Le diagnostic d’autisme a bouleversé la vie d’Olivia. La jeune femme de 26 ans apprend désormais chaque jour à mieux connaître ses besoins et ses limites.
Elle s’est toujours sentie différente, sans jamais vraiment savoir pourquoi. Jusqu’à ce qu’elle décide de contacter la Fondation Autisme sur les conseils de collègues. Les tests passés, la voilà fixée : Olivia est autiste.
À 26 ans, cette jeune secrétaire qui a grandi à Esch-sur-Alzette évoque son parcours atypique avec une lucidité confondante. Alors que l’autisme l’accompagne depuis l’enfance, c’est comme si elle devait l’apprivoiser, maintenant qu’elle est consciente qu’il est là. Un long chemin qu’elle a accepté de partager.
Quelles étaient vos difficultés avant le diagnostic?
Olivia : Petite, j’étais plutôt renfermée, j’avais des soucis d’intégration et beaucoup de problèmes à l’école. On a pensé que j’avais un retard mental, puis l’inverse, que j’étais en avance par rapport aux autres. J’ai subi du harcèlement scolaire aussi. Je sentais quelque chose de différent en moi, mais j’étais incapable de dire quoi.
Plus grande, en commençant à travailler, certaines difficultés se sont amplifiées. Conseillère dans un centre d’appel, je n’ai pas supporté d’être tout le temps au téléphone. Ça vidait toute mon énergie, et j’étais stressée pour le reste de la journée.
Les conversations téléphoniques demandent beaucoup de sociabilisation, d’empathie, il faut moduler sa voix, être à l’écoute, et savoir gérer ses émotions. J’ai déclenché plusieurs crises – des effondrements autistiques – et mon employeur m’a changée de poste.
Néanmoins, certains signes peuvent alerter :
- des difficultés pour entrer en relation, communiquer avec les autres, comprendre les conventions sociales ou interpréter les intentions des autres;
- Des particularités sensorielles (ressentir plus fort ou moins fort),
- des soucis d’adaptation aux changements,
- la présence de routines ou de comportements répétitifs, voire stéréotypés
Aviez-vous consulté pour tenter de comprendre ce qui n’allait pas?
Des médecins, des psychologues scolaires, des rendez-vous à l’hôpital… J’ai été vue par de nombreux professionnels de santé toutes ces années, et aucun n’a jamais parlé d’autisme.
Tout ce qu’on m’a dit, c’est que j’avais trop d’énergie et des soucis de motricité. Mes proches, eux, me comparaient souvent à une personne autiste. Sans penser que je l’étais vraiment.
Qu’est-ce qui vous a amené à contacter la Fondation Autisme?
À 20 ans, j’ai effectué un service volontaire au Jugendinfopunkt à Esch, et des éducatrices avaient repéré des signes d’autisme dans mon comportement.
Plus tard, dans une autre entreprise, une collègue m’a parlé d’autisme et m’a conseillé de contacter la FAL (Fondation Autisme Luxembourg). Et là, je me suis dit que c’était le moment de franchir le cap.
Comment avez-vous réagi à l’annonce du diagnostic?
J’étais contente, excitée même! J’ai appelé tous mes amis. Parce que j’avais enfin une explication à tout ça, et surtout, un mode d’emploi, des solutions pour m’aider à gérer mes difficultés. Mais très vite, j’ai réalisé que ça ne serait pas aussi simple.
Que s’est-il passé?
(Elle soupire, sa voix tremble) J’ai «masqué» toute ma vie, et d’un coup, j’ai été forcée de «démasquer». J’ai lu que pour certaines personnes autistes, il arrivait qu’au moment du diagnostic, elles se retrouvent incapables de fonctionner comme avant. C’est ce que j’ai ressenti.
On prend conscience de tous nos comportements, tous nos gestes, nos réactions. On réalise à quel point tout est lié à l’autisme et on doit tout réadapter. Mes crises se sont multipliées les mois qui ont suivi.
Sans compter qu’avec un diagnostic posé, les gens attendent de moi que je sache leur dire de quoi j’ai besoin et quelles sont mes limites, alors que je ne les connais pas encore moi-même.
Je fais régulièrement des burn out justement parce que je suis incapable de savoir quand m’arrêter. Mon corps ne me dit pas quand ça ne va pas. Jusqu’à ce que je m’effondre.
Ça veut dire qu’il faut apprendre à vivre différemment?
Tout mon monde a changé. Mes parents m’ont forcée à grandir comme les autres, alors que je n’étais pas comme les autres. Et tout d’un coup, on me dit : «C’est ok d’être différente. Apprends à être différente.» Alors voilà, j’apprends au fur et à mesure.
Comment ça va aujourd’hui?
Un an, trois mois et vingt jours se sont écoulés depuis mon diagnostic. Je vais mieux. Je suis suivie par un psychiatre et une psychologue, et j’ai aussi un traitement. Je fréquente des groupes de discussion avec d’autres autistes et ça m’aide énormément.
D’une part, parce que je ne suis plus «la bizarre», je suis acceptée comme je suis et ça fait du bien! D’autre part, parce que je sais que peu importe ce que je traverse, quelqu’un en aura déjà fait l’expérience et pourra me donner des solutions. C’est rassurant.
Côté professionnel, j’ai obtenu le statut de travailleur handicapé et je vais entamer la procédure d’orientation pour trouver un emploi sur mesure.
Ces dernières années, la Fondation Autisme Luxembourg fait face à une explosion des demandes de tests en vue d’un diagnostic, notamment de la part d’adultes qui se questionnent.
Avec 400 nouvelles demandes chaque année, le service diagnostic de la Fondation Autisme Luxembourg (FAL) est totalement débordé, et le délai d’attente pour compléter la procédure atteint désormais quatre ans.
«Les tests pour détecter l’autisme répondent à des standards internationaux précis auxquels il faut être formé», explique Maïté Libert, psychologue et responsable du service diagnostic et soutien post-diagnostic de la FAL.
«Les échanges, entretiens et épreuves avec le patient font l’objet d’observations de toute une équipe. Il faut compter un mois, parfois plus, pour établir le diagnostic d’une seule personne. D’où des délais à rallonge», justifie-t-elle, précisant que la FAL traite jusqu’à 120 demandes par an, dont une bonne moitié concerne des adultes.
Car si les enfants sont reçus à l’Unité autisme du Centre hospitalier de Luxembourg, les majeurs, eux, ont peu d’alternatives, hormis la FAL, vu la pénurie de psychologues. Or, ces dernières années, de plus en plus d’autistes adultes, passés jusque-là entre les mailles du filet, sont en quête de réponses.
«Pour ceux situés dans le haut du spectre, sans retard mental, le déclencheur peut être une période de transition vers plus d’autonomie. L’autisme devient visible au moment où les exigences sociales s’accentuent, comme lors de l’entrée dans la vie active par exemple», poursuit Maïté Libert. La médiatisation de l’autisme, notamment lors de la journée mondiale de Sensibilisation à l’autisme qu’on célèbre aujourd’hui, peut également inciter à consulter.
Des recommandations aux professionnels
Pour autant, rien à voir avec une «mode». «Les personnes qui s’adressent à nous ont de vraies raisons. On le constate, la prévalence de l’autisme augmente : on était à une personne sur 150 il y a quelques années, Autisme Europe parle aujourd’hui d’une personne sur 100, et aux États-Unis, une sur 36», tranche la psychologue.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. D’abord, le fait de mieux connaître l’autisme, d’en parler, d’utiliser des tests beaucoup plus affinés et précis. Mais aussi une forme de rattrapage des cas qui n’ont pas été détectés pendant des décennies.
«Malheureusement, chez beaucoup d’adultes qu’on reçoit, l’autisme n’a pas été identifié, malgré un suivi. On leur a parlé de psychose ou de schizophrénie, alors que ça ne colle pas», déplore Maïté Libert.
Pour contrer cette errance diagnostique, la FAL a participé en 2023 à l’élaboration de recommandations destinées aux professionnels (généralistes, pédiatres, enseignants) – document disponible sur le site du Conseil scientifique.