Le lanceur d’alerte de l’affaire LuxLeaks conteste la présentation de certains faits dans l’arrêt rendu le 15 mars.
Antoine Deltour se pourvoit en cassation, a-t-il annoncé mercredi soir à Épinal où était réuni son Comité de soutien en assemblée générale. Parmi les éléments qui motivent sa décision, l’ancien auditeur de PwC relève des «erreurs factuelles» dans l’arrêt rendu le 15 mars dernier par la Cour d’appel qui a reconnu sa qualité de lanceur d’alerte tout en le condamnant pour le vol des copies des tax rulings.
«J’ai longuement réfléchi, j’ai pesé les différents arguments parfois contradictoires qui m’ont été présentés et j’ai hésité jusqu’au dernier moment», a déclaré Antoine Deltour au Quotidien depuis Épinal. Avec la mesure qui le caractérise, le lanceur d’alerte qui a finalement décidé de poursuivre le combat judiciaire dit qu’il ne se sent pas «fondamentalement compétent pour critiquer une décision de justice». Mais, poursuit-il, l’arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg du 15 mars dernier estime que «mes intentions n’étaient pas claires et précises au moment où j’ai pris les documents. Il est vrai que je n’ai pas voulu tout de suite tout rendre public, j’ai réfléchi, pesé le pour et le contre, avant d’agir».
Condamné en première instance à 12 mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende, l’ancien auditeur de PwC a vu sa peine ramenée à 6 mois de sursis et 1 500 euros d’amende en appel, fondant notamment sa décision sur le vol de 538 rescrits fiscaux et de documents de formation. Antoine Deltour s’était emparé de ces documents le 13 octobre 2010, à la veille de quitter PwC d’où il avait démissionné.
Le 15 mars, la Cour d’appel l’avait en revanche acquitté de la prévention de violation du secret professionnel en lui reconnaissant la cause justificative du lanceur d’alerte, telle que définie par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Une première dans l’Union européenne pour une juridiction nationale, avait alors relevé son avocat français, Me William Bourdon.
Mais cette «victoire partielle» ne satisfait pas Antoine Deltour : «Dans l’arrêt de la cour d’appel, j’ai relevé une dizaines d’éléments qui ne correspondent pas aux faits. On m’y prête notamment des propos contraires à ceux que j’ai tenus.»
Le réconfort du comité de soutien
Le Vosgien regrette qu’à la lecture de l’arrêt, on pourrait penser qu’il s’était emparé des documents pour trouver un nouvel emploi. «Il est vrai qu’à ce moment je cherchais du travail. Mais je n’ai aucune qualification en fiscalité, je n’aurais pas pu me servir de ces documents auprès d’un autre employeur», dit Antoine Deltour qui travaille aujourd’hui à Nancy pour l’INSEE, l’institut statistique national français.
Il est conscient qu’en cassation «la procédure sera longue, mais c’est essentiellement de l’écrit, ça ne va pas altérer mon quotidien». Le lanceur d’alerte sait aussi qu’en cas de nouvelle condamnation au Luxembourg, le dernier recours sera la Cour européenne des droits de l’Homme. Une éventualité qui risque de prolonger la bataille judiciaire pendant encore de longues années. Pour obtenir justice, Antoine Deltour peut compter sur les membres d’un comité de soutien très actif : «Leur aide est indispensable car sans eux je n’aurais pas les moyens financiers de poursuivre. Et puis leur appui est un réconfort pour moi.»
Le second lanceur d’alerte du scandale LuxLeaks, Raphaël Halet, dont la peine a été ramenée à 1 000 euros d’amende par la Cour d’appel, a indiqué qu’il annoncerait sa décision de se pourvoir ou non en cassation au plus tard le 15 avril.
Le scandale LuxLeaks avait véritablement éclaté le 5 novembre 2015 lorsque le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) a rendu public 538 rescrits fiscaux négociés avec le fisc luxembourgeois par le cabinet d’audit PwC pour le compte de multinationales. Par ce procédé, ces entreprises échappaient à l’impôt dans les pays dans lesquels elles réalisaient leurs bénéfices tout en profitant d’une imposition minimale au Luxembourg, parfois inférieure à 1%.
La révélation de ce scandale a amené l’UE et l’OCDE à changer les règles internationales de la fiscalité en imposant davantage de transparence.
Fabien Grasser