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Meisenthal : une boule de Noël aux origines luxembourgeoises


La nouvelle boule de Noël s’inspire d’un culot de bouteille et donne une nouvelle esthétique à son aspect purement technique.  (Photos : centre international d’art verrier de meisenthal)

Le designer belgo-luxembourgeois Nicolas Verschaeve est le créateur de la boule de Noël de Meisenthal cuvée 2022. Baptisée «Extra», celle-ci offre une réflexion sur les objets de notre quotidien.

Elle est si commune que plus personne ne fait attention à elle depuis longtemps. Présente sur de nombreuses tables, en particulier durant les fêtes, la bouteille en verre fait partie du quotidien et ne se définit quasiment que par son aspect pratique. Le designer Nicolas Verschaeve a souhaité porter sur elle un nouveau regard pour la détourner et en faire un autre objet, lui aussi particulièrement présent dans les foyers en ces derniers jours de l’année : une boule de Noël.

Âgé de 27 ans, Nicolas Verschaeve possède la double nationalité belge, par son père, et luxembourgeoise, par sa mère. «J’ai de la famille du côté de Walferdange», précise-t-il. S’il a essentiellement grandi dans le sud de la France avant de réaliser ses études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, il a retrouvé le chemin de la Grande Région en 2015.

Encore étudiant, c’est là qu’il pousse pour la première fois les portes du Centre international d’art verrier (CIAV) de Meisenthal, en Moselle. «Cela s’est fait à l’occasion d’un workshop où j’ai découvert leurs savoir-faire pour la première fois.» Diplômé en 2017, il développe un atelier mobile qui lui permet de travailler où il le souhaite et d’aller à la rencontre des artisans et de leur méthode de travail (voir encadré). En 2020, ce voyage itinérant le ramène au CIAV. «Là-bas, j’ai mené un projet de recherche durant deux ans en collaboration avec le Centre national des arts plastiques (CNAP).»

Détournement de fond

C’est au cours de celui-ci que le Centre international d’art verrier lui propose de créer la traditionnelle boule de Noël. Une proposition qui a demandé un certain temps de réflexion au designer. «Je n’ai pas dit oui tout de suite, cela m’a d’abord posé question. Jusqu’à présent, j’avais travaillé sur un projet libre où je pouvais me remettre en question. Là, c’était une commande avec des contraintes, je n’avais pas la même latitude.»

L’aspect plus industriel, et la fabrication à grande échelle, ont également entraîné quelques interrogations. «C’est un objet de grande série avec tout ce que ça demande en consommation d’énergie et en appropriation des ressources», rappelle-t-il.

À la rencontre des savoir-faire

Depuis la fin de ses études, Nicolas Verschaeve s’est créé un atelier mobile qui lui permet d’aller là où bon lui semble. «Avec, j’ai fait une première étape au Pays basque puis en Bretagne.» Ce dispositif lui offre une grande liberté pour aller à la rencontre des artisans et se nourrir de leur savoir-faire. «Il y a l’idée d’être autonome, de pouvoir s’inscrire au sein d’un territoire et d’y aller en toute indépendance.» Le designer est attaché aux productions artisanales, dont les structures permettent d’initier des temps de recherche, en prise avec la matière mais aussi les outils, les hommes et les femmes qui la façonnent.

«Malgré cette liberté, on est assez vite limité. On a toujours besoin d’une structure et d’une équipe. Mais cela me permet d’aller me frotter à la rugosité de la réalité.» Après la boule de Meisenthal, Nicolas Verschaeve a d’autres projets, notamment sur le bois en Bourgogne, mais revient tout de même régulièrement dans son propre atelier, à Bruxelles. «Il faut aussi un ancrage. S’autoriser une telle liberté est difficile si l’on n’a pas un point de retour.»

Créer une nouvelle esthétique

Mais Nicolas Verschaeve a finalement accepté la proposition du CIAV qui tente d’ailleurs d’améliorer ses process afin de les rendre moins énergivores et plus en phase avec les préoccupations actuelles. «Il y a une réflexion à propos des rythmes de travail et sur comment produire plus intelligemment.» Puisant son inspiration dans l’industrie pour s’interroger sur la production en série, c’est finalement la bouteille, et son aspect convivial, qui a retenu son attention. «J’ai voulu repenser l’objet afin d’en effacer ses fonctionnalités.»

«Extra» prouve que l’esthétique se cache partout, y compris dans le culot d’une bouteille en verre.

Après l’avoir décortiqué, Nicolas Verschaeve s’est intéressé à l’un des éléments les plus discrets de la bouteille : le fond. «C’est lui qui est le moins visible, le plus caché, détaille le designer. Je voulais le ramener à la lumière.» Ses caractéristiques purement techniques et pratiques, comme les petites stries qui permettent de stabiliser la bouteille, pouvaient être détournées afin de leur conférer une nouvelle esthétique.

Un regard critique sur l’industrie

Une série de dessins et de moulages ont permis au jeune designer d’explorer différentes pistes afin de réinterpréter de manière singulière ce culot pourtant si banal à nos yeux. Le processus a donné naissance à «Extra», la boule de Noël de cette année. «Le nom fait référence à l’extraction d’une partie de la bouteille mais aussi à l’objet en lui-même dont on a extrait la finalité. C’est également une manière de montrer qu’on peut faire d’un objet du quotidien quelque chose d’extraordinaire.»

Mais cette édition 2022 porte aussi une réflexion sur l’industrie. Objet d’abord artisanal, la bouteille est devenue peu à peu un incontournable du quotidien, il a donc fallu industrialiser sa production. Avec «Extra», l’idée était d’inverser ce processus pour que les artisans s’en emparent à nouveau. «C’est un objet transitoire de nos vies. Une fois vidée, elle est mise à la consigne ou au rebut. Cela entraîne une perte d’attention alors qu’elle peut pourtant durer des dizaines d’années.»  Avec «Extra» en bonne place sur les sapins, elle pourra à nouveau briller aux yeux de tous pendant les fêtes.

Liste des points de ventes sur le site internet ciav-meisenthal.fr.

Nicolas Verschaeve a voulu réimaginer un objet du quotidien, la bouteille, auquel personne ne prête plus attention.

Des verriers héritiers d’une longue tradition

La verrerie de Meisenthal a connu une histoire mouvementée. Fondée en 1704, elle devient au XIXe siècle le berceau du verre «Art nouveau». Après avoir compté jusqu’à 650 salariés et s’être spécialisée dans la production de masse d’objets usuels en verre soufflé et pressé, l’usine périclitera pendant la seconde moitié du XXe siècle. Le 31 décembre 1969, elle ferme définitivement ses portes après 265 années d’existence, victime de la concurrence de la production mécanisée.

Complètement désossé, le site est laissé à l’abandon et la tradition se perd durant de nombreuses années. Il faudra attendre 1992  pour que le Centre international d’art verrier (CIAV) rallume un premier four de fusion. Son ambition est de préserver l’héritage technique des artisans d’autrefois en organisant des séances de transmission avec d’anciens verriers et en constituant un fonds de 1 500 moules anciens en métal et en bois. Grâce à des rencontres organisées avec des créateurs et des designers, le site peut relancer une ligne d’objets en verre dont les fameuses boules de Noël qui font leur apparition en 1999.

Celles-ci ne sont pas un héritage de l’ancienne verrerie de Meisenthal mais bien de celle de Goetzenbruck, un village voisin. Fermée en 2005, celle-ci produisait depuis 1858 des boules décoratives réfléchissantes. En 1998, de nouvelles séances de transmission organisées par le CIAV permettent de préserver ce savoir-faire. Depuis, Meisenthal invite chaque année un designer différent pour réinterpréter la traditionnelle boule de Noël en y apportant ses réflexions et son univers. En 2021, plus de 60 000 unités (dont 35 000 exemplaires de la boule annuelle baptisée «Piaf») ont été vendues en l’espace de quelques semaines.

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