Les recours s’épuisent pour éviter à Julian Assange l’extradition vers les États-Unis. Le lanceur d’alerte a déjà passé dix ans enfermé pour avoir publié des documents secrets révélant des crimes de guerre commis par Washington. La députée Nathalie Oberweis (déi Lénk) fait partie des (rares) soutiens politiques de Julian Assange au Luxembourg.
Depuis plus de dix ans maintenant, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, est enfermé pour avoir publié sur son site des documents classifiés révélant des crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak et en Afghanistan (les «War logs»), ainsi que des câbles (ou mémos confidentiels) de la diplomatie américaine, qui mettent au jour des pratiques et des compromissions douteuses.
Après avoir passé sept ans réfugié au sein de l’ambassade d’Équateur à Londres, Julian Assange est depuis 2019 emprisonné à la prison de haute sécurité de Belmarsh, au Royaume-Uni. Il a déposé début décembre un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour éviter l’extradition vers les États-Unis, où il encourt 175 ans de prison et une détention dans des conditions qui risquent d’être désastreuses.
La députée Nathalie Oberweis (déi Lénk) fait partie des (rares) soutiens politiques de Julian Assange au Luxembourg. Rencontre.
Que devient Julian Assange ?
Nathalie Oberweis : Il est toujours à l’isolement dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres. En juin 2022, la ministre de l’Intérieur britannique Priti Patel a approuvé la demande d’extradition formulée par les États-Unis. Julian Assange a donc saisi début décembre la Cour européenne des droits de l’homme. C’est son dernier espoir. Après ça, il n’y a plus rien.
Si j’ai confiance dans la CEDH, je n’ai pas confiance dans la raison d’État, ni dans la politique et les politiciens des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Les autorités politiques de ces pays-là ont déjà sacrifié Julian Assange. Et de surcroît, il a été oublié par tout le monde ! Pour moi, c’est un des plus gros scandales de notre époque.
Comment expliquez-vous que l’État américain s’acharne sur Julian Assange – il aurait même envisagé de le faire assassiner – au lieu de mener des enquêtes sur ce que toutes ces publications ont révélé ?
C’est la raison d’État qui domine, tout simplement. Et l’arrogance du pouvoir aussi. C’est un État qui se pense le plus puissant du monde, qui ne veut se laisser guider par personne, d’autant plus que cette personne n’est même pas américaine (NDLR : Julian Assange est australien). Il y a trop d’intérêts en jeu pour que les États-Unis se remettent en question : les intérêts de personnes privées, d’institutions, de lobbies industriels et militaires… C’est plus facile de condamner une seule personne.
Mais c’est une chose que les États-Unis s’en prennent à Assange, c’en est une autre que les États européens jouent leur jeu, tout particulièrement la Suède et la Grande-Bretagne. Il y a un manque de courage au niveau européen qui fait qu’aucun n’offre l’asile à Julian Assange, parce que les intérêts et les relations entre les États priment.
Or les États-Unis ne veulent pas seulement extrader Assange pour se venger de lui, mais aussi pour décourager les autres lanceurs d’alerte, où qu’ils soient dans le monde. C’est pour cela que les États européens ne devraient pas participer à ce jeu politique. C’est bel et bien un procès politique qui n’a rien à voir avec la justice.
Pensez-vous que les poursuites pour viol par la justice suédoise, abandonnées en 2019 après dix ans de procédure, participaient de ce jeu politique ?
D’une part, je ne m’engage pas pour Julian Assange parce qu’il serait mon ami, mais pour ce qu’il symbolise : la liberté d’expression, qui est gravement menacée, et l’esprit critique. Bien qu’en le voyant, on ne puisse qu’avoir de l’empathie pour cet homme emprisonné depuis dix ans sans avoir commis aucun crime et dont la santé mentale a été fragilisée.
Mais d’autre part, il est clair pour moi que dès le départ, le but a été de salir sa réputation pour rallier l’opinion publique contre lui. Et ça a fonctionné : au début, tout le monde était scandalisé par les révélations de WikLeaks et dans un délai de quelques semaines, l’opinion publique a viré à cause du récit qu’il y a eu sur lui. De héros, il est devenu un violeur. C’est ainsi qu’on a réussi à le délégitimer, et avec lui toute la cause derrière. Et cette image est restée clouée avec lui, au point qu’on oublie que les charges ont été abandonnées !
Un État est un acteur public qui doit toujours se justifier envers sa population
À l’instar du diplomate français Hubert Védrine, certains ont déclaré que le journalisme d’Assange (qualifié d’espionnage par les États-Unis) était une atteinte à la vie privée des États.
C’est n’importe quoi ! Un État ne peut pas avoir une vie privée, c’est un acteur public qui doit toujours se justifier envers sa population. Lorsqu’il n’y a plus de justification, on commence à avoir un problème. Pendant un court moment, les publications de WikiLeaks ont réveillé nos consciences et suscité une vague d’indignation. Mais je trouve qu’on a vite tout oublié. Or ces révélations que nous devons à Julian Assange sont d’intérêt public.
Qu’avez-vous mis en place en tant que députée pour venir en aide à Julian Assange ?
J’ai rejoint un groupe d’une dizaine de députés européens qui s’engagent pour lui. Il n’y a pas encore d’actions concrètes, mais nous avons des échanges. J’ai aussi contacté des députés luxembourgeois susceptibles d’avoir une affinité avec cette cause, mais ils ont tous refusé de s’engager. Julian Assange a malheureusement une image écornée qui le décrédibilise, quand bien même les charges ont été abandonnées et la cause à défendre, la liberté d’expression, est fondamentale.
J’ai malgré tout créé un groupe transpartisan de soutien, même s’il n’est composé que de deux députées pour l’instant, ma collègue Myriam Cecchetti et moi-même. C’est une cause chère à déi Lénk : David Wagner avait déjà demandé d’offrir l’asile à Julian Assange, ce qui a été refusé.
Que peut faire le citoyen qui souhaite s’engager pour Julian Assange ?
Lire, parler de lui autour de soi, écrire pour lui sur les réseaux, écrire aux gouvernements, participer aux rassemblements. Les outils classiques dont disposent les citoyens peuvent accentuer la pression sur les gouvernements.