Entre le désastre humanitaire en Syrie et la crise migratoire qui en a découlé en 2015, Médecins sans frontières a été au cœur des conflits qui ravagent le monde. Et souvent en première ligne. Le bureau MSF au Luxembourg a beau être l’un des plus petits de l’ONG, il n’est pas moins actif.
Octobre 2015. Dans la nuit du 2 au 3, le souffle d’un raid aérien atomise l’hôpital MSF de Kunduz en Afghanistan. Des bombardements nourris par l’armée américaine. Quarante-deux personnes, dont 14 membres de MSF, sont tuées et le seul centre de traumatologie du vaste Nord-Est afghan est réduit en poussière. «Une regrettable erreur», s’excuseront à peine les forces américaines. L’info fera les gros titres avant d’être noyée dans le flot des actualités. La frénésie médiatique n’offre plus le luxe de s’émouvoir, ainsi va le monde.
Ce traumatisme hante toujours les esprits dans les rangs de l’ONG, jusqu’au Grand-Duché. Bien sûr, «ce n’est pas la première structure médicale visée, mais c’est la première visée de cette façon répétée», retient Paul Delaunois. De l’avis du directeur général de l’antenne luxembourgeoise, à l’heure de dresser le bilan de l’année passée, l’événement constitue un «non-respect du droit international dans une logique d’impunité». Et 2015 s’est avérée en ce sens «particulièrement compliquée». Très vite, les mots de Paul Delaunois s’alourdissent du poids des maux. Il parle d’une «situation insoutenable, tout à fait exceptionnelle, qui traduit une dérive de nos États par rapport aux besoins humanitaires et à l’ensemble des populations». Insoutenables en effet ces 106 attaques et pilonnages de 75 structures MSF, dont une grande majorité en Syrie.
21 Luxembourgeois sur le front
La Syrie, justement, est «un désastre depuis cinq ans et demi sans visibilité vers un mieux». Les médecins MSF, comme les autres organisations, ne sont toujours pas autorisés à venir en aide aux blessés, dont les plus vulnérables restent les femmes et les enfants (40%). Ils opèrent clandestinement – les ambulances sont ciblées – au risque d’être arrêtés, torturés voire tués. Autant de dangers qui remettent en question le travail humanitaire, privant les civils de soins vitaux et entamant le courage des personnels sur le terrain. Il n’empêche que ces volontaires ne se détournent pas de leur mission de secours et d’assistance.
À commencer par ceux du Luxembourg. L’an dernier, 21 membres ont été dépêchés à travers le monde, dans ses zones les plus fragiles et instables. Sur le front, ils prennent le pouls d’une planète malade. Ils sont le nerf de la guerre contre les atrocités. Témoins du pire. Notamment de la crise migratoire, dont l’arrivée en Europe d’un million d’exilés s’est faite «dans la douleur». Et souvent au péril de vies abîmées en mer. Le Grand-Duché, via le bateau Bourbon Argos, était sur le pont. Pourtant, les 3 771 victimes disparues en Méditerranée «auraient pu être évitées». La faute à un laxisme des États, pointent les humanitaires.
MSF cultive ainsi son indépendance vis-à-vis des institutions, ou de l’Union européenne dont l’ONG ne compte désormais plus sur les subventions. Son approche financière se base sur les besoins à l’instant T. «Nous ne collectons pas plus d’argent que nécessaire. Par exemple, lors du séisme au Népal, nous avons puisé dans notre fonds d’urgence», fait savoir Paul Delaunois. Ce fonds est alimenté par les dons. Au Luxembourg, ils sont synonymes de générosité. En 2015, plus de 26 000 bienfaiteurs ont mis la main à la poche pour un total de quelque 5,5 millions d’euros. MSF s’impose une transparence dans l’utilisation de cet argent et dans la communication de ses actions. Pas de dramatisation à outrance ni de diffusion d’images-chocs pour remplir les caisses. «Nous ne profitons pas d’une urgence médiatisée.» Ils tentent simplement d’y répondre, avec les moyens du bord.
Alexandra Parachini
La spécificité luxembourgeoise
MSF Luxembourg est l’un des plus petits bureaux de l’ONG. Ce qui ne l’empêche pas d’en être une composante essentielle. Avec une spécificité : l’unité de recherche opérationnelle (LuxOR). Son activité permet de renforcer le travail de terrain et ses scientifiques apportent des solutions concrètes à la gestion d’épidémies ou de fléaux. LuxOR s’est notamment distingué pour ses approches sur Ebola.
Les têtes chercheuses luxembourgeoises ont en effet établi trois «évidences», que les éminences les plus grises n’avaient pourtant pas su mettre en lumière. Tout d’abord, les chances de survie à Ebola sont déterminées par la charge virale présente dans le sang et non par le nombre de jours d’incubation. Ensuite, les fluides contagieux sont relatifs et pas tous égaux dans la transmission du virus (la transpiration en est moins chargée que le sang par exemple). Enfin, et c’est peut-être la «découverte» la plus singulière, le papier sortant des centres de soins étant contaminé, les médecins criaient les informations quitte à en perdre en route. LuxOR a trouvé le remède infaillible : des tablettes numériques connectées en wifi !