Accueil | A la Une | Nicolas Schmit : «Il n’y a pas d’âge pour se requalifier»

Nicolas Schmit : «Il n’y a pas d’âge pour se requalifier»


Nicolas Schmit affirme ne pas avoir encore réfléchi à une candidature aux élections européennes de 2024 : «Franchement, pour l’instant, je n’ai aucune idée.»

Nicolas Schmit, le commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, recommande au prochain gouvernement luxembourgeois de «prendre très au sérieux» le développement des compétences.

L’ancien ministre du Travail est récemment venu faire la promotion au Luxembourg de l’Année européenne des compétences, une initiative de la Commission européenne visant à encourager les États membres et les acteurs de terrain à investir dans le développement des compétences nécessaires pour réaliser le double virage numérique et vert.

Selon Nicolas Schmit, il est d’un intérêt «vital» pour un pays comme le Luxembourg de s’engager dans cette voie. Le commissaire luxembourgeois tire aussi un bilan intermédiaire de son mandat.

Vous avez assisté, le 27 octobre, à la Chambre des métiers, à une conférence sur l’Année européenne des compétences. Quels enseignements tirez-vous des échanges avec les acteurs luxembourgeois engagés dans le domaine de la formation?

Nicolas Schmit : Je constate que le Luxembourg est bien engagé dans une politique active en matière de compétences. Beaucoup d’efforts sont faits pour donner une tenue à cette Année européenne des compétences, qui, en fait, est une incitation à développer les politiques en matière de compétences, et ce, à tous les niveaux : entreprises, pouvoirs publics ou encore instances comme les chambres professionnelles.

Je dois dire que les échanges ont été très riches. Cela démontre qu’il y a, dans un petit pays comme le Luxembourg, une forte prise de conscience du caractère vital des compétences.

Quels sont plus globalement le contexte et l’objectif de cette Année européenne des compétences?

Quand cette Commission est entrée en fonction, on s’est fixé comme priorités deux projets énormes que sont la digitalisation de l’économie et de la société européenne, et, avec le Green Deal, tout ce qui touche notamment au climat.

On s’est rendu compte en même temps que, pour réaliser cette double transformation numérique et écologique, il fallait simplement que les gens soient formés, qu’ils aient les compétences à tous les niveaux. On a lancé en 2020 l’Agenda des compétences, qui contient un certain nombre d’orientations pour inciter les États membres à faire plus en la matière.

Toujours en 2020, nous avons lancé le Pacte pour les compétences, qui s’adresse à toutes les parties prenantes, que ce soient les entreprises, les grands secteurs économiques, mais aussi les universités, les partenaires sociaux et des institutions publiques, notamment dans les régions. J’ai d’ailleurs appris qu’au Luxembourg l’Adem a adhéré à ce Pacte pour les compétences.

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2023 pour lancer une étape supplémentaire dans ce processus avec l’Année européenne des compétences?

Après le covid, et avec le besoin d’accélérer un certain nombre de transformations, je crois qu’il faut aussi accélérer l’investissement dans les compétences, d’autant plus que la Commission a mis en place des fonds importants, notamment le programme Next Generation EU.

Les États membres, y compris le Luxembourg, consacrent une partie de ces fonds au développement des compétences vertes et numériques. La présidente Ursula von der Leyen a considéré que déclarer une Année européenne des compétences, qui lance une initiative qui dure et ne va d’ailleurs pas s’arrêter au bout de douze mois, était un bon moyen pour poursuivre sur cette lancée.

Améliorer l’employabilité des gens, combler les déficits de compétences et promouvoir l’inclusion sociale sont donc des actions à considérer comme indispensables pour préparer l’avenir?

On vit dans une période de changements technologiques, scientifiques et organisationnels constants. On se trouve aussi face à un défi démographique avec un vieillissement de notre population.

D’abord, il n’y a pas d’âge pour se requalifier. On est parfois encore dans l’approche où l’on se demande pourquoi encore investir dans une personne qui approche la cinquantaine. Il s’agit de la mauvaise voie.

La formation (NDLR : en anglais, skilling), la requalification (reskilling) et la qualification vers le haut (upskilling) sont trois volets importants dans l’approche d’un apprentissage tout au long de la vie.

La conférence du 27 octobre a eu lieu à la Chambre des métiers. Or ce n’est pas seulement l’artisanat qui se voit confronté à une pénurie de main-d’œuvre. Les efforts de la Commission autour du développement des compétences peuvent-ils, d’une manière plus globale, contribuer à lutter contre cette pénurie qui touche le Luxembourg et d’autres pays européens?

La pénurie de main-d’œuvre est un phénomène général qui tient à deux facteurs majeurs. Le premier est l’évolution démographique. On perd à l’échelle de l’UE à peu près un million de travailleurs par an. Cela tient tout simplement aux générations post-baby-boomers, qui sont plus réduites.

La deuxième raison est qu’il y a encore une inadéquation majeure entre les formations et les besoins d’une économie et d’une société en changement permanent. Cela concerne à la fois l’artisanat, l’industrie et les services, qui comprennent aussi les soins de santé et l’encadrement social. La pénurie de main-d’œuvre a besoin de réponses multiples.

La première est de former et la deuxième est de rendre attractifs les différents secteurs. Et la troisième est probablement aussi de former des gens qui sont actuellement en dehors du marché du travail, ou insuffisamment inclus dans ce marché, comme les jeunes sans diplôme ou les femmes qui font du travail du care (NDLR : soin), même si la situation s’est considérablement améliorée au Luxembourg?

Et puis, il y a bien évidemment la question d’attirer des talents ou des travailleurs de pays tiers, où j’insiste toujours sur un volet fondamental : on ne va pas seulement chercher des travailleurs, mais des hommes et des femmes qui doivent pouvoir bénéficier des mêmes conditions de travail que les travailleurs européens.

La Commission européenne a recommandé au Luxembourg d’accentuer les efforts visant à fournir et à acquérir les compétences nécessaires à la double transition. Est-ce que vous pouvez déjà évaluer si et dans quelle mesure cette recommandation a été suivie?

J’ai constaté qu’un certain nombre d’initiatives ont été prises. D’abord, le Luxembourg a chargé l’OCDE de mener une étude sur la stratégie en matière de compétences, ce qui est positif.

Ensuite, un travail de recherche est mené, notamment par l’Adem, mais aussi des centres de recherche comme le Liser, pour mieux évaluer les besoins concrets et définir comment y remédier. Il y a aussi une loi portant sur le développement d’une véritable stratégie des compétences. Tout cela me paraît être de bonnes étapes. Il reviendra maintenant au nouveau gouvernement de continuer sur cette lancée.

Justement, les échanges que vous avez eus au Luxembourg ont porté sur des voies d’actions à suggérer au futur gouvernement. Quel est votre message en tant que commissaire en charge du développement des compétences?

Les recommandations de la Commission doivent être suivies par les gouvernements successifs. Elles ne s’adressent pas uniquement au gouvernement sortant, mais aussi au futur gouvernement.

Nos recommandations gardent toute leur validité et je ne peux qu’inviter la prochaine majorité gouvernementale à prendre le volet des compétences très au sérieux et à essayer d’identifier les moyens nécessaires pour se doter d’une vraie stratégie en la matière.

L’objectif doit être d’encourager les entreprises à investir dans les compétences et, plus particulièrement, de soutenir les petites, voire les microentreprises, qui souvent ont des difficultés à investir suffisamment dans leur capital humain. Je pense que cela devra être un point très important du prochain programme gouvernemental.

Pour revenir à l’attractivité des emplois, il faut évoquer les conditions de travail. Un de vos fers de lance en tant que commissaire a été la mise en place d’une directive sur les salaires minimums adéquats à l’échelle de l’UE. Quel bilan intermédiaire pouvez-vous tirer de cette entreprise, fortement contestée par certains États membres?

La directive sur les salaires minimums en Europe n’est pas encore entièrement en vigueur. Il y a même eu un pays (NDLR : le Danemark, en janvier 2023) qui a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour faire vérifier si la Commission était compétente en la matière.

Il faut maintenant attendre le jugement. Les États sont en train de transposer cette directive. Je sens que, notamment dans un contexte inflationniste, l’avis s’est imposé qu’il fallait maintenir le pouvoir d’achat, notamment celui des travailleurs les moins bien payés. Je crois qu’à ce niveau la directive a eu un impact.

Au Luxembourg, la Chambre des salariés vient de publier une enquête qui en vient à la conclusion que le salaire minimum doit être structurellement augmenté, notamment pour remplir les normes européennes. Comment suivez-vous le débat sur cette question, également mené à la Chambre des députés?

La directive européenne dit que le salaire minimum doit s’orienter en relation avec les indicateurs, notamment les 60 % du salaire médian et les 50 % du salaire moyen. Je sais qu’il y a un débat entre statisticiens sur le mode de calcul des revenus médian et moyen.

Au Luxembourg, le niveau du salaire médian est très élevé. Le problème au niveau des bas salaires est toujours aussi un problème qui se situe en relation avec l’évolution générale des salaires. Un objectif de la directive est de ne pas déconnecter complètement l’évolution des bas salaires de l’évolution globale des revenus.

Les deux indicateurs introduits dans la directive ne sont pas des obligations absolues, mais il faut garder à l’œil le phénomène de la pauvreté au travail, d’autant plus que l’évolution des prix est ascendante avec, au Luxembourg, le grand problème que demeure le coût du logement.

Il reste sept mois jusqu’aux élections européennes. Au-delà du salaire minimum, quels sont les grands projets qui restent à mettre en œuvre dans les ressorts dont vous avez la charge?

On n’a pas encore achevé la directive sur les plateformes, qui est l’autre grand texte législatif de mon mandat. Nous allons encore lancer une autre directive sur les stages des jeunes.

Il faut que les stages ne soient pas répétitifs ni surtout gratuits. La qualité et la rémunération doivent être des priorités. Et puis, il y a une autre directive importante qui porte sur les comités d’entreprise. C’est surtout en ces temps de grands bouleversements et de restructurations que le dialogue social est un élément important dans les entreprises, surtout celles qui opèrent par-delà les frontières.

La directive existante en la matière, datant de 2009, ne fonctionne pas toujours très bien. On veut donc renforcer et ajuster ce mécanisme de consultation et d’information. En parallèle, on continue à travailler sur la santé et la sécurité au travail. La Commission en place figure parmi celles à avoir le plus entrepris dans ce domaine, avec comme avancée majeure l’accord visant à rendre beaucoup plus strictes les normes sur l’exposition à l’amiante.

Vu la mise à l’écart de votre parti, le LSAP, du prochain gouvernement, vous ne pourrez pas postuler pour un deuxième mandat de commissaire.

(Il coupe) Je ne dis pas que je postulerai, mais je tiens à rappeler que le gouvernement sortant, où le CSV n’était pas membre, a bien soutenu la candidature de Jean-Claude Juncker pour devenir président de la Commission européenne.

Il n’y a donc pas de règle établie pour le choix du commissaire. De toute façon, il reviendra au président ou à la présidente de faire part de ses idées aux États membres, qui choisissent et proposent en fonction de celles-ci un candidat.

Comptez-vous vous présenter sur la liste du LSAP aux élections européennes de 2024?

Il reste encore quelques mois avant cette échéance. J’ai trop de travail pour y réfléchir. Le moment venu, on verra si je me présente ou pas. Franchement, pour l’instant, je n’ai aucune idée.