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Médiateur scolaire : «Le nombre de dossiers augmente constamment»


Lis De Pina : «Il y a encore des lycées qui pensent que le harcèlement, ce n’est pas grave.»

Décrochage, harcèlement, inclusion des élèves à besoins spécifiques et intégration des enfants immigrés : le médiateur scolaire est sur tous les fronts en cette rentrée.

Le médiateur scolaire peut être saisi lorsque le dialogue entre les parents d’élèves et l’école est grippé, voire rompu. Doté d’outils contraignants, son action auprès des parties parvient à dénouer les situations les plus compliquées, le but étant de permettre aux enfants de poursuivre leur scolarité sereinement.

Lis De Pina, médiateur scolaire depuis cinq ans, détaille le travail de son équipe pour le maintien scolaire, l’inclusion des élèves à besoins spécifiques et l’intégration des enfants immigrés dans le système luxembourgeois.

Quel est votre réel pouvoir d’action ?

Lis De Pina : Nous sommes avant tout des médiateurs. Pour nous, la communication, la compréhension du conflit et le travail en commun, c’est primordial pour avancer. La confiance doit être rétablie de part et d’autre, car on parle d’élèves qui ont encore des années à passer au cœur du système scolaire.

Mais quand le désaccord est plus profond, on peut mobiliser les outils que le législateur nous a donnés : nous formulons des recommandations écrites qui, en général, sont suivies. Si ce n’est pas le cas, on en informe le ministre, et il prend position. Certains cas peuvent aussi donner lieu à des recommandations plus générales pour compléter une loi ou fluidifier une procédure.

Vous parlez de médiation «atypique». Pourquoi ?

Parce que ce qu’on fait est différent d’une médiation traditionnelle où les deux parties sont volontairement engagées dans le processus. Nous, on peut imposer aux établissements de nous recevoir. Et on sort de la neutralité de la médiation classique dans le sens où la loi indique bien qu’on est là pour soutenir les parents.

Attention, ça ne veut pas dire qu’on leur donne raison. Il s’agit plutôt de les accompagner et de leur expliquer la situation, pour qu’ils puissent l’accepter.

Au début, le médiateur était mal perçu dans le milieu scolaire. Cela a-t-il changé ? 

Oui. Il y a cinq ans, les écoles nous voyaient comme un service du ministère envoyé pour leur taper sur les doigts. Aujourd’hui, notre action est connue.

De plus en plus de professionnels prennent contact avec nous, ce qui est très positif : directions et enseignants conseillent aux parents de venir nous voir en cas de souci.

Installé dans le quartier Gare à Luxembourg, le service devrait emménager d’ici quelques années dans le Grund.

Votre petite équipe est-elle suffisante ? 

Non. Nos effectifs sont loin de couvrir les besoins. On dispose de quatre personnes à peine pour les médiations, et de quatre autres en support. On fait appel à des stagiaires pour prêter main-forte, mais on court après les ressources car le nombre de dossiers augmente constamment.

En parallèle, la charge émotionnelle s’avère de plus en plus lourde. Les gens face à nous sont à bout de nerfs. Comme nous sommes la dernière instance à laquelle ils s’adressent, leur attente est extrêmement forte.

Quel est le profil des jeunes en décrochage que vous rencontrez? 

Si le maintien scolaire est l’une de nos missions, il est important de préciser que nous ne sommes pas représentatifs. Nous ne voyons que les jeunes qui ont trouvé le chemin vers nous. Cependant, d’après ce qu’on a pu observer, le renvoi représentait jusqu’ici un risque majeur de décrochage.

Sur ce point, la nouvelle loi portant l’obligation scolaire à 18 ans au lieu de 16 change la donne. Avant, en cas de renvoi, seuls les élèves soumis à l’obligation scolaire étaient réinscrits automatiquement dans un autre établissement. Les autres ne trouvaient pas d’école, se décourageaient et c’était la rupture.

L’autre profil à risque qu’on voit régulièrement, c’est l’élève à besoins spécifiques qui n’est pas suffisamment accompagné, notamment lors du passage au lycée, et qui va décrocher.

Certains enfants avec des troubles de l’attention ou dys, parviennent à compenser leurs difficultés tant qu’ils sont dans l’enseignement fondamental, mais une fois au lycée, leurs efforts deviennent vains. Sans le soutien nécessaire, ils arrivent vite à bout de souffle et on les perd. Pour eux, la prévention est cruciale.

La charge émotionnelle est lourde. Les gens sont à bout de nerfs

Quels sont les problématiques récurrentes liées à l’inclusion de ces élèves ?

Les parents nous appellent en disant «on a un problème». Nos psychologues et nos juristes prennent alors le temps de les écouter et, en s’appuyant sur notre expertise, on construit un parcours d’accompagnement.

Dans ces dossiers, qui représentent une bonne moitié des cas qu’on traite, on note énormément d’incompréhensions, parce que de nombreux acteurs sont impliqués et les étapes sont multiples. Tout ça prend des airs de cacophonie, et les parents sont perdus. Il arrive que des dossiers soient bloqués par manque de ressources.

Ce qu’on voit beaucoup, c’est la difficulté à transposer dans le secondaire des aménagements mis en place à l’école. Le contexte et la dynamique au lycée sont différents, avec à chaque cours, une autre classe, et un autre professeur.

Certains lycées refusent-ils les aménagements prévus ? 

Oui, on nous dit «c’est pas possible» ou «on n’a pas été formés pour ça»… Mais grâce aux nouvelles mesures votées en juin, qui prévoient des procédures raccourcies, et de nouveaux départements au sein des lycées pour accompagner ces élèves, je suis vraiment confiante pour la suite.

Ces équipes centralisées vont assurer un suivi, et aider les professeurs à mettre en place les aménagements. Ça va faciliter les choses.

Concernant les élèves immigrés, vous aviez signalé par le passé des enfants sans solution. Où en est-on ? 

Notre recommandation sur le sujet a servi de moteur au lancement du nouveau Service de l’intégration et de l’accueil scolaires, chargé d’évaluer le niveau de l’élève – ce qui n’était pas fait systématiquement – et de déterminer son orientation.

Ces enfants arrivent avec leur bagage scolaire et atterrissent dans une classe où ils s’ennuient, car la seule chose qui leur fait défaut est la langue. Ce service va les suivre pendant deux ans, c’est un net progrès : ça permettra d’être plus réactif et d’adapter l’orientation en cours de route.

Le harcèlement scolaire ne figure pas dans vos attributions. Cela vous empêche-t-il d’agir ?

On reçoit effectivement beaucoup d’appels sur ce thème. Pour l’instant, on les traite comme des réclamations relevant du maintien scolaire. À travers le nouveau poste de délégué à la protection des élèves créé dans tous les lycées, les élèves concernés pourront se tourner vers cette personne de confiance, et pour nous, il sera un interlocuteur précieux.

Car il y a encore des établissements qui pensent que le harcèlement, ce n’est pas grave, qui relativisent et ne comprennent pas à quel point c’est dangereux. Je ne leur jette pas la pierre pour autant. Nous disposons d’un temps d’écoute que les lycées n’ont pas : chez nous, on peut prendre deux à trois heures pour échanger avec les enfants et leur famille. Le harcèlement fera sans doute prochainement partie de nos missions officielles.

247 réclamations
Le Service de médiation scolaire a traité 247 plaintes pour la période 2022-2023, en hausse par rapport aux 218 de la période précédente. La plupart sont classées dans le «maintien scolaire», mais dans les faits, les problématiques se recoupent. Ainsi, l’inclusion des élèves à besoins spécifiques concerne de nombreux dossiers.

Un commentaire

  1. Normal, avec des parents qui savent tout mieux que les profs!!!