Marc Angel, fraîchement élu vice-président du Parlement européen, souligne que l’hémicycle doit redoubler d’efforts pour rebondir après le scandale de corruption qui a éclaté en décembre. Travail et transparence doivent aller de pair.
Il est le deuxième Luxembourgeois, après Nicolas Estgen (1982-1984, puis 1992-1994) à assumer la vice-présidence du Parlement européen. Marc Angel (LSAP) a succédé mercredi dernier à Eva Kaili, l’eurodéputée grecque, arrêtée en décembre pour blanchiment d’argent et corruption. S’il affirme qu’il aurait souhaité accéder dans de meilleures circonstances à ce poste, Marc Angel se dit pleinement motivé pour redorer le blason de l’hémicycle siégeant à Bruxelles et Strasbourg.
L’année 2022 s’est terminée sur un coup d’éclat avec la révélation de l’affaire de corruption présumée au Parlement européen. Début 2023, vous avez décidé de poser votre candidature pour devenir vice-président de l’assemblée. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir ce pas ?
Marc Angel : Lorsque la terrible nouvelle de cette horrible affaire est tombée, on était tous en état de choc. On s’est vraiment sentis trahis. Mais je me suis rapidement dit que cela ne nous ressemblait pas. L’affaire est imputable à quelques élus criminels isolés. Il fallait démontrer que l’on est une fraction sérieuse qui va de l’avant. Je n’avais absolument rien à perdre. Au contraire d’autres candidats, je ne pouvais pas forcément compter sur le soutien d’une grande délégation vu que je suis le seul Luxembourgeois de la fraction. Cela ne m’a pas empêché de toujours travailler de manière constructive tout en tentant de rassembler.
Comment avez-vous réussi à convaincre vos pairs ?
Chaque candidat avait trois minutes pour se présenter. Je m’étais très bien préparé et ai mis l’accent sur ma capacité de construire des ponts. J’ai également mis en avant mes fonctions antérieures dans la vie politique, notamment la présidence de la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes. J’ai aussi siégé à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et présidé, en 2015, la Cosac, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, au plus fort de la crise migratoire. J’ai ainsi su démontrer ma capacité d’affronter des situations difficiles, avec des collègues issus d’autres pays, mais aussi d’autres partis. Toutefois, je ne me suis pas présenté comme le chevalier blanc qui va à lui seul remettre de l’ordre dans la fraction. Je suis un joueur d’équipe et j’ai souligné que l’on devait aller tous ensemble de l’avant.
Vous avez fini par être élu mercredi dernier comme vice-président de l’hémicycle européen. Quels sont les objectifs et priorités que vous vous êtes fixés ?
La grande priorité, c’est que le bureau revoie les règles d’éthique du Parlement. Je vais néanmoins aussi y défendre les valeurs sociaux-démocratiques. Je reste quelqu’un qui lutte pour l’égalité. Ce n’est pas seulement une question d’égalité des genres, mais aussi de lutte contre la pauvreté, de protection des minorités et d’engagement envers les plus vulnérables. En outre, je suis un grand défenseur de l’Agenda 2030 et ses 17 objectifs de développement durable. Tout cela, je l’ai aussi mis en avant lorsque j’ai été mis sur le gril par les autres grandes fractions au Parlement, afin d’obtenir leur soutien lors du vote.
Eva Kaili, alors vice-présidente du Parlement, n’est pas le seul membre de votre fraction à être impliqué dans l’affaire de corruption. Quel est le préjudice pour le groupe social-démocrate, mais aussi le Parlement entier ?
Je répète qu’on est choqués et qu’on se sent trahis. Il est incontestable que les personnes incriminées sont issues de nos rangs. On ne souhaite cependant pas que des élus d’autres partis se retrouvent à leur tour dans la tourmente. Ce serait de mauvaise foi. Immédiatement après les révélations, nous avons d’abord suspendu, puis exclu les gens concernés. Nous sommes conscients qu’il nous faut désormais redoubler d’efforts. D’abord, il faut livrer des propositions afin de rendre le Parlement plus transparent.
En même temps, nous devons faire nos devoirs domestiques. Comme annoncé, une enquête interne va être lancée. Elle sera menée par deux personnes qui auront les pleins pouvoirs, dont une professeure espagnole qui siège au bureau de Transparency International. Elles sont appelées à faire la lumière sur les circonstances qui ont permis aux élus impliqués dans l’affaire d’opérer de la sorte, sans que personne d’autre en ait pris connaissance. Le plus important sera de tout mettre en œuvre pour que cela ne se reproduise plus.
Peut-on affirmer que le registre de transparence du Parlement, si souvent mis en avant, n’est pas aussi rigoureux que clamé ?
Le problème est que les règles ne sont pas suffisamment strictes. De plus, il manque les moyens pour contrôler si ces règles sont respectées. Jusqu’à présent, un eurodéputé est obligé de déclarer ses entrevues seulement s’il est rapporteur d’un dossier ou porte-parole de sa fraction sur ce même dossier.
État civil. Marc Angel est né le 12 mars 1963 (59 ans) à Luxembourg-Ville.
Formation. Il décroche à l’université d’économie et de commerce de Vienne un diplôme en économie touristique. Toujours à Vienne, Marc Angel obtient aussi un diplôme (master) de traduction allemande, française et anglaise.
Carrière professionnelle. Entre 1990 et 2004, Marc Angel est enseignant à l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg.
Luxembourg. De 1994 à janvier 2020, Marc Angel siège au conseil communal de Luxembourg. De 2004 à 2019, il est membre de la Chambre des députés.
Europe. En 2019, Marc Angel succède à Nicolas Schmit, devenu commissaire européen, comme élu du LSAP au Parlement européen. Le 18 janvier 2023, il est élu vice-président.
Existe-t-il des lacunes dans vos propres déclarations ?
Personnellement, je déclare l’ensemble des entrevues. Je n’ai rien à cacher. D’aucuns affirment que des règles plus strictes vont provoquer une rupture de la communication. Ils font fausse route. Cela reste très important de pouvoir mener ces entrevues avec des représentants de syndicats, du patronat, d’organisations environnementales et de la société civile. Il n’y a rien de mal à tout cela. Ce qui serait grave sont des tentatives de nous corrompre. Il existera toujours une énergie criminelle chez certaines personnes. C’est pourquoi, il faut tisser un filet aussi étanche que possible pour couper court aux possibilités de commettre des malversations.
On sait le groupe de lobbyistes très important et influent à Bruxelles. Est-ce que vous vous attendez désormais à être davantage sollicité ? Comment abordez-vous ces contacts ?
Le Marc Angel vice-président restera le même que le Marc Angel eurodéputé. Je vais garder les deux pieds sur terre. Cela n’empêche pas de rester vigilant. Il est, en effet, probable que les sollicitations vont devenir plus importantes, d’autant plus que j’ai été élu dans des circonstances particulières. Prendre la succession d’Eva Kaili a attiré beaucoup d’attention. Mais je possède une superbe équipe qui sait ce qui devra être fait. En outre, je ne compte pas rencontrer n’importe qui. Les entrevues vont toujours être en relation avec les dossiers que je traite. Il faudra que je me concentre sur ce travail de fond. Par contre, je pourrai guider les gens qui me sollicitent vers d’autres collègues.
Les vice-présidents du Parlement gèrent différents portefeuilles. En savez-vous déjà plus sur les tâches qui vous seront attribuées par la présidente Roberta Metsola ?
Je vais peut-être hériter de plusieurs dossiers traités par Eva Kaili. Il s’agit de tout ce qui a trait aux technologies de l’information et la communication, mais aussi des relations avec le Moyen-Orient ou encore de la représentation de la présidente auprès d’organisations internationales. Ce dernier portefeuille me conviendrait très bien au vu de mon expérience dans ce domaine. Mais peu importe, je suis prêt à relever tous les défis qui vont se poser. Je serais toutefois fortement intéressé de pouvoir travailler sur le volet de la gestion des immeubles du Parlement, surtout parce que Luxembourg est un des sièges des institutions européennes.
Le Parlement compte en tout 14 vice-présidents. Cela pourrait faire penser qu’il s’agit d’un titre honorifique.
Non, il s’agit d’un titre qui est lié à une importante charge de travail. Rien que les séances plénières débutent le matin à 9 h et peuvent se prolonger jusque tard dans la nuit. Si une seule personne devait présider ces séances, elle serait rapidement dépassée. Il existe donc une répartition du travail. En fin de compte, avec 705 députés, le ratio des vice-présidents n’est pas si important que cela, notamment si l’on considère qu’au Luxembourg la Chambre dispose de trois vice-présidents pour 60 députés.
Vous avez déjà souligné à plusieurs reprises qu’il faut désormais regagner la confiance des citoyens. Au-delà du processus de réformes internes, qu’est-ce qui devra être entrepris afin d’y parvenir ?
Il faut travailler sur deux fronts. Le processus de réforme pour devenir plus transparent doit aboutir au plus vite. Pour le reste, il nous faut livrer, livrer et encore livrer. Nous avons très bien maîtrisé la crise du covid, aussi grâce à la mise en place des fonds de relance. Désormais, nous sommes confrontés à une guerre et la crise énergétique qui en découle.
Pour moi, il importe d’aider les gens à joindre les deux bouts et éviter, ainsi, qu’ils se voient couper le gaz et l’électricité. Si on ne s’occupe pas d’eux, ils tomberont dans le piège tendu par les extrémistes de droite. Il ne suffit plus de les traiter de populistes ou fascistes. Il faut bien plus dénoncer que lors des votes pour défendre la population active, ils sont toujours du côté du grand capital et non pas du côté des gens, comme ils le font toujours croire.
Cela démontre que le Parlement européen peut bien avoir un grand impact sur la vie quotidienne des gens. L’hémicycle manque cependant de considération. N’est-il dès lors pas triste de voir des pays tiers tenter de corrompre des eurodéputés, car ils estiment que le Parlement pèse assez lourdement pour influencer la politique européenne ?
Cela démontre du moins qu’il ne s’agit pas seulement d’un scandale de corruption, mais aussi d’un scandale d’ingérence de pays tiers. Le Parlement dispose déjà d’une commission spéciale sur les ingérences étrangères. Son rôle est très important. Jusqu’à présent, les députés ne sont pas obligés de déclarer leurs rencontres avec des représentants de pays tiers. Le registre de transparence révisé devra aussi instaurer cette obligation.
Avec vous, ce sont désormais deux élus luxembourgeois qui siègent au bureau du Parlement européen. Christophe Hansen (CSV) occupe, en effet, un des postes de questeurs, en charge des questions administratives. Cette présence renforcée peut apporter quoi au Grand-Duché ?
Les petits pays ont aussi une voix au Parlement européen et peuvent y jouer un rôle prépondérant. Le Luxembourg démontre, lui, qu’il est un pays confiant et fiable. Mais, il n’est certainement pas simple de se faire une place si vous n’êtes que six dans une assemblée de 705 députés. La première vice-présidence de Nicolas Estgen (NDLR : 1982-1984) était déjà un grand honneur, mais à cette époque l’UE ne comptait que 10 pays. Aujourd’hui, on est à 27. Je suis tout simplement content et fier d’avoir réussi à décrocher ce poste, même si j’aurais souhaité que cela se fasse dans d’autres circonstances.
Je souhaite vraiment à Paulette Lenert de présider le prochain gouvernement. Elle a toutes les qualités pour le faire
Le nouveau poste va aussi amener un gain en popularité. Envisagez-vous de vous présenter aux élections communales en juin ou aux législatives en octobre ?
Je pourrais toujours siéger au conseil communal, mais j’ai décidé au moment de mon départ au Parlement européen de ne pas cumuler les deux fonctions. Je compte finir mon mandat et, aussi, me battre pour être réélu en 2024. Ceci dit, je ne vais pas être absent lors de la campagne. Je vais pleinement soutenir mes collègues. Je compte aussi m’impliquer dans la rédaction du programme électoral. Le chapitre européen est d’une très grande importance.
Des élections nationales sont aussi toujours des élections européennes. Les ministres siègent au Conseil européen. Ils peuvent bloquer, mais aussi faire avancer des choses. Moi, je suis en faveur d’une Europe progressiste, plus forte et plus équitable. C’est pourquoi je compte m’engager afin qu’un gouvernement progressiste et pro-européen sorte des urnes. Si un pays a profité de l’UE, c’est bien le Luxembourg.
Un gouvernement progressiste avec à la tête un Premier ministre socialiste ?
Une Première ministre! Je suis content que Paulette Lenert ait déclaré vendredi soir sa volonté de devenir tête de liste du LSAP pour les législatives. Je lui souhaite vraiment de présider le prochain gouvernement. Elle a toutes les qualités pour le faire.
On oublie trop souvent qe la différence entre « lobbyiste » et « corrupteur » tend souvent vers zéro.