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Mendicité : «Je suis contente si cela fait avancer les choses» explique Lydie Polfer


Pour Lydie Polfer, la polémique autour de l’interdiction de la mendicité est notamment causée par une erreur matérielle dans le code pénal depuis 2008.

Adoptée mais toujours autant décriée, l’interdiction de la mendicité à Luxembourg est le fruit d’un long combat pour la bourgmestre Lydie Polfer, qui revient sur l’origine de la polémique et les dates clés du sujet.

Pour Lydie Polfer, la députée-maire de Luxembourg, le sujet de la mendicité est un serpent de mer qu’elle affronte depuis le début de son mandat.

Adopté le 15 décembre dernier, l’article 42 du règlement de police interdisant la mendicité va encore être débattu dans trois jours au conseil communal, à la suite d’une motion demandant sa suppression signée par déi gréng, le LSAP, déi Lénk et le Parti pirate.

Une pétition publique s’opposant à cette interdiction doit en outre être discutée à la Chambre, après avoir dépassé le seuil des 4 500 signatures requises. L’occasion donc de remonter le fil de l’histoire afin de comprendre les motivations de la bourgmestre et l’origine de la polémique.

2008 : la loi de la discorde

L’un des nœuds de la polémique se trouve dans le caractère légal, ou non, d’un tel article. Selon ses détracteurs, sanctionner les mendiants est illégal. Un avis que partage le procureur d’État de Luxembourg, Georges Oswald, qui affirme que l’interdiction de la mendicité a été abolie en 2008.

En effet, si le point 6 de l’article 563 du code pénal dispose que seront punis d’une amende de 25 à 250 euros «les vagabonds et ceux qui auront été trouvés mendiants», le flou règne depuis une loi du 29 août 2008. «Il y a une notice en bas de page qui dit que le point n’est plus appliqué par les juridictions, car une loi de 2008 a voulu l’abolir», explique la bourgmestre. «Mais c’est une erreur matérielle!»

«Avant 2008, le point 6 se lisait ainsi : « Les vagabonds et ceux qui auront été trouvés mendiants«  et le deuxième alinéa, c’était : « Le gouvernement pourra les conduire à la frontière s’ils sont étrangers« . C’est cet alinéa qui devait être abrogé, car il ne correspondait plus aux directives européennes.»

Une erreur aurait alors été commise dans la loi de 2008 qui mentionne qu’«à l’article 563 du code pénal, le point 6 du deuxième alinéa est supprimé». «Mais c’est inapplicable, car il n’y a pas de deuxième alinéa.»

2009 : une jurisprudence cruciale

«Il n’a jamais été dans l’intention du législateur d’abolir la mendicité simple», martèle Lydie Polfer. Pourtant, plus d’un an après la loi modifiant l’article 563, une décision de justice allant de ce sens est rendue au tribunal de Diekirch.

Le 3 décembre 2009, deux personnes sont prévenues, dont l’une d’elles pour le chef de mendicité. Cette dernière sera finalement acquittée, car «le tribunal tient à relever que mendier n’est pas interdit par la loi pénale». «Suivant les dispositions de l’article 157 de la loi du 29 août 2008 (…) le point 6 de l’article 563 du code pénal est supprimé», peut-on lire dans le compte rendu d’audience. «C’est aussi simple et fondamentalement faux que cela. Un juge a décidé cela et tout le monde a suivi», fustige Lydie Polfer.

«Cela me fait rire que l’on dise que nous ne respectons pas la séparation des pouvoirs, alors que si quelqu’un ne l’a pas respectée, c’est bien la personne qui a décidé que tout le point 6 est abrogé.» Pour ce qui est de l’erreur matérielle, «on aurait pu la corriger». «Pendant dix ans, le ministère de la Justice était aux mains du parti des verts et cela n’a pas été fait, donc, effectivement, une clarification s’impose.»

2015 : l’été de la polémique

Malgré la décision prise en 2009, l’affaire ne fait pas grand bruit jusqu’en 2015, l’année où «toute cette discussion autour de la mendicité fait des vagues». La polémique apparaît en août, à la suite de la publication d’une lettre ouverte de l’avocat Gaston Vogel sur la situation de la Ville en matière de mendicité. «Il dénonçait le fait que des gens se réunissaient devant son cabinet chaque matin. Et il avait employé des mots assez crus.» Les mendiants visés étaient, par exemple, qualifiés de «racailles» ou encore de «dégueulasses et insolents».

S’ensuivent un procès contre l’avocat et une discussion autour de la mendicité, dont la pratique se serait dégradée au fil du temps. En novembre, la Ville complète son règlement de police en ajoutant un article 52 visant à réduire la mendicité en interdisant d’importuner les passants et automobilistes et d’entraver les entrées de bâtiment.

«Mais rien ne s’est passé», les forces de l’ordre n’étant «pas vraiment soutenues dans les actions qu’elles faisaient. Car elles ne peuvent que constater, après, c’est à la justice de sanctionner.»

2023 : interdiction, puis désapprobation

Excédées face à la progression de la mendicité organisée dans la capitale, Lydie Polfer et la Ville poussent «un cri de désespoir» en ajoutant au règlement de police l’article 42 sur l’interdiction de mendier dans la Ville-Haute et dans certaines rues du quartier Gare de 7 h à 22 h.

«Le fond du problème, ce n’est pas la mendicité simple», insiste-t-elle, comprenant qu’«il est normal que des gens qui en voient d’autres dans le besoin veuillent aider». Cependant, «quand on veut constater la mendicité organisée, il faut constater la mendicité. Mais une personne seule avec son gobelet n’est pas concernée.»

L’interdiction fait polémique, ce qui la surprend : «Je suis étonnée, car un règlement de police similaire existe depuis des années à Diekirch, Ettelbruck et même à Dudelange.» Taina Bofferding, alors ministre de l’Intérieur, s’empare de l’affaire et annule l’interdiction deux mois plus tard, estimant notamment qu’elle est non conforme au droit.

«Tout de suite, nous avons fait un recours en annulation de 48 pages, que le ministère a reçu le 15 août.»  En poste jusqu’au 17 novembre, Taina Bofferding «aurait eu le temps de répondre à ce recours pour maintenir sa position, ce qu’elle n’a pas fait».

2023-2024 : changement de ministre et d’avis

À la suite des élections législatives d’octobre dernier, Léon Gloden remplace Taina Bofferding et «il trouve sur son bureau le dossier de recours et se rend compte que, effectivement, cette motivation pour ne pas approuver cet article ne tient pas». Il approuve donc l’interdiction le 15 décembre. Une nouvelle fois, les critiques pleuvent, avec «l’argument « Vous allez frapper les plus pauvres« ».

Une remarque que rejette en bloc Lydie Polfer : «Je crois qu’aucune commune ne fait autant que la Ville de Luxembourg qui paye chaque mois 75,5 postes parmi les institutions caritatives qui s’occupent des gens dans le besoin.»

Malgré les protestations, les forces de l’ordre vont, depuis le 16 janvier, à la rencontre des personnes en situation de mendicité «avec beaucoup de tact» afin de déterminer s’il s’agit de mendicité organisée ou non. Pour l’instant, «ils ne dressent pas de procès-verbaux», mais la bourgmestre constate déjà que le nombre de mendiants a considérablement baissé.

De quoi parler de victoire? «Une victoire quand on voit toute la polémique? Je ne sais pas. Mais je suis contente si cela fait avancer les choses et qu’on sort de l’inaction. Je veux aider les gens.»