Nora Back, la présidente de l’OGBL, revient sur les éléments qui ont, cette fois, convaincu le premier syndicat du pays d’accepter l’accord tripartite. L’index a joué un rôle important. Les mesures pour tacler l’inflation aussi.
L’OGBL se voit plus que jamais confirmé dans sa décision de ne pas signer l’accord tripartite de fin mars. Le paquet «anti-inflation», ficelé mardi soir au bout de plus de 30 heures de négociations, est qualifié de bien plus équilibré par la présidente, Nora Back. Elle ne cache pas qu’un fossé existe cependant toujours entre le camp syndical et le camp patronal.
Avec quels sentiments sortez-vous de la tripartite qui s’est soldée, mardi, par un accord de principe?
Nora Back : Il ne s’agit pas d’une question de sentiments personnels, mais en tant qu’OGBL, nous nous sentons légitimés. Après avoir refusé de signer l’accord tripartite de fin mars, on a été fustigés de toutes parts, y compris par le gouvernement. Or on a vu juste en prédisant que l’inflation allait continuer de grimper, que la guerre ne serait pas terminée au bout de trois mois et que, par conséquent, non pas une, mais bien plusieurs tranches indiciaires allaient être déclenchées, avec le risque d’un embouteillage des index en 2024. L’accord de fin mars est devenu obsolète peu après la signature.
Le fait que le Premier ministre ait clamé en amont de cette nouvelle tripartite que l’index faisait partie de la solution vous a-t-il rendue confiante dans le fait d’obtenir, cette fois, gain de cause?
Non. On était vraiment dans l’inconnu. En fait, le suspense a perduré jusqu’au bout. La seule certitude était que l’OGBL n’allait en aucun cas accepter une nouvelle manipulation de l’index. Il existait dès lors deux options : soit on trouvait un accord, soit il y avait manipulation de l’index, mais alors sans nous. Comme en mars déjà, le patronat voulait uniquement parler index. Le gouvernement a cependant fait sortir l’éléphant de la pièce en mettant l’accent sur les aides à fournir aux gens et aux entreprises. Avoir réussi dans une telle crise inflationniste à maintenir l’index dans son intégralité est un très grand succès pour le camp syndical. Notre mobilisation de ces derniers mois a porté ses fruits.
Mais auriez-vous insisté pour faire verser les cinq tranches indiciaires en moins d’un an qui se profilaient à l’horizon?
Dans ce cas de figure, nous aurions plaidé pour négocier un accord de plus courte durée. On se serait limité à l’hiver, avec le versement de la tranche qui s’annonce pour cette fin d’année, accompagné d’autres mesures d’aides pour faire face au choc énergétique. La tripartite aurait alors dû se réunir à nouveau en mars pour évaluer combien de tranches restaient prévues. L’inconnue reste, en effet, importante. Néanmoins, je tiens aussi à faire remarquer que les cinq tranches étaient prévues dans le pire des scénarios. On a trop insisté là-dessus, créant un sentiment de panique, sans suffisamment parler du scénario moyen, qui mise sur deux tranches régulières, fin 2022 et début 2023, auxquelles s’ajoute l’index reporté de juillet 2022 à avril 2023.
Il est aussi venu qualifier d’«hérésie» le fait qu’un directeur de banque profite bien plus de l’index qu’un petit salarié.
Je répète une fois de plus que l’index n’est pas un instrument pour créer davantage d’équité sociale. Nous maintenons que cela doit se faire par le biais de l’imposition. L’index vient uniquement compenser la perte de pouvoir d’achat qui a déjà eu lieu. Il n’est donc pas suffisant pour amortir les énormes hausses de prix qui s’annoncent.
Très tôt, le Premier ministre s’est focalisé sur le plafonnement des prix de l’énergie pour tacler l’inflation. Cette mesure va-t-elle dans la bonne direction ou est-ce que vous auriez souhaité d’autres solutions?
L’intervention étatique sur les prix de l’énergie est une piste que nous pouvons pleinement soutenir. On est également d’avis qu’il faut freiner l’inflation. L’inflation crée de la pauvreté. D’autres pistes étaient envisageables, mais le plafonnement est une bonne solution pour aider directement les gens.
Que répondez-vous aux critiques disant que l’arrosoir a encore été sorti de l’armoire?
Nous l’avons fait remarquer lors des négociations. Le gouvernement nous a cependant répondu qu’une intervention plus ciblée n’était techniquement pas possible. On peut bien évidemment critiquer le fait qu’il ait fallu attendre fin septembre pour que la tripartite se réunisse. Mais dès lors qu’on nous dit qu’il n’est pas possible d’évaluer précisément la consommation en fonction de la composition et des conditions de vie des ménages, on comprend qu’il n’est pas évident de cibler davantage cette aide, d’autant plus qu’il nous fallait agir dans l’urgence. Car notre souhait était bien que les mesures prises soient appliquées dès le mois d’octobre.
Cela ne va-t-il pas à l’encontre de vos revendications antérieures?
Contrairement au rabais à la pompe, où il est vrai que les propriétaires de grosses cylindrées profitent plus de cette remise étatique, cela n’est pas forcément le cas dans le domaine du logement. Les mieux lotis peuvent se permettre de construire et vivre dans des maisons passives, où la consommation d’énergie est d’office moins importante. Les plus vulnérables, par contre, habitent dans des logements plus anciens et, donc, plus énergivores. Dans l’absolu, il n’est donc pas tout à fait vrai que ce sont les gros salaires qui consomment le plus d’énergie. C’est peut-être le cas pour ceux qui ont une piscine et un sauna, mais il ne s’agit pas de la réalité absolue. Et puis, il est indéniable que la part du revenu investie dans l’énergie est bien plus importante chez les petits et moyens salaires que parmi les mieux lotis.
Le paquet ficelé doit permettre de réduire la hausse de l’inflation de quatre points de pour cent. Sachant que les calculs de mars ont rapidement été dépassés, êtes-vous vraiment confiante dans le fait que ces prévisions deviennent réalité?
Je suppose que les chiffres du Statec sont fiables. En même temps, il semble assez flagrant que le seul plafonnement des prix de l’énergie va permettre de freiner l’inflation dans une telle ampleur. Il existe toutefois des aspects qui peuvent expliquer ce phénomène. Selon nos propres révisions, il était d’ailleurs plus probable que le prochain index ne tombe pas en novembre, mais plutôt en décembre. On annonce désormais février, mais cela peut aussi être janvier. Le décalage ne serait donc plus si important.
Le camp patronal aurait préféré obtenir une plus grande prévisibilité. Que va-t-il se passer si, en dépit des mesures prises, la cascade de tranches indiciaires reprend de plus belle?
L’accord prévoit que la prochaine tranche sera à verser, peu importe si elle tombe en février, en janvier, voire en décembre. Par contre, si une troisième tranche tombait courant 2023, le gouvernement a assuré un soutien financier aux entreprises.
L’État va-t-il bien prendre en charge l’intégralité du coût de cette tranche, estimé à 800 millions d’euros? Ce serait près du double de l’enveloppe d’un milliard d’euros nécessaire pour financer le nouveau paquet anti-inflation.
Ce point a été mis très tard mardi soir sur la table. Cette contre-proposition du gouvernement a été nécessaire pour que le camp patronal accepte l’accord. Il faudra attendre la formulation finale du texte pour savoir comment cela va s’agencer. Ce qui est clair, c’est qu’une hypothétique troisième tranche va être versée. Le principe est que le coût sera pris en charge par l’État. Par contre, si cette tranche tombe, par exemple, en octobre, le financement va se limiter aux trois mois jusqu’à fin 2023. Les 800 millions d’euros pour le seul secteur privé équivalent au coût d’une tranche calculée sur 12 mois.
Les représentants de l’UEL ne connaissent en rien la réalité que subissent les gens
Michèle Detaille, la présidente de la Fedil, a affirmé vendredi matin sur RTL que vous viviez dans une autre réalité, car vous seriez incapable de comprendre que l’économie, le secteur financier en tête, doit d’abord générer de l’argent avant de pouvoir le redistribuer. Que répondez-vous à cette attaque?
Le secteur financier génère en effet beaucoup d’argent. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’État dispose de la marge nécessaire pour financer les mesures décidées. Depuis de longues années, on nous ressort l’argument que l’attractivité de la Place financière est menacée, mais il est à constater que le secteur financier est toujours en très bonne santé. On est pleinement conscient que la finance est la force de notre tissu économique. Or si l’on clame que je vis dans une autre réalité, je réponds que c’est vrai. Car je vis bien dans une tout autre réalité que celle de Madame Detaille. Je pense davantage que ce sont les représentants de l’UEL qui ne connaissent en rien la réalité que subissent les gens. Rappelons que 25 % de la population résidente est exposée au risque de pauvreté, un fait que le camp patronal ne veut pas admettre.
L’UEL clame pourtant que la situation est très mauvaise dans l’ensemble des secteurs. L’économie a-t-elle la diarrhée, comme l’a clamé Michel Reckinger?
On n’est pas d’accord sur l’analyse de la situation économique. Très peu de chiffres réels ont été fournis par l’UEL. Je maintiens que tout est dépeint en noir, alors que les données indiquent que la situation n’est de loin pas aussi dramatique. L’excédent brut d’exploitation est en progression constante, et compte parmi les plus élevés en Europe. En août, les chiffres d’affaires, tous secteurs confondus, étaient en hausse. Les carnets de commandes sont toujours très bien remplis. La production industrielle ne connaît aucune chute. L’OGBL est présent dans de très nombreuses entreprises, surtout dans l’artisanat et la construction. On a donc une bonne vision de la situation réelle.
Le patronat met cependant en garde sur le fait que le recul des investissements qui s’annonce en raison de la crise ne frappera les entreprises qu’avec un certain décalage. À tort ou à raison?
Il est bien possible que l’activité soit freinée à un moment ou à un autre. Or si une récession arrive, elle sera faite maison, notamment en raison de la perte de pouvoir d’achat. Une récession doit être évitée. On n’y est pas encore et il faut donc agir pour renforcer l’économie. Mais si on continue de clamer que la situation est morose, cela va vraiment impacter la confiance des consommateurs. C’est le pire que l’on puisse faire.
Peut-on dès lors en conclure que malgré l’accord qui a pu être trouvé, le fossé entre syndicats et patronat reste important?
Quelque part, il est logique que ce fossé existe. Je ne veux pas dire que l’économie va cartonner à jamais. Une croissance moins importante est même probable au vu de la situation politique et énergétique. Il nous faut en tout état de cause éviter que l’on vive le pire scénario. Aujourd’hui, la dramatisation des choses n’est en rien justifiée. Et si la situation venait vraiment à empirer, l’accord prévoit que la tripartite serait à nouveau convoquée. L’objectif doit alors être de venir en aide de manière ciblée aux secteurs et aux entreprises qui ont le plus grand besoin de soutien.
État civil. Nora Back est née le 17 août 1979 à Esch-sur-Alzette. À 43 ans, elle est pacsée et mère d’une jeune fille.
Formation. Après avoir décroché en 1998 son diplôme de fin d’études secondaires, Nora Back met le cap sur la Belgique où elle s’inscrit à l’université libre de Bruxelles (ULB). Elle décroche un bachelor en psychologie (2000), suivi d’un master en psychologie industrielle et commerciale (2002).
Carrière professionnelle. Avant son arrivée à l’OGBL, Nora Back travaille pour le compte de Quest, un bureau spécialisé en études de marketing.
OGBL. En 2004, Nora Back intègre l’OGBL comme secrétaire centrale adjointe du syndicat Santé, Services sociaux et éducatifs. Elle devient secrétaire centrale du même syndicat professionnel en 2008. Un de ses acquis majeurs est la négociation en 2017 d’une nouvelle convention collective dans le secteur des soins, signée au bout d’un très long bras de fer avec le camp patronal.
Présidente. Nommée secrétaire générale de l’OGBL en 2018, Nora Back accède contre toute attente dès 2019 aux postes de présidente de la Chambre des salariés (CSL) et de l’OGBL. La non-élection d’André Roeltgen lors des élections sociales de mars 2019 est venue accélérer les choses.