UKRAINE Olivier Thill est rentré de Cherkasy pour les vacances. Il nous a raconté le football dans un pays en guerre.
Vous voilà enfin en vacances et sorti d’Ukraine. Vous nous racontez ce que vous vivez, là-bas, semaine après semaine ?
Olivier Thill : Bon, eh bien, il y a des terrains sur lesquels on ne va plus parce que trop près de la ligne de front ou carrément en zone russe. Louhansk, Kharkiv… C’est trop dangereux. Ce sont des zones où il y a plus de roquettes ou de bombes que chez nous. De notre côté, à Cherkasy, on n’est pas vraiment en danger. Alors oui, forcément, tu ne sais jamais ce qui peut t’arriver, mais si tu ne penses qu’à ça tout le temps, tu deviens fou.
C’est la raison pour laquelle vous avez laissé votre famille au pays ?
Nous avons décidé que ma femme et mes deux petits garçons resteraient au Luxembourg parce qu’elle, elle a vraiment trop peur. J’ai bien essayé de la convaincre et elle est venue passer un mois en août. Elle l’a fait pour moi mais bon, il y a des drônes et des avions qui passent au-dessus de nous toute la journée. Il y a toujours ce genre de bruits, des explosions. On entend les sirènes cinq à six fois par jour. Moi ça va, je suis habitué. Elle, elle n’a pas supporté, c’est trop choquant. Donc voilà, je suis seul là-bas. Mon plus grand a commencé l’école, le petit va à la crèche et j’ai vraiment le sentiment de rater de beaux moments. Heureusement que WhatsApp et Telegram existent!
Cela sous-entend qu’il sera difficile de rester beaucoup plus longtemps en D1 ukrainienne dans ces conditions ?
Il y a un moment où je devrais me rapprocher pour retrouver une vie normale. À moins que la guerre ne se termine, mais cela ne me semble pas parti pour. Il me reste encore un an de contrat et je sais que je suis important pour l’équipe. Ils m’aiment bien dans le club et je sais que j’y ai de grosses responsabilités. La suite va dépendre des options à disposition.
Mes coéquipiers sortent peu : ils ont peur d’être enrôlés de force
À quoi ressemblent les rencontres dans le championnat ukrainien, à l’heure actuelle ?
Notre dernier match, contre Oleksandria, a duré… trois heures! Parce qu’il y a eu deux alertes consécutives. Et on n’a pas le choix : quand ça arrive, le speaker fait une annonce micro et on doit tous aller aux abris. Cela se fait dans le calme, mais on n’a pas le choix. Les titulaires, en général, vont aux vestiaires. Les remplaçants et le staff, dans des caves aménagées avec des banquettes des boissons chaudes… Et là, on est tous sur nos téléphones pour suivre les applications d’alertes qui montrent quelles zones sont concernées par des drones, des tirs d’artillerie… Quand la sirène s’arrête, on se réentraîne dix minutes et on reprend là où on s’était arrêtés. Il y a même une fois où le match a duré quatre heures, avec trois interruptions. C’est très compliqué, très chiant. On ne sait jamais combien de temps tout ça va durer, 90 minutes ou le double…
Comment les joueurs du championnat ukrainien vivent-ils ce début d’hiver, avec cette situation tendue sur le front ?
De principe, les joueurs sont en âge d’aller à la guerre et devraient y aller pour protéger leur pays. Mais les clubs ont des dispenses pour que les professionnels puissent être exemptés. Mais en ce moment, le recrutement se fait jusque dans la rue. Alors mes coéquipiers ont peur de sortir. Ils ne traînent pas trop dehors, ne vont pas au restaurant. Ils ont peur d’être enrôlés de force malgré les documents qui les exemptent. Pour nous, les étrangers, c’est bien plus facile. Nous, au moins, on peut sortir du pays. Eux, non. Hormis ceux qui jouent la Coupe d’Europe, ils n’ont plus mis les pieds à l’étranger depuis trois ans. Même quand le club organise un stage de pré-saison, il faut une somme phénoménale de documents. Non, la guerre, ça peut leur tomber dessus à tout moment, même si aucun de mes coéquipiers actuels n’est allé au front. Mentalement, pour eux, c’est compliqué.
En 2025, on reparle de sélection nationale, pour vous ?
Il faut demander au sélectionneur. Je fais mes matches, je suis en forme, à lui de dire. Même si ce n’est pas ma priorité, je serais content d’être rappelé.
Entretien avec Julien Mollereau