Max Hahn, le rapporteur du budget de l’Etat 2023, va mettre l’accent sur un vivre-ensemble plus équitable. Le député du DP compte notamment présenter des pistes pour mieux atteindre les gens aux aides étatiques et communales.
Le budget de l’État pour 2023, présenté mercredi, se compose de 27,3 milliards d’euros de dépenses contre 24,5 milliards de recettes. Il revient à Max Hahn, député du DP, de soumettre à la Chambre le rapport sur le projet de la ministre des Finances, Yuriko Backes. L’élu libéral défend les investissements consentis et revient aussi sur les raisons qui empêchent, pour l’instant, la grande réforme fiscale réclamée tant par le CSV que par le LSAP.
La situation de polycrise et les grandes incertitudes qui pèsent sur le Luxembourg rendent encore plus complexe la tâche de rapporteur du budget de l’État. Comment abordez-vous cette mission?
Max Hahn : Tout d’abord, je dois dire que je suis très fier et honoré que l’on m’ait confié cette mission. J’ai commencé il y a déjà plusieurs mois à m’y préparer, notamment en lisant nombre de documentations liées à la politique des finances. Néanmoins, ce contexte de polycrise, avec une crise du covid qui n’est pas encore tout à fait terminée, suivie de la crise énergétique avec l’hyperinflation qui en découle, ne facilite en rien la tâche d’un rapporteur du budget. En cette phase, il importe, donc, plus que jamais de suivre de près comment la situation évolue. J’ai d’ailleurs observé d’un œil très attentif les négociations tripartites, vu leur impact sur les finances publiques.
Vous préparez-vous d’ores et déjà à des amendements au budget 2023 en fonction de la suite des évènements sur le front de la guerre en Ukraine et au-delà?
Si j’ai appris une chose lors de ces trois dernières années, c’est que l’on ne peut et que l’on ne doit jamais rien exclure. En tant que politiciens, nous avons, depuis le début de la crise sanitaire, toujours fait preuve de flexibilité, en tentant de réagir de manière adéquate afin de permettre au pays de rester à flot. Je songe à la fois aux citoyens et aux entreprises avec comme objectif commun de leur permettre non seulement de maîtriser les effets de la crise, mais aussi d’en sortir renforcés. Je pense que cela nous a bien réussi lors de la crise du covid, avec la forte reprise en 2021 et aussi début 2022. Les importants moyens financiers débloqués par l’État ont porté leurs fruits. Le Luxembourg a démontré sa résilience.
Désormais, le spectre d’une récession pèse toutefois. Redoutez-vous un tel scénario?
Je répète l’importance de rester très vigilant en cette période d’importantes incertitudes. Nous avons cependant réussi à conclure deux bons accords lors des tripartites de fin mars et fin septembre qui offrent une certaine prévisibilité. Le paquet conclu contribuera à empêcher une crise sociale, mais aussi à éviter une vague de licenciements. Cela est très important. On doit néanmoins rester capable, comme par le passé, de se montrer très réactif. Ce sera essentiel pour les mois à venir, et je pense que l’on va réussir à le faire.
À vos yeux, l’accord tripartite réduit donc le risque de devoir amender le projet de budget avant le vote à la mi-décembre?
Il est a priori peu probable que des changements importants interviennent aussi rapidement dans les semaines à venir. Le paquet tripartite ne cible pas pour rien la flambée des prix afin de permettre aux gens et aux entreprises de bien passer l’hiver sans devoir couper le chauffage ou réduire leur production.
Les allègements fiscaux font partie intégrante de l’ADN du DP
L’autre facteur qui rend ce budget 2023 particulier est constitué des tensions à l’intérieur de la coalition gouvernementale sur la réforme fiscale. Le DP semble assez isolé sur ce point. Le fait que le rapporteur soit issu des rangs libéraux constitue-t-il un poids supplémentaire pour votre mission?
Les allègements fiscaux font partie intégrante de l’ADN du DP. Ce qui a été inscrit dans l’accord de coalition, à savoir une individualisation de l’imposition, est dû au fort engagement des libéraux. Nous restons d’avis que l’État ne doit pas s’intéresser au fait que quelqu’un est célibataire, marié, pacsé, en union libre, divorcé ou veuf. On aurait vraiment voulu mettre en œuvre cette réforme majeure, mais au vu des crises, que personne n’a pu prévoir, cela n’est pas possible. Dès qu’il y aura la marge financière, on mettra ce projet en œuvre. En cette période d’incertitudes, où on ne sait pas ce qui adviendra dans quelques mois, il est complètement irresponsable de le faire maintenant. Il en va de même pour l’adaptation du barème d’imposition à l’inflation. Comme je l’ai dit, le DP est favorable à des allègements fiscaux, mais cela ne peut pas se faire dans la situation financière actuelle. On ne ferait rien d’autre que d’alourdir encore davantage la charge pour les futures générations.
Pourtant, la dette publique risque d’augmenter jusqu’à 29,5 % du PIB en 2026.
Je suis tout à fait d’accord de contracter des emprunts supplémentaires pour financer des projets qui sont pour le bien tant de l’actuelle que des prochaines générations. Je dirais même que nous sommes forcés de contracter ces dettes pour nous activer dans des domaines politiques où les futures générations pourraient nous reprocher de ne pas avoir agi. Je songe bien entendu à tout ce qui a trait au climat, au logement, à la digitalisation, à tout ce qu’il faut pour garder notre pays attrayant et assurer, ainsi, la croissance du Luxembourg. Dans le même ordre d’idées, les investissements dans la mobilité et les infrastructures restent conséquents avec une enveloppe globale de 3,8 milliards d’euros. Il est à la fois très important d’aider les gens et les entreprises à court terme sans perdre des yeux le moyen et le long terme.
Vous partagez donc la position de la ministre des Finances, Yuriko Backes, qui refuse tout « harakiri » financier, dans la perspective aussi de se laisser de la marge en prévision d’une aggravation de la situation économique et sociale?
Il est tout simplement juste de se laisser cette marge. L’accord tripartite prévoit que l’État compensera financièrement une possible troisième tranche indiciaire en 2023. Si ce scénario se confirme, une nouvelle tripartite sera convoquée et il est d’ores et déjà assuré qu’un nouvel accord ne se fera pas à coût zéro. Nous ne savons également pas comment les prix de l’énergie vont continuer à évoluer. Le budget de l’État central table déjà sur un déficit de 2,8 milliards d’euros. Cela est justifié, mais il serait irresponsable de continuer à forcer la dose, au vu des incertitudes qui persistent.
Les partis de l’opposition, le CSV en tête, reprochent à la majorité tricolore d’avoir omis de garder une « poire pour la soif » avant les années de crise. Que répondez-vous à cette critique?
Les investissements consentis depuis 2013 étaient nécessaires pour préparer le pays à l’avenir. Ce n’était pas le cas lorsque cette majorité est arrivée au pouvoir, que ce soit dans les domaines de l’environnement, des infrastructures, du logement, des écoles ou des hôpitaux. On a été contraint d’investir autant dans l’intérêt des gens pour ainsi garder le pays attrayant. Il aurait été très simple de réduire la dette publique en renonçant à l’un ou l’autre projet d’envergure, mais cela aurait été complètement contreproductif pour le futur de notre pays. D’ailleurs, je n’ai pas vu une seule fois un des partis de l’opposition repousser un des projets majeurs ou les paquets de crise qui ont été décidés. Il est un peu simpliste d’affirmer qu’il a été omis de renoncer à tel ou tel investissement. Car je reste convaincu que chacun de ces investissements a été nécessaire pour l’avenir de notre pays. Tout centime d’euro qui n’est pas investi aujourd’hui coûtera bien plus cher aux générations futures.
Cela est devenu une habitude : le rapporteur du budget se fixe un thème central pour son rapport. Quel sera votre fil rouge?
Mon accent sera mis sur un meilleur vivre-ensemble. Je le décline sur un vivre-ensemble plus solidaire et inclusif, mais surtout un vivre-ensemble socialement plus équitable et plus durable. En temps de crise, il est très important d’éviter que l’on provoque une crise sociale, que les plus vulnérables de la société lâchent prise. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai entamé ma tournée d’entrevues avec les acteurs de terrain, avec les représentants de Caritas. L’objectif était de dresser un état des lieux sur le « Housing first« et les épiceries sociales. Je voulais en savoir plus sur l’impact qu’ont la hausse des prix de l’alimentation et celle du coût du logement. Le logement reste un peu l’éléphant dans la salle. Que l’on évoque le pouvoir d’achat ou l’équité sociale, on revient toujours à la thématique du logement. Dans ce contexte, je me suis aussi entretenu avec l’Agence immobilière sociale. En ce qui concerne la durabilité, je vais me consacrer à la production et à la consommation d’énergie. Le vivre-ensemble intergénérationnel sera un autre domaine auquel je vais me consacrer, tout comme le renforcement du bénévolat, qui a souffert de la crise du covid. Des pistes et recommandations pour une amélioration dans tous ces domaines seront intégrées à mon rapport.
Caritas a estimé, en amont de la déclaration sur l’état de la Nation, que les responsables politiques n’avaient toujours pas pris conscience de la précarité dans laquelle vivent les plus vulnérables de la société. Il est souligné que 47 % des dépenses du budget 2023 sont des transferts sociaux. Pourtant, il semble que cette somme conséquente peine à produire ses effets. Comment l’expliquer?
J’entends la critique de Caritas. On peut toujours améliorer les choses, et cela doit d’ailleurs être un incitatif pour chaque politicien. Personne ne doit passer à travers les mailles du filet social. Une des priorités majeures des accords tripartites est de dépasser ces crises et éviter que les inégalités se creusent davantage. Lors de mon entrevue avec les représentants de Caritas, on a évoqué la subvention loyer. Le montant a été doublé. Notre mission est de nous efforcer que ces mesures, à l’image de l’allocation de vie chère, également revue à la hausse, profitent vraiment aux gens concernés. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de revoir à la hausse, à hauteur de 50 %, les effectifs travaillant dans les offices sociaux. Malgré toutes les mesures prises, dont les prestations en nature déjà décidées dans le domaine de l’école, il faut malheureusement s’attendre à ce que plus de gens doivent recourir à des aides supplémentaires. Les offices sociaux doivent servir d’intermédiaire pour guider les gens et les aider à faire les démarches nécessaires.
Une simplification administrative, notamment pour permettre un versement automatique du crédit d’impôt accordé aux monoparentaux, ne peut-elle pas être plus efficace, comme le suggère par exemple le Parti pirate?
D’une manière plus globale, il faut clairement s’efforcer de rendre plus accessible la large panoplie de mesures d’aide qui existe. Les communes proposent, à côté de l’État, bon nombre de soutiens, en majorant par exemple l’allocation de vie chère ou la prime énergétique. Il faudrait s’inspirer de ce qui est fait par la Klima–Agence, qui regroupe sur un même site internet l’ensemble des programmes d’aides qui existent. Un outil semblable fera certainement partie des pistes que je compte creuser dans le cadre de mon rapport. La volonté politique existe. Il nous faut trouver les moyens adéquats pour atteindre les gens éligibles. Les offices sociaux peuvent être un de ces relais.
Le personnel supplémentaire pour les offices sociaux pourra-t-il être recruté rapidement?
L’idéal serait d’effectuer ce recrutement le plus rapidement possible. On n’a pas de temps à perdre, surtout si l’on sait qu’un nombre plus important de gens va devoir s’adresser aux offices sociaux. On connaît néanmoins aussi les difficultés persistantes à trouver le personnel adéquat, tous secteurs confondus. L’autre priorité doit être de donner aux offices sociaux une autre image. Ils doivent être facilement accessibles. Se rendre dans un office social doit devenir une démarche administrative ordinaire. Personne ne doit avoir honte de s’y rendre.