus belle manière artisanale».

Un héros transposé aux temps de l’Italie fasciste

Si Guillermo Del Toro a entrepris de revisiter une histoire qu’il juge parfaite, c’est en premier lieu car la fable a l’avantage de pouvoir être réinterprétée à souhait. Pinocchio trotte dans la tête de Guillermo Del Toro depuis quinze ans, mais ce dernier semble peu enthousiaste quant aux thèmes de «l’obéissance et (de) la domestication de l’âme» chers au film Disney. «L’obéissance aveugle n’est pas une qualité. La qualité que possède Pinocchio est de désobéir. À un moment où tout le monde se comporte comme une marionnette, lui s’y refuse.»

La qualité que possède Pinocchio est de désobéir. À un moment où tout le monde se comporte comme une marionnette, lui s’y refuse

Car son Pinocchio, bien qu’inspiré par Disney et Collodi, est transposé aux temps de l’Italie fasciste. Les liens avec deux de ses précédentes œuvres, très personnelles, sont clairs : Pinocchio se place dans la lignée de El espinazo del diablo (2001), film fantastique situé pendant la guerre civile espagnole, et El laberinto del fauno (2006), dont l’histoire se déroule sous le régime de Franco. Pour former une sorte de triptyque dont les thèmes principaux seraient «l’enfance, le monde en guerre et les choses, sublimes et terribles, du monde». L’autre principale motivation du cinéaste est qu’il lui permet de travailler pour la première fois en stop motion, soit avec des décors miniatures et de véritables marionnettes, d’une beauté renversante.

Chez Disney, un copié-collé peu inspiré

Question de timing, le Pinocchio de Netflix sortira sur la plateforme le 9 décembre – et dès aujourd’hui en salles au Luxembourg –, soit trois mois après une autre version Disney qui, après The Lion King, Dumbo ou encore Mulan, poursuit sa grande entreprise, dispendieuse et peu inspirée, de redonner à ses classiques d’animation le coup de jeune dont ils n’ont pas besoin. Aux commandes de ce copié-collé, on trouvait Robert Zemeckis, le réalisateur de Back to the Future et Forrest Gump, qui s’est pourtant toujours montré virulent envers les remakes (aujourd’hui encore, il refuse de vendre les droits de ses films pour en éviter les imitations).

Mais qui affirmait que son choix était motivé par le défi de contrer l’esprit «très malin» de Walt Disney, qui «a toujours cherché à faire des films à partir d’histoires qui étaient pratiquement impossibles à faire en films « live »». Au vu de la déferlante d’effets numériques utilisés dans son Pinocchio – seul Tom Hanks, dans le rôle de Geppetto, n’est pas noyé sous la 3D –, il n’est pas impossible que le nez de Robert Zemeckis se soit, depuis, allongé…

De nouvelles clés de lecture

Chacun a ses raisons de replonger dans Pinocchio. Un challenge technique pour Zemeckis, un projet de cœur pour Del Toro et son directeur de l’animation, Mark Gustafson, deux ans après que le réalisateur italien Matteo Garrone soit retourné à l’œuvre d’origine dans une version aussi sublime que lugubre et qui s’interdisait la moindre tricherie par ordinateur. Pour Garrone, être fidèle autant que possible à Collodi était aussi une façon de redonner à Pinocchio sa place dans la culture italienne, quand Disney l’avait depuis longtemps «mondialisé».

Mais là où lui soulignait la «grande histoire d’amour entre père et fils», «l’importance pour un fils d’aimer son père» et «la faiblesse (de Pinocchio) face aux plaisirs et aux tentations», Guillermo Del Toro parle, lui, du pantin comme d’une «âme innocente, avec un père indifférent, qui s’égare dans un monde qu’il ne comprend pas. Il se lance dans un voyage extraordinaire qui lui permettra de comprendre son père et le monde réel».

Une vision différente, qui colle bien à l’idée du cinéaste mexicain de se débarrasser du côté animal du conte, pour ancrer sa version dans un réel plus glaçant : ainsi, le chat, le renard et le directeur de cirque fusionnent en un seul personnage à l’apparence humaine, et en lieu et place de sa transformation en âne, Pinocchio est enrôlé dans l’armée («L’officier fasciste croit que si ce pantin ne peut pas mourir, il serait le soldat parfait», explique Del Toro). De quoi donner de toutes nouvelles et très actuelles clés de lecture à la célèbre fable…

Pinocchio, de Guillermo Del Toro et Mark Gustafson.