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«On ne m’a pas écouté au Luxembourg»


(Photo: EDITPRESS/François Aussems)

Arrivé en octobre 2016 au Luxembourg, Mohammed a été renvoyé quelques mois plus tard en Italie en vertu du règlement européen Dublin III. L’Irakien de 29 ans raconte.

De Bagdad à la France en passant par la Libye, l’Italie et le Luxembourg, Mohammed n’a toujours pas trouvé de terre d’accueil. L’Irakien de 29 ans revient sur son périple. Il évoque également son incompréhension des décisions des autorités luxembourgeoises.

Mohammed n’a vécu que huit ans à Bagdad. En 2005, il quitte la capitale irakienne «pour rejoindre (son) père en Libye». «J’y ai fait toutes mes études, je suis devenu pharmacien, j’ai travaillé là-bas…», poursuit-il. Mais les choses se compliquent pour l’Irakien, aujourd’hui âgé de 29 ans, dans les années qui ont suivi la chute de Mouammar Kadhafi, décédé en octobre 2011. «Tout a vraiment changé en 2014, indique Mohammed, installé alors à El Beïda. Le racket de la police s’est institutionnalisé envers les étrangers qui vivaient là-bas. On nous prenait notre passeport et pour le récupérer on devait payer. Dans la rue, c’était la même chose. Il y avait des milices armées qui persécutaient les étrangers. Je n’étais plus en sécurité.»

«Elle me demande si je veux rester en Italie. Je lui réponds non…»

Sa décision est prise : il doit quitter la Libye. Mohammed rejoint Tripoli en août 2016 avec pour objectif de rejoindre l’Europe. Il patiente deux mois dans la capitale libyenne. «La météo n’était pas bonne, confie-t-il. On ne pouvait pas prendre la mer.» Le grand départ se fera début octobre. Il embarque, moyennant 500 euros, sur un bateau pneumatique de 8 mètres avec 108 autres personnes de toutes les nationalités, majoritairement des Bengalis. «Un peu plus de six heures après, nous sommes récupérés par un bateau plus gros avec un drapeau irlandais, raconte Mohammed. Et trois jours et demi plus tard, on arrive en Italie.»

À Crotone (Calabre) plus précisément. Ils rejoignent le camp de réfugiés de la ville. «J’ai été accueilli par une Irakienne de la Croix-Rouge, indique-t-il. Elle me demande si je veux rester en Italie. Je lui réponds non. Elle me donne un « laissez-passer » (NDLR : assorti d’un ordre de quitter le territoire). Après ils m’ont dit qu’il fallait qu’ils me prennent en photo et qu’ils relèvent mes empreintes pour une question de sécurité. Je ne voulais pas parce que je ne voulais pas rester en Italie…» Il cèdera deux jours plus tard. «C’est l’erreur que je regrette encore aujourd’hui.»
Mohammed prend la direction de Venise. Là-bas, il rejoint un groupe de Marocains avec qui il traversera la frontière italo-française quelques jours plus tard avec l’aide de nouveaux passeurs. «Ils m’ont demandé plusieurs fois si j’avais été enregistré en Italie. Je ne pensais pas que la prise d’empreintes signifiait enregistrement.»

«J’étais bien à Diekirch»

L’Irakien voit plus loin que la France et a une idée en tête : le Luxembourg. Pourquoi? «On m’a dit que c’était un pays qui disait « Welcome aux réfugiés »», répond-il. Il prend le train depuis le sud de la France et arrive un soir de la mi-octobre à la gare de Luxembourg. Mohammed se présente aux policiers luxembourgeois. Ils lui indiquent le hall 6 de Luxexpo, qui a encore à ce moment-là la fonction de centre d’accueil des primo-arrivants, géré par la Croix-Rouge.

Quatre jours plus tard, il est réorienté vers le foyer d’accueil pour réfugiés du Monopol de la capitale, qui a fermé ses portes à la fin de l’année dernière. Il y reste jusqu’à la fin novembre. À ce moment-là, Mohammed est transféré à Diekirch. Il fait partie des premiers demandeurs de protection internationale à s’installer dans le «village-conteneurs pour réfugiés» (300 places) de Diekirch, géré par la Caritas. «J’étais bien là-bas, avance l’Irakien. On était entourés, aidés… Je prenais des cours de français. Tout se passait bien avec tout le monde et les gens de la commune aussi.» Il prend ses marques petit à petit tout en attendant la suite du traitement de la demande de protection internationale, un premier entretien à la direction de l’Immigration notamment. Il n’en aura pas.

«Ça ne sert à rien de faire appel, tu as zéro chance d’avoir un titre de séjour ici»

Début avril, Mohammed reçoit «une assignation à résidence». Il ne comprend pas. On lui explique. Selon les autorités luxembourgeoises, l’Irakien est un cas Dublin III. La direction de l’Immigration se déclare incompétente pour traiter sa demande de protection internationale, car d’après elle, c’est l’Italie qui est responsable de sa demande. «Une personne du ministère me dit : « Ça ne sert à rien de faire appel, tu as zéro chance d’avoir un titre de séjour ici ». C’était cruel. Je suis devenu fou. Je ne comprends pas. Pourquoi on ne m’a pas dit ça en Italie ou au Luxembourg quand je suis arrivé? Pourquoi on ne m’a pas laissé m’expliquer? Pourquoi? Pourquoi?»

Il est renvoyé au hall 6 de Luxexpo, devenu depuis son premier passage la Structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK). En plus clair : le dernier lieu d’accueil pour les réfugiés avant leur éloignement du territoire. «Ça a changé, avance-t-il. On a le droit de sortir durant la journée, mais on doit pointer le matin et le soir, et une fois par semaine on doit le faire à la direction de l’Immigration. On ne peut rien faire. Tout est interdit. On ne nous parle pas. Je me sentais comme un prisonnier, alors que je n’avais rien fait.»

Et son recours (une procédure écrite) contre l’«assignation à résidence»? Vite expédié. «J’étais à l’audience, indique Mohammed. J’étais assis au fond de la salle. Les dossiers s’enchaînaient et à un moment donné j’ai entendu mon nom. J’ai relevé la tête. Le juge a demandé : « Maître, quelle serait la conséquence d’un retour en Italie pour votre client? ». Mon avocat (NDLR : assistance judiciaire) a répondu : « L’Italie, ce n’est pas facile ». C’était fini. J’aurais pu répondre au juge, lui expliquer la situation en Italie, j’y étais…»

«En Italie, c’est complet partout. Personne ne peut m’aider»

Et il va y retourner. Peu après la mi-juin, Mohammed est escorté par deux policiers luxembourgeois. Il rejoint tôt le matin l’aéroport du Findel, monte dans un avion avec les deux policiers et atterrit quelques heures plus tard en Italie, à Venise. «Je me présente aux autorités italiennes et on me donne un papier qui dit que je dois me présenter à Crotone trois semaines plus tard pour que ma demande d’asile soit traitée. Mais je n’ai pas fait de demande d’asile en Italie! Crotone, c’est à 1 100 kilomètres, plus de 20 heures de bus et je n’ai pas d’argent. Comment je fais?» Il ne s’y rendra pas.

«Je leur demande aussi où je peux dormir ce soir? On me répond : « ce n’est pas mon problème ». Dans les jours qui suivent, je fais le tour des foyers, de la Caritas, de la Croix-Rouge…, indique le pharmacien de formation. C’est complet partout et personne ne peut m’aider. Je suis accueilli dans une mosquée jusqu’à la fin du ramadan. Et après, je suis seul.»
Il trouve un «plan» à Milan où il va partager un garage avec un Égyptien. «Il y a l’eau, mais pas l’électricité. C’est très compliqué. J’essaie de trouver de l’aide, mais personne ne peut m’aider. Il n’y a aucun espoir pour moi en Italie. Mais comme le disent mes parents : « il vaut mieux vivre dans la rue en Italie que revenir à Bagdad »».

Mohammed veut plus. Il décide de revenir en France courant septembre. L’Irakien, toujours sans papiers, est hébergé chez une amie, suit des cours de français et garde espoir : «Je veux rester en Europe, m’intégrer, travailler… avoir une vie normale.»

Guillaume Chassaing

Dublin III en bref

Le règlement du Parlement européen et du Conseil européen en date du 26 juin 2013 est communément appelé règlement Dublin III.

Comportant 49 articles, il offre un cadre juridique au droit d’asile dans l’Union européenne pour les étrangers qui formulent une demande d’asile dans un pays et sont interpellés dans un autre pays européen.

En vertu du règlement Dublin III, un seul État de l’UE est responsable de l’examen d’une demande d’asile, à savoir le pays par lequel le demandeur d’asile est entré dans l’UE et dans lequel il a été contrôlé ou l’État qui a accordé un visa ou un titre de séjour au demandeur d’asile.